Congrès de la FPJQ: de l’espoir dans la morosité

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Sur fond de crise, les journalistes se sont réunis toute la fin de semaine à Saint-Sauveur à l’occasion du congrès de leur fédération, la FPJQ. Trois jours pour oublier les soucis du quotidien, les fermetures, coupures et autre plans de départs volontaires qui se sont succédés tout au long de l’année, et réfléchir à l’essence même de leur métier et à l’avenir. Avec peut-être en bout de ligne, une lueur d’espoir.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann

«Je pensais venir ici pour transmettre un message d’optimisme, mais depuis que je suis là ce matin, c’est l’inverse qui se produit, c’est vous qui me le transmettez.»

Voilà comment Edwy Plenel, journaliste français de renom et inventeur d’un nouveau modèle d’affaires dans l’univers du journalisme de qualité avec Médiapart, a démarré l’allocution qu’il donnait hier en clôture du congrès de la FPJQ, devant une salle comble.

L’homme, qui a passé trente ans au journal Le Monde, dont dix à la rédaction en chef, avant de le quitter au début des années 2000, parce qu’il ne se sentait plus à sa place au sein de ce quotidien, longtemps admiré pour son indépendance et qui, petit à petit, passait aux mains d’industriels. Cette homme est venu encourager les journalistes d’ici, soulignant qu’il n’avait jamais vu ailleurs, et encore moins en France, une telle réunion de journalistes, un tel lieu où toute la profession puisse se retrouver pour réfléchir à l’essentiel, au-delà de ses allégeances et de l’appartenance à tel ou tel média, tel ou tel conglomérat.

Le ministre Fournier ne convainc pas

Depuis la veille, les membres de la FPJQ était donc réuni en congrès au Manoir Saint-Sauveur, dans les Laurentides. Éthique, place de la chronique dans l’écosystème médiatique, nouveaux modes narratifs, avenir de Radio-Canada, du photojournalisme, du journalisme de guerre, de la radio, de l’information en région, du téléjournal de 22 heures… tous ces thèmes ont été débattus en atelier ou dans les couloirs, sur fond de transition des modèles d’affaires, d’entraves à la liberté de la presse, de guerre du clic, de coupure… bref, dans un contexte où partout dans l’industrie, il est demandé aux journalistes d’en faire toujours plus avec toujours moins.

Sur fond aussi de modification de la loi sur l’accès à l’information, cette loi devenue au fil des années et des exceptions un véritable outil d’entrave au droit d’informer le public, et que le parti libéral en campagne a promis de revoir, garantissant de la transparence au sein du gouvernement, comme jamais il n’y en avait eu auparavant.

Invité à venir expliquer aux journalistes où il en était dans sa réflexion, le ministre responsable de l’accès à l’information et de la réforme des institutions démocratiques, Jean-Marc Fournier, a tenté de convaincre un parterre pour le moins sceptique, que le gouvernement avançait sur ce dossier. Mettant de l’avant l’annonce faite la semaine dernière selon laquelle les agendas et les dépenses des ministres, des membres des cabinets et des dirigeants des organismes seraient désormais rendus public, il a affirmé que la divulgation des documents devraient maintenant être la règle et non l’exception… tout en insistant sur le fait qu’il devait y avoir un juste équilibre entre le besoin de transparence d’un côté, et les impératifs de protection de la vie privée et de bon fonctionnement de l’État, de l’autre. Et que ce nécessaire équilibre justifierait encore certaines exceptions…

Vers un âge d’or du journalisme?

Peu convaincus, les journalistes ne se sont pas gênés pour bousculer le ministre et le pousser dans ses retranchements. Aux questions précises, M. Fournier n’a pu avoir pour seule réponse que de patienter. Au printemps, démarrera une commission publique sur le sujet, à laquelle tout le monde pourra participer.

«Je suis venu ici pour vous tendre la main et pour que vous me tendiez la vôtre, a-t-il conclu avant de s’en aller rapidement vers d’autres obligations. Pour qu’ensemble, nous bâtissions un système dans lequel il y a de la confiance.»

Ensemble. Les journalistes et le pouvoir, unis vers un même objectif empreint de démocratie… Edwy Plenel semble de pas y croire un instant. En introduction de son discours, il rappelle cette phrase de Georges Orwell qui disait que «l’information, c’est publier, tout ce que les pouvoirs ne veulent pas que l’on sache. Tout le reste, ce n’est que de la communication.»

Il appelle les journalistes à déranger, bousculer, ne pas prendre le sens de la vague. Il soutient que la liberté de la presse n’est pas un privilège pour les journalistes mais un droit pour la population. Que pour que la démocratie soit vivante, il faut qu’au cœur, se trouve la vérité. Citant l’intellectuel italien Antonio Gramsci, il rappelle que la crise, c’est lorsque le vieux est en train de mourir et que le neuf tarde à naître. Que dans cet entredeux, surgissent toutes sortes de monstres susceptibles de remettre la démocratie en cause. Que dans cet entredeux, les journalistes doivent se tenir debout, que le journalisme d’enquête ne doit pas être à la marge, mais bien au cœur. Il scande que l’âge d’or du journalisme est potentiellement devant nous. Et que le succès de Médiapart, qui depuis quelques jours a dépassé les 105 000 abonnés payants et qui fait des bénéfices depuis plusieurs années déjà, en est bien la preuve.

Se battre pour la vérité

Ça, c’est pour la bonne nouvelle qu’il est venu professé au Québec. La moins bonne selon lui, étant que tout ça ne va pas de soi. Que les grands de ce monde n’ayant aucun intérêt à ce que la vérité sorte, il faudra se battre pour la vérité, quitte à devoir parfois, comme lui, qui s’est endetté pour fonder Médiapart, prendre des risques financiers afin de préserver l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques et économiques. Il compare ainsi la relation que les journalistes doivent entretenir avec ceux qui gouvernent le monde, à la manière dont Raymond Depardon décrivait une bonne photo.

«Une bonne photo, disait-il, c’est être à la fois au plus près et au plus loin de son sujet.»

Dans la salle, tout le monde ne peut s’empêcher de penser à la polémique, puis au débat qui traversent toute la société québécoise depuis que Pierre Karl Péladeau a décidé de se lancer en politique avec l’ambition apparente de prendre la chefferie péquiste et de devenir Premier ministre. Le sujet aura d’ailleurs été évoqué plusieurs fois, franchement ou à demi-mots dans différents ateliers au cours de la journée.

La salle a pensé à ça et à toutes les atteintes à la liberté d’informer subies tout au long de l’année, notamment dans le monde municipal. Arrivés à Saint-Sauveur plein de doutes quant à l’avenir de leur métier et à l’opportunité de pouvoir encore le faire dans de bonnes conditions, les journalistes seront peut-être repartis avec un peu plus d’espoir et la conviction de pouvoir encore faire du journalisme de qualité, à l’ancienne, tout en tirant au mieux parti de la révolution numérique.

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