Isabelle Hachey: «Je n’imaginais pas qu’on en parlerait autant»

HACHEY_Isabelle_512x512_LP_400x400Après avoir publié un dossier samedi dans La Presse+ sur les mirages de François Bugingo dans lequel elle accuse le journaliste d’avoir inventé des reportages internationaux de toutes pièces, Isabelle Hachey répond aux nombreux commentaires qu’elle a reçus durant la fin de semaine sur l’origine de cette enquête menée sur un confrère. Dans un nouvel article publié ce matin, elle raconte que c’est une chronique du 17 février dans laquelle M. Bugingo affirme avoir rencontré le fils du défunt dictateur Mouammar Kadhafi, Saïf Al-Islam, dans sa prison libyenne en 2012, qui l’a décidée à vérifier certaines choses. Car selon ses sources à elle, aucun journaliste occidental n’a pu le rencontrer depuis 2011, année de sa détention. Entrevue.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

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ProjetJ: L’enquête de samedi semble titanesque… depuis combien de temps êtes-vous dessus?

Isabelle Hachey: j’y ai consacré un mois. Donc finalement moins que certains autres sujets que j’ai traités et qui ont pu me prendre deux ou trois mois. Ça faisait plusieurs mois que je doutais avec d’autres collègues, et cette chronique du 17 février nous avait fait sursauter. C’est ce qui m’a décidée. Je me suis dit qu’il fallait vraiment faire quelque chose. Ensuite, ça n’a finalement pas été si compliqué. J’ai repris ses chroniques, ses billets de blogues, j’ai vérifié, j’ai passé des coups de fil. De nombreuses sources allaient dans le même sens. Des sources qui n’avait aucun intérêt à me mentir. Des journalistes qui me disaient: non, jamais de la vie j’étais à Sarajevo avec François Bugingo cette année-là. Des gens qui n’étaient d’ailleurs pas heureux de devoir démentir ce qu’avait écrit François Bugingo. Parce qu’ils le connaissaient. Ils étaient plutôt sonnés par ce que je leur apprenais.

Pourquoi cette chronique sur Saïf Al-Islam vous a fait réagir plus que les autres?

Parce que j’étais moi-même en Libye au moment où François Bugingo dit y avoir été. J’y étais pour autre chose, j’enquêtais sur les pratiques de SNC-Lavalin là-bas. Vu que j’y étais, je me suis dit que je ne risquais rien à essayer d’avoir Saïf Al-Islam en entrevue. Mais j’ai très vite compris que ce ne serait pas possible. Que personne ne pouvait le rencontrer. Lors de mon enquête, j’ai eu la confirmation qu’aucun journaliste occidental n’avait pu l’interviewer. Alors si François Bugingo l’avait réellement fait, il n’aurait certainement pas attendu trois ans pour le dévoiler dans l’avant-dernier paragraphe d’une chronique…

Enquêter sur un confrère, est-ce plus difficile que sur un politicien ou un entrepreneur?

Ça a été difficile de le vendre à mes patrons déjà! Ils étaient sceptiques. Ce n’est vraiment pas une commande de leur part comme j’ai pu le lire durant la fin de semaine. Ils avaient peur que je fouille pendant des mois et que rien ne sorte parce que François Bugingo s’appuie souvent sur des sources anonymes. Peur également d’être accusés de vouloir faire du tort au groupe concurrent. Mais je suis arrivée avec quelques résultats déjà, et ils m’ont laissé faire. Plus tard, j’ai été convoquée dans le bureau de mon patron. J’avais trois patrons autour de moi. On a discuté de cela longuement. Ils se demandaient si ça en valait la peine. Ils avaient des réserves. Mais ils m’ont quand même donné le feu vert. Ils m’ont dit: continue, et on verra.

Dans le dossier de samedi, vous évoquez une rencontre avec François Bugingo le 15 mai. Comment ça s’est passé?

Je l’ai appelé la veille pour lui dire que je souhaitais le rencontrer. Que j’avais des doutes sur certaines de ses chroniques. Il était d’accord. Il voulait seulement connaitre les sujets pour pouvoir se préparer. La rencontre a été très polie. C’est quelqu’un de charmant, courtois, absolument pas agressif. Le tête-à-tête a duré 1h45. C’est sûr qu’il y a eu des malaises parce que c’était un peu l’inquisition de ma part. J’avais mes cinq pages et je posais des questions point par point. Ça n’a pas dû être facile pour lui. Il a répondu à mes questions. À partir de ce moment-là, il savait que quelque chose allait sortir.

Quand ça a été mis en page vendredi, pensiez-vous que ça aurait autant d’impact?

Je n’imaginais vraiment pas qu’on en parlerait autant. Je ne pensais pas que la concurrence allait reprendre ça publiquement. Je croyais que ceux qui l’employaient allaient passer ça sous silence. Que ça allait faire réagir dans la petite communauté journalistique, mais pas plus. Je suis très étonnée de l’ampleur. Pour être tout à fait franche, j’imaginais bien que ses collaborations allaient être suspendues. Mais beaucoup plus discrètement que ça ne l’a été.

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