Conseil de presse: des changements en perspective

En entrevue l’an dernier alors qu’elle venait de prendre les rênes du Conseil de presse, Paule Beaugrand-Champagne confiait à ProjetJ que l’un de ses objectifs principaux résidait dans le fait de mieux faire connaître l’institution auprès du grand public. Résultat: on aura rarement autant entendu parler de l’organisme cette année dans les médias… mais pas forcément pour les bonnes raisons. Plusieurs membres ont en effet publiquement critiqué ses décisions et son fonctionnement ces derniers mois. À tel point que la présidente a décidé de revoir en partie les procédures. État des lieux.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«On s’est fait connaître cette année parce qu’on avait des problèmes, convient Paule Beaugrand-Champagne. Ça s’est passé surtout autour de l’affaire de Radio-Canada et d’Alain Gravel.»

Blâmé par le Conseil en février pour un reportage diffusé dans l’émission Enquête, l’animateur, soutenu par sa direction, est en effet monté au front pour défendre le professionnalisme de son équipe. Invité fin avril à l’émission Tout le monde en parle à l’occasion de sa nomination comme morning man sur Ici Radio-Canada Première à la rentrée, il est revenu sur sa condamnation, affirmant qu’il y aurait «apparence de conflit d’intérêt dans un contexte très délicat», et montrant clairement du doigt le secrétaire général du Conseil, Guy Amyot.

Fin mars, c’est le journaliste de la Presse, Daniel Renaud, qui démissionnait de son poste au comité d’appel du Conseil de presse, reprochant à l’organisme de chercher parfois «à prendre les journalistes et les médias en défaut, à laver plus blanc que blanc, sans s’arrêter uniquement aux faits». Malgré tout le respect qu’il lui voue, lui aussi se questionne sur l’omniprésence de Guy Amyot.

«Ce dernier n’a pas droit de vote, pourtant il s’exprime régulièrement plus activement que des membres des comités, pouvant influencer leur décision ou carrément contaminer le processus en appel puisqu’il a déjà fait tout l’exercice en première instance, écrit-il dans sa lettre de démission, rendue publique. Alors que le terme conflit de loyauté est à la mode dans les médias, cette situation est particulière lorsque l’on réalise que M. Amyot reçoit la plainte initiale, correspond avec les plaignants et les défendeurs, mène l’enquête sur la plainte, recueille les versions, rédige et oriente, avec son équipe, le premier projet de décision pour le comité de plainte, participe activement à la discussion du comité de première instance, prend part à la rédaction finale de la décision, accueille de nouveau la plainte en appel, prépare de nouveau le dossier, rédige de nouveau le projet de décision, participe de nouveau activement aux discussions du comité d’appel et prend part de nouveau à l’élaboration finale du jugement cette fois-ci sans appel.»

Révision des procédures

Par la suite, Patrick Lagacé, chroniqueur à La Presse, grand défenseur jusque-là du Conseil, écrit un texte dans lequel il fustige l’institution d’avoir accepté la plainte d’un usager qui lui reprochait de l’avoir bloqué sur Twitter…

Enfin, c’est au tour du journaliste à la retraite, Claude Picher, de se porter à la défense d’Alain Gravel. Dans une tribune publiée début mai, toujours dans la Presse, il estime que «quoi qu’en pense l’animateur de TLMEP, ce n’est pas la crédibilité d’Alain Gravel qui est en cause ici. C’est le Conseil de presse qui vient d’enfoncer un autre clou dans le cercueil de sa propre crédibilité».

Paule Beaugrand-Champagne souhaitait mieux faire connaitre le Conseil de presse auprès du public… ces différentes prises de position dans les médias lui auront permis d’atteindre son objectif, même si elle ne pensait pas que ça se ferait de cette façon.

«Dès mon arrivée, j’ai constaté certains problèmes dans notre fonctionnement, avoue-t-elle. Mais je ne pensais pas devoir m’y pencher si vite. Ces différentes affaires ont fait en sorte que nous avons mis en place un comité pour revoir nos procédures. N’oublions pas que nous sommes vingt au conseil d’administration. Tous bénévoles, nous nous réunissions selon les emplois du temps de chacun. Ça peut sembler long. Mais je vous assure qu’on travaille fort. Les décisions seront rendues publiques à la rentrée.»

Déjà des changements

Rencontré par ProjetJ à la suite de sa démission du Conseil de presse, Daniel Renaud confirme avoir reçu une réponse de la part de la présidente. Réponse dans laquelle elle lui assurait que sa démission allait ouvrir une réflexion. Un autre membre du Conseil de presse a d’ailleurs confirmé que la présence de Guy Amyot lors du comité d’appel en mettait plus d’un mal à l’aise au sein de l’institution. Et que des mesures avaient d’ores et déjà été prises pour qu’il en soit désormais absent.

Depuis son arrivée, Paule Beaugrand-Champagne n’a donc pas eu le loisir de chômer. Elle a également imposé sa marque, tentant d’obtenir le consensus sur les décisions importantes, plutôt que de se contenter de la majorité. Une autre de ses priorités était de redorer le blason du métier de journaliste auprès du public. À ce propos, le conseil a travaillé avec l’Université Teluq pour mettre sur pied une formation aux médias, qui permette d’aider les gens à comprendre à quoi sert cette profession souvent décriée.

«C’est sûr qu’un scandale comme l’affaire Bugingo n’aide pas à redonner de la crédibilité au métier, juge-t-elle. Heureusement, il a très vite rendu sa carte de presse. Mais ce qui est encore plus étrange, ce sont tous les commentaires de soutien qu’il a reçus sur sa page Facebook. Beaucoup de gens disaient que oui, peut-être, il avait raconté des mensonges, mais qu’au moins, c’était intéressant. Ça doit nous inciter à réfléchir, et ça prouve qu’il y a un réel besoin de formation.»

Guide de déontologie

Ces derniers mois, le Conseil de presse s’est également attelé à remettre à jour son guide de déontologie. La dernière mouture a été approuvée par le conseil d’administration en juin et elle sera dévoilée elle aussi à la rentrée.

Du côté des entreprises de presse, on semble satisfait du travail accompli par la nouvelle présidente.

«J’attends que tout soit annoncé formellement, mais ça semble aller dans la bonne direction, note Éric Trottier, vice-président information et éditeur-adjoint à la Presse. Bien du monde avait constaté qu’il y avait des problèmes dans les processus et la condamnation de l’équipe d’Enquête en a désarçonné beaucoup. Le Conseil a l’air d’avoir entendu le message. Il nous a présenté plusieurs choses, reste à savoir si 100% de ce qu’il nous a dit se retrouvera dans ce qu’il va annoncer plus tard cette année.»

Si le journal de rue Saint-Jacques a à plusieurs reprises relayé le mécontentement dans ses pages, M. Trottier assure qu’il n’a cependant jamais été question de quitter le Conseil de presse.

Les annonces qui devraient être faites à la rentrée seront-elles, au contraire, susceptibles de faire revenir les médias de Quebecor au sein de l’organisme tripartite, autre objectif que Mme Beaugrand-Champagne s’est fixé en prenant la présidence?

«Des contacts ont été pris et la réflexion est en cours, répond-elle. Pour l’instant, tout cela s’est fait via différentes personnes, mais des discussions en face à face devraient commencer incessamment. On va voir ensemble ce qu’il est possible de faire.»

Rendez-vous est donc pris à la rentrée pour savoir si les annonces que fera le Conseil de presse sauront calmer le mécontentement et satisfaire l’ensemble de la profession.

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