Pourquoi les changements climatiques ne font pas la manchette?

L’Université du Québec à Montréal (Uqàm) organise depuis hier une université d’été sur la réduction des impacts et la communication des risques météorologiques. L’occasion de se demander pourquoi la thématique des changements climatiques tient si peu de place dans les médias québécois. En 2014 en effet, aucun sujet lié de près ou de loin à cette thématique ne s’est retrouvé dans le top 50 des nouvelles les plus médiatisées au Québec, selon le bilan de l’année d’Influence Communication. Éléments de réponse avec Bernard Motulsky, détenteur de la chaire en relations publiques et communication marketing à l’Uqàm. Il donne une conférence jeudi sur ce sujet.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

G4NGpsgU_400x400«Les changements climatiques, c’est un phénomène observé par les scientifiques sur la durée, explique Bernard Motulsky. Ça prend vingt, trente, quarante ans, parfois plus pour que le public se rende vraiment compte de ce que la science prédit. C’est difficile de l’y intéresser. Les agriculteurs se sentent concernés parce qu’ils en subissent les conséquences. Mais le grand public, lui. On lui parle de réchauffement climatique et jamais il n’a vécu un hiver aussi froid… c’est un dossier excessivement difficile à traiter.»

Au Québec, comme un peu partout ailleurs, on parle des phénomènes météorologiques lorsque surviennent des crises. Tempêtes, canicules, froids extrêmes, inondations, autant d’occasion de ressortir les experts en la matière pour quelques jours… et puis s’en vont jusqu’à la prochaine fois.

«Ça reste rarement très longtemps dans l’actualité», confirme le professeur.

Parce que le sujet a été abordé lors du récent congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), plusieurs médias ont repris le fait qu’il y aura de plus en plus de tempêtes dans la vallée du Saint-Laurent dans les prochaines années. Et que de nouvelles maladies vont faire leur apparition avec l’arrivée du moustique du Tigre par exemple, transmettant des maladies comme la Dengue et le Chikungunya.

Sensationnalisme?

«En fait, tout le défi est d’arriver à parler non seulement de l’impact des changements climatiques, mais aussi de la façon dont on devra s’adapter, estime M. Motulsky. Car, c’est inévitable. Même si on arrête aujourd’hui toute activité humaine, le climat va changer, et ça va avoir des conséquences sur le quotidien des gens. Ils vont devoir adapter leur manière de vivre, de consommer, de travailler. C’est ça qu’il faut dire. Mais on n’a pas le temps. On est toujours dans la nouvelle. Et quand elle disparait, on passe à un autre sujet.»

Ainsi, les journalistes donnent la parole aux scientifiques pour qu’ils commentent ce qui s’est passé. Pas, ou de manière très épisodique, pour nous dire comment la situation va évoluer. Et encore moins pour dégager des pistes de solution et expliquer comment tirer notre épingle du jeu.

Parce qu’ils veulent faire dans le sensationnel?

«Pas forcément, répond le conférencier. Dans tous les domaines, une information en chasse une autre. Il est rare qu’une nouvelle survive plus de 24 heures.»

Il ajoute que s’ils voulaient vraiment faire du sensationnalisme sur le sujet, les journalistes n’auraient qu’à inviter des climato-sceptiques sur leurs plateaux.

Le Guardian prend position

«Or, on les voit très peu dans les médias québécois, souligne-t-il. Aux États-Unis, ils sont très présents, certainement parce qu’ils sont plus influents et qu’ils servent aux thèses de la droite dure. Mais ici, au Québec, les négationnistes sont marginaux. On parle peu de réchauffement climatique dans les médias, mais on n’envoie pas non plus le message que tout cela est pure imagination.»

Reste à savoir si, par souci d’objectivité, valeur largement défendue par les journalistes, ceux-ci devraient justement donner plus la parole aux climato-sceptiques afin de laisser la population en juger.

Le patron du Guardian a récemment répondu que non, en lançant une vaste campagne de presse contre les énergies fossiles et en invitant sa salle de nouvelles à appuyer tout ce qui ressemble de près ou de loin à du développement durable.

«Encore une fois, la question ne se pose pas vraiment en ces termes ici, analyse Bernard Motulsky. Si nous avions un vrai lobby négationniste, il faudrait se demander s’il est du devoir des journalistes de lui donner la parole alors que la thèse du réchauffement climatique fait consensus au sein de la communauté scientifique. Mais à date, nous n’avons pas ce problème.»

(Photo: Twitter)

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