Une histoire du lock-out du JDM en librairie

guilbert-larose-lockout-350x525L’essai, écrit à quatre mains par Manon Guilbert et Michel Larose, deux ex-journalistes du Journal de Montréal ayant quitté la salle de nouvelles au moment du conflit, dépeint Pierre Karl Péladeau en Machiavel, regrette l’indifférence de la population, de la communauté artistique et des partis politiques, tout en pointant du doigt plusieurs grosses bévues syndicales et le manque de solidarité entre lockoutés. ProjetJ a rencontré les auteurs au moment où ils bouclaient leur texte.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

On peut trouver le ton un brin revanchard et les démonstrations parfois manichéennes. Il n’était pas forcément nécessaire d’insister sur l’avion personnel et les fins de semaine au chalet de Dany Doucet ou sur la résidence de Michèle Coudet-Lord à Ville Mont-Royal, face à la vie miséreuse des «filles de bureau», obligées de marcher en rond pancarte à la main devant le siège du journal, beau temps, mauvais temps, pour défendre leur salaire et leur quelques avantages.

Il n’en reste pas moins que ce livre, qui raconte de l’intérieur la manière dont les 253 lockoutés du Journal de Montréal ont vécu leur 764 jours sur le trottoir, se lit comme une enquête, à charge certes, mais bien ficelée et très documentée. Le lecteur devient voyeur. Il se délecte des trahisons et des scissions. Et même s’il connait déjà la fin, se prend à rêver que le journalisme sorte vainqueur de ce conflit «perdu d’avance», selon les auteurs.

Mme Guilbert et M. Larose racontent comment PKP, encore à l’époque, «fils de» avait passé quelques mois au Journal de Montréal, et comment, alors qu’il n’en était pas encore à la tête, il répétait à qui voulait bien l’entendre que les journalistes étaient trop bien payés. Comment devenu le boss, le silence régnait lorsqu’il faisait irruption dans la salle de nouvelles. Rien à voir avec les poignées de mains chaleureuses et les mots gentils que son père, Pierre, avait pour ses employés.

Erreur syndicale

«Lorsque le lock-out a commencé, nous sommes allés nous recueillir sur la tombe de Pierre Péladeau, rappelle Manon Guilbert. À l’époque, ça a beaucoup choqué… mais pour nous, c’était très symbolique. Dès que Pierre-Karl a repris l’entreprise, ça a été la longue descente aux enfers. Pierre, lui, il l’aimait son journal. Il les aimait les gens qui le fabriquaient.»

Pas de doute, selon eux, le conflit de travail au Journal de Montréal avait été savamment préparé. Sinon, comment expliquer que l’agence de presse QMI, qui n’a pas de clients externes à l’époque, ait été enregistrée juste à temps pour que légalement, les dépêches puissent être reprises dans le quotidien de la rue Frontenac durant tout le temps du lock-out? Comment justifier également le recrutement de tant de chroniqueurs vedettes tels que Richard Martineau, et de cadres, dans les mois qui ont précédés?

«La guerre s’est jouée patiemment en fonction d’un calendrier bien établi, raconte Michel Larose. Au cours des mois précédents, le Journal de Québec est un lock-out et sert de laboratoire. PKP vise la restructuration de son empire. Avant même l’amorce des négociations pour le renouvellement de la convention collective, la salle des nouvelles est inquiète. On s’attend à des demandes patronales voraces. Les journalistes se demandent si l’étanchéité des rédactions du conglomérat sera maintenue alors que la direction préconise la mise en place d’un pipeline numérique. Lorsque les demandes patronales tombent, la salle de nouvelles est relativement épargnée. Et c’est là que le syndicat a fait sa plus grosse erreur, croit le journaliste à la retraite. Souhaitant régler la négociation au plus vite, dans une lettre d’entente, le comité syndical, sans l’aval de son assemblée générale, accepte le principe des mises à pied. Québecor n’acceptera plus d’aller en deçà et finira par avoir bien plus que ce qui était demandé au départ.»

Parce que pendant les deux ans qu’aura duré le lock-out, la situation de la presse écrite se dégrade et plusieurs quotidiens en Amérique du Nord se voient dans l’obligation de baisser le rideau. Parce que aussi, le journal, édité chaque jour sans ses journalistes, ne perd pas ses lecteurs pour autant. Un état de fait qui a véritablement choqué les deux auteurs.

Scission au sein de la rédaction

«Oui, j’en veux un peu à nos lecteurs, avoue Manon Guilbert, ajoutant qu’on a finalement que les médias que l’on mérite. Qu’ils n’aient pas fait la différence, qu’ils ne nous aient pas suivi, nous journalistes, eux qui nous lisaient chaque jour avant le lock-out. Mais je crois aussi que nous n’avons pas réussi à nous faire entendre. Le site Rue Frontenac avait été créé pour ça au départ. Pour expliquer aux gens pourquoi nous étions en lock-out, comment nous étions traités, comment les négociations étaient au point mort. Or, petit à petit, c’est devenu un nouvel organe. Il y a eu une scission. Je peux comprendre que les jeunes au Journal avaient besoin de continuer à écrire, de se faire un portfolio, de préparer l’après lock-out. Mais le résultat, c’est que notre mouvement n’a pas du tout été relayé.»

Le lock-out prend fin le 26 février 2011, mais il se solde par la plus importante perte d’emplois dans un quotidien québécois depuis les fermetures du Montréal-Matin en décembre 1978 et du Montreal Star en septembre 1979. La salle de nouvelles est décimé car même les journalistes qui auraient pu garder leur poste n’ont pas le cœur à revenir. Aux nouvelles, seuls deux d’entre eux sont de retour, un peu plus dans les sections culture et sports.

«Historiquement, les journalistes du Journal de Montréal ont été gâtés, explique Michel Larose. Pierre-Karl Péladeau a usé de cet argument tout au long du conflit pour attiser l’envie ou l’indifférence de l’opinion publique. Cet aspect de leurs conditions de travail leur avait permis toutefois une indépendance essentielle à leur métier. On peut conséquemment se poser une question: un journaliste pauvre est-il plus compétent?»

Selon les deux auteurs, le lock-out a entaché la démocratie, les médias et la crédibilité de la salle de nouvelles actuelle du JDM. Pour les besoins de leur essai, ils ont mené plusieurs entrevues avec des ex-lockoutés et des observateurs extérieurs, dont Marc-François Bernier, professeur d’éthique journalistique de l’Université d’Ottawa, qui confirme que la direction du journal l’a joint pour inciter ses étudiants à offrir leur candidature. Mais que ceux-ci ne sont pas intéressés parce qu’ils ne souhaitent pas être les promoteurs des produits de Québecor et se font une plus haute idée de ce qu’est le journalisme.

Un essai qui est donc loin d’être tendre avec l’empire Québecor et son ex-patron devenu député et candidat à la chefferie péquiste, Pierre Karl Péladeau. Un récit de l’intérieur, déjà en librairie, mais qui sera officiellement lancé jeudi, quatre ans jour pour jour après la fin du lock-out.

Le lancement aura lieu jeudi à 17h, au Café-Bar de la Cinémathèque québécoise, 335 boulevard De Maisonneuve Est, à Montréal.

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