Le journalisme en mode solution

À l’invitation du ministère des communications, le Centre d’études sur les médias de l’Université Laval organisait vendredi une journée de réflexion sur l’avenir du journalisme. Avec en toile de fond, cette question: comment aller chercher les jeunes, intéressés à recevoir une information de qualité mais devenus a priori réfractaires à l’idée de la payer? Quelques pistes de solution ont été évoquées.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

Il y a bien sûr La Presse+, une nouvelle fois sur toutes les lèvres lors de cette journée de réflexion sur les médias. Un modèle notamment encensé par l’éditeur du Toronto Star, John Cruikshank, venu dire à quel point il avait été séduit par la formule et que toute une équipe travaillait aujourd’hui ardemment à l’adaptation de ce modèle dans la salle des nouvelles torontoise.

Un modèle complètement gratuit pour tous les possesseurs de tablette. Un modèle d’affaires totalement basé sur les recettes publicitaires, qui a donc l’avantage de venir rejoindre les plus jeunes, les moins de quarante ans en fait, biberonnés à l’information en accès libre et à qui il ne viendrait pas l’idée de payer pour s’informer.

Un modèle qui laisse cependant le gros bout du bâton aux annonceurs, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes éthiques. Le Syndicat des travailleurs de l’information de La Presse (STIP), d’ailleurs présent vendredi dans l’auditorium de la BanQ – Vieux Montréal où se tenaient les échanges, en sait quelque-chose, lui qui presse la direction de la salle de nouvelles de bien vouloir mieux différencier les publireportages et le rédactionnel afin de ne pas tromper les lecteurs. Une requête qui ne rencontre qu’une fin de non recevoir pour l’instant.

[À ce sujet, Éric Trottier, vice-président, Information et éditeur adjoint de La Presse, tient à préciser que les discussions ont repris avec le syndicat depuis quelques semaines, qu’une première réunion aura lieu jeudi 12 février, et une deuxième dans deux semaines, en présence d’un médiateur.]

Situation française

Les plus optimistes s’opposent cependant à l’idée que les plus jeunes refuseraient catégoriquement de payer et qu’ils ne feraient pas la différence entre la nouvelle rapportée par on ne sait quelle source et une information de qualité, fouillée, vérifiée, mise en contexte par un journaliste. Point de vue partagé notamment par Antoine de Tarlé, ancien directeur général adjoint du groupe Ouest France et actuel président des Éditions Ouest France, qui avait fait le voyage depuis la France pour faire le point sur la situation médiatique à la française.

«Il y a quelques années, nous avions placé gratuitement dans les couloirs des universités des exemplaires de Ouest France, raconte-t-il. Nous pensions naïvement que les jeunes s’habitueraient à le lire et que plus tard, ils l’achèteraient. Ça n’a bien sûr pas été le cas. Mais en quelques minutes seulement, tous les exemplaires disparaissaient.»

Il ajoute que, comme la très grande majorité des quotidiens à l’époque, Ouest-France a opté il y a une quinzaine d’années pour la distribution gratuite de ses contenus via internet. Si lui n’y était pas particulièrement favorable, il a dû plier face aux pressions venues à la fois de la régie publicitaire, qui croyait encore à l’époque que les annonceurs opéreraient un mouvement du papier vers leur site internet, et de la rédaction qui voyait là un moyen d’aller chercher une plus grande audience.

«On connait aujourd’hui les effets catastrophiques de cette gratuité, poursuit-il. Mais impossible de revenir en arrière. Comme beaucoup d’autres, nous avons fini par mettre un mur payant, mais les abonnements ne suivent pas.»

Médiapart pour référence

La solution passe selon lui par deux chemins. D’une part, aller chercher les plus jeunes en publiant des dossiers qui les intéressent, pas des pages et des pages sur les anciens combattants ou la commémoration de telle ou telle bataille. Ensuite, ne pas essayer de rendre payant ce qui a été un temps gratuit, mais plutôt créer d’autres sites internet, indépendants et assis dès le départ sur un modèle payant. Sa référence: Médiapart.

«Pourquoi Médiapart se porte si bien? questionne-t-il. Pourquoi est-ce qu’ils sont parvenus à aller chercher 100 000 abonnés? Il y a bien sûr la personnalité d’Edwy Plenel. Il y a des enquêtes au long court, les scoops. Mais il y a aussi le fait que le site a été dès le départ payant. Je crois que les quotidiens devraient préserver la gratuité sur leur site internet. Les gens s’y sont habitués, ils ne reviendront pas en arrière. En revanche, qu’est-ce qui empêchent de créer d’autres médias sur un sujet qui intéresse une partie de la population? Des médias qui dès leur lancement seront en accès payant. En Bretagne, ça peut être sur l’industrie maritime ou agricole, ailleurs, ça peut être sur le numérique, les changements climatiques, le développement durable. Comme Médiapart, il s’agira à la fois de faire de la brève pour que la communauté reste toujours informée rapidement, et de sortir des enquêtes en long format. Parce que ça, c’est encore une belle idée reçue: qui a décrété que les gens ne lisaient que de courts textes sur internet?»

Cette journée aura été l’occasion de mutualiser les idées et d’échanger. Des idées et des échanges rassemblés en bout de course par François Demers, professeur de journalisme à l’Université Laval.

«Ça a été dit plusieurs fois durant la journée, rappelons donc que le journalisme, et l’information, ce n’est pas rentable, a-t-il conclu. C’est un parasite… c’est quelque-chose qui de tout temps a été subventionné. Par les rois, par les puissants, par les curés, puis par la publicité. Aujourd’hui, il y a comme un divorce entre la publicité et l’information et ça déstabilise un peu tout le monde. La publicité peut contourner le journalisme, elle peut même inventer sa propre information, avec le contenu marketing. L’information se cherche donc de nouvelles subventions. D’où viendront-elles? On ne le sait pas. Alors, on s’essaye, on innove, on expérimente.»

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