Maxime Landry: «Il faut faire confiance à son pif!»

54ql8xLG_400x400Bien connu pour avoir été pendant près de dix ans, le journaliste à bord de l’hélicoptère de TVA, Maxime Landry est aujourd’hui redescendu sur terre mais n’en reste pas moins dans le feu de l’action. De la tuerie au collège Dawson à l’attentat de Charlie Hebdo en passant par la tragédie de Lac-Mégantic ou les conflits étudiants, il a couvert en direct quelques-uns des événements les plus marquants de ces dernières années. À la demande de la FPJQ, il offre ce dimanche une formation au cours de laquelle il donnera certains de ses trucs pour bien travailler dans l’urgence de l’actualité. L’occasion pour ProjetJ de lui demander ce qui l’anime.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

ProjetJ: C’est le scoop qui vous stimule?

Maxime Landry: En journalisme, il y a différentes sphères, différentes spécialités. Moi, j’ai voulu être reporter pour être le premier à rapporter l’information, à raconter ce qui vient de se produire. C’est la base même du reportage que de rapporter ce dont on est témoin. Alors oui, j’aime le scoop. Mais pas seulement. Je fais ce métier pour permettre au lecteur, au téléspectateur, même à distance, de saisir l’importance d’un événement. Malgré l’urgence, il faut remettre en contexte, analyser, apporter des éléments propre à faire comprendre ce qui est en train de se dérouler. Je n’ai jamais voulu être prof, mais il y a un versant éducation dans notre métier, qui me plait beaucoup.

Justement, lorsqu’un contact vous appelle ou qu’une dépêche tombe, comment sent-on que ça va être important et qu’il faut se rendre sur place?

On dirait qu’on le sent presqu’instinctivement que cet événement va nécessiter une couverture rapide, en profondeur, en continu. Qu’il va falloir se retrousser les manches et y aller. Le contraire est aussi vrai. On arrive parfois sur des terrains pour se rendre compte que ce n’est rien. Ce n’est pas tous les jours l’apocalypse et il faut avoir le recul et la retenue nécessaire pour ne pas tout couvrir comme s’il s’agissait de la troisième guerre mondiale. Mais quand même, surtout avec les années, l’expérience, on peut faire confiance à son pif. Si je prends l’exemple de Lac Mégantic, les premiers collègues qui s’y sont rendu nous ont envoyé des courriels nous rapportant que le ciel était rouge et qu’ils n’étaient encore qu’à dix kilomètres… quand on reçoit ça, on se dit que malheureusement, ce n’est pas banal ce qui se passe là-bas.

Et à ce moment-là, par où commence-t-on?

Il y a beaucoup de cas par cas mais on peut quand même suivre une certaine grille de travail qui nous permette de ne pas faire d’erreurs. Aujourd’hui, tout le monde ou presque a un téléphone intelligent donc tout le monde est un générateur de contenu. Comme média, comme journaliste, on doit être capable d’analyser, de soupeser et de retenir ce qui est névralgique comme information. Donc, on arrive sur un événement, bien entendu, on n’attend pas les confirmations officielles parce qu’elles ne viendront pas rapidement! On sent, littéralement, avec le pif. On fonce. On écoute. On regarde beaucoup, mais on n’oublie souvent d’écouter. Or, dans les premiers instants, c’est là que les témoignages sont les meilleurs parce qu’ils n’ont pas été contaminés, ils n’ont pas été répétés ad nauseam. C’est ce qui fait d’ailleurs qu’on revient toujours à ces premières entrevues, que ce sont elles qui passent en boucle. Ce sont les meilleures, parce qu’elles sont brutes.

Est-ce le temps de mener sa propre enquête sur ce qui s’est passé?

Il faut faire attention avec cela. Avec l’arrivée de l’information en continu, les journalistes sont de plus en plus dans la spéculation. Il faut au contraire toujours revenir aux faits. Ne pas oublier que les gens ne nous suivent pas 24/7. En revanche, il faut être capable de sentir ce qui ne tourne pas rond sur une scène. Juste un exemple. L’été dernier, j’étais en vacances, en voiture avec ma conjointe et ma fille sur la Rive-Sud. Je vois les pompiers, les paramédics. J’étais là, je m’arrête, ça pouvait être intéressant pour mes collègues. C’était dans une zone résidentielle. Je vois que ça s’affaire autour d’une maison. Je me dis que ça devait être une noyade dans une piscine. C’est malheureux, mais j’allais repartir. Et puis, je vois les pompiers brancher un boyau, les paramédics mettre leur tenue de combat. J’en viens à la conclusion qu’il y a quelque-chose de pas normal qui se passe là. Un policier passe à côté de moi, je lui pose la question. Il me répond que c’est un petit avion qui s’est écrasé dans la cour arrière… c’est comme ça que je me suis retrouvé à travailler en gougounes, bermuda et barbe longue… parce que j’ai fait confiance à mon pif, j’ai eu une information importante qui soulève des questions en matière de sécurité publique, sur la proximité entre les maisons et les aérodromes, etc. Finalement, cette nouvelle a duré trois jours sous différents angles.

Quelles sont en revanche les erreurs à éviter?

Auparavant, le défi, c’était de trouver de l’information. Aujourd’hui, on en est submergé. Notre rôle en tant que journaliste, c’est de parvenir à faire la part des choses, vérifier, s’assurer de ne pas diffuser n’importe quoi. Il y a des outils qui existent pour ça. Il faut les utiliser malgré l’urgence de la situation.

Vous avez couvert beaucoup d’événements marquants ces dernières années, souvent tragiques. Quels sont ceux qui vous ont particulièrement marqué?

Chaque événement est marquant à sa façon. C’est sûr que Lac Mégantic, c’est au-delà de l’imaginable. J’ai travaillé longtemps à bord de l’hélicoptère de TVA et de ce fait, j’étais souvent le premier sur un événement, parfois même avant les secours. Je me souviens particulièrement d’un glissement de terrain dans une carrière à l’Épiphanie. Quand je suis arrivé, il y avait encore des gens ensevelis. On attendait les sauveteurs. À ce moment-là, oui on est journaliste mais on est avant tout citoyen. On a offert notre aide d’autant qu’on avait l’hélico. On doit garder une certaine distance mais lorsque des vies sont en jeu, on se sent tellement impliqué dans l’histoire. Je me souviens être rentré chez moi le soir, et avoir été fortement ébranlé.

Justement, que se passe-t-il lorsqu’on coupe le micro et qu’on rentre chez soi?

Ceux qui disent avoir une bonne carapace et pouvoir rentrer chez eux le soir comme si de rien n’était, je leur lève mon chapeau. Moi, ce n’est pas le cas et je crois que ça ne l’est pas pour bien des journalistes. Lorsqu’on se retrouve à courir et à couvrir pendant des heures un événement, on carbure à l’adrénaline. Ensuite, ça retombe et la fatigue nous gagne. Oui on est capable d’avoir un certain détachement, mais de là à parvenir à penser totalement à autre chose… il faut ventiler, se dire qu’on a fait que couvrir, qu’on était là pour faire notre travail et qu’on n’a pas été personnellement impliqué dans la tragédie. Mais ça reste marquant. J’ai par exemple recroisé par hasard un homme qui avait été sauvé in extrémis à l’Épiphanie. Il est venu me remercier et puis, j’avais une petite poussière dans l’œil moi aussi.

Peut-on travailler dans cette urgence toute sa carrière ou vaut-il mieux raccrocher?

Je vois des journalistes aux tempes grises dans des théâtres d’opération tendus. Je crois que plus l’expérience s’accumule, plus on a de recul, de calme, de sérieux, meilleur on est. Peut-être qu’on va courir un peu moins vite, mais on va mieux informer.

Travailler dans l’urgence de l’actualité, une formation offerte par Maxime Landry le dimanche 12 avril de 10h à 12h30.

(Photo Twitter)

Cet article vous a intéressé? Faites un don à ProjetJ

À voir aussi:

Simon Van Vliet, nouveau président de l’AJIQ

Journalisme : les grands chantiers de la FNC

Journalisme: les grands dossiers à surveiller, selon Alain Saulnier

Régions, liberté de presse, statut du journaliste: les grands chantiers de la FPJQ

Journalisme: les grands dossiers à surveiller, selon François Bugingo

L’après-Gesca: une nouvelle ère pour les régions

Les défis de l’information en région

Le devoir de réserve porte-t-il atteinte à la liberté d’expression?

Le journalisme de guerre à l’épreuve du djihadisme

You may also like...