«Le Conseil de presse doit corriger des lacunes»

C’est le point de vue du journaliste de la Presse Daniel Renaud. En démissionnant à la fin mars du comité d’appel de l’organisme d’autorégulation du journalisme, et en rendant sa lettre publique, il a provoqué une onde de choc dans le petit milieu des journalistes québécois. Les langues se sont déliées et le Conseil de presse n’a eu d’autre choix que de faire son autocritique et d’apporter des changements à son mode de fonctionnement. En entrevue à ProjetJ, M. Renaud revient sur ce qui l’a mené à démissionner et sur ce qui pourrait lui redonner confiance.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

145d61c1a1ed4dcf4a9256af066fc852Aujourd’hui, quel crédit apportez-vous au Conseil de presse?

J’ai toujours énormément de respect pour cet organisme. En réalité, je ne pensais pas démissionner le jour de cette section d’appel. C’est vrai que j’arrivais là en sachant que j’allais mettre mes trippes sur la table pour défendre le dossier. J’étais totalement en désaccord avec le projet de décision. Je suis un gars de faits. J’ai eu devant moi des faits dans ce fameux dossier, celui de Stéphane Tremblay. On nous demandait de juger si oui ou non le journaliste avait abusé de son pouvoir pour entrer dans l’immeuble où vivait une personne qui s’était suicidée au lendemain de son arrestation pour possession et de distribution de pornographie juvénile. Or, je peux vous assurer que rien ne démontrait qu’il avait commis un abus de pouvoir en entrant dans cette maison.

Comment expliquez-vous alors ce blâme du Conseil en appel?

D’abord, je voudrais spécifier que je n’ai personnellement rien contre le secrétaire général Guy Amyot. Il a les défauts de ses qualités. C’est quelqu’un qui travaille beaucoup. Il a le Conseil de presse tatoué sur le cœur. Mais, et c’est ce que j’écrivais dans ma lettre, il ne peut pas prendre une part aussi active à tous les niveaux dans le processus de plainte. Cela dit, j’ai reçu une réponse de la présidente, Paule Beaugrand-Champagne quelques semaines après l’envoi de ma lettre. Elle m’a assuré que le Conseil allait entrer dans une réflexion, notamment en ce qui concerne le processus d’appel. J’espère qu’il va y avoir un vrai coup de barre. J’ai confiance.

Et ce sera suffisant, selon vous?

Pas sûr… au-delà du système de traitement des plaintes, il y a des préjugés au Conseil de presse. Il faudrait les éliminer. Concrètement, lorsqu’on a parlé du dossier de Stéphane Tremblay, un membre autour de la table m’a dit: moi, les journalistes qui vont frapper aux portes des familles des victimes, je suis pas capable, je déteste ça… Comment être objectif avec de tels a priori. C’est certain que cette personne a voté en faveur du blâme. Même si le Conseil de Presse est un tribunal d’honneur, dans les discussions, les gens se comparent aux vrais tribunaux. Sauf que dans un vrai tribunal, on ne sélectionne pas des jurés qui ont des préjugés sur l’affaire à considérer.

Outre la réponse de Mme Beaugrand-Champagne, d’autres personnes vous ont-elles parlé à la suite de votre démission?

J’ai eu beaucoup de discussions depuis, des gens qui me félicitaient pour mon courage. Mais pour moi, ce n’est même pas une question de courage. C’est venu me chercher. C’est notre travail à nous, journalistes, de nous attarder aux faits, de mettre nos préjugés de côté pour faire preuve d’objectivité. C’est un fondamental de notre profession. Le lien de confiance était brisé, j’ai préféré partir.

Si la réflexion entreprise menait à un processus qui vous satisfasse, seriez-vous prêt à siéger de nouveau au Conseil de presse?

J’ai a cœur mon métier. J’ai a cœur la défense du travail de journaliste et c’est pour ça que je suis parti. J’ai toujours été un gars impliqué dans un paquet de choses. Si on m’approche de nouveau, je ne dis pas non d’emblée. Mais il faudrait que beaucoup de choses changent. Le processus de traitement des plaintes. Le processus de sélection des plaintes également. Il y a par exemple des cas qui ont été retenus, de gens qui se plaignent d’avoir été bloqués par un journaliste sur Twitter… si on commence à analyser de telles plaintes, on n’a pas fini!

Aujourd’hui, vous seriez blâmé par le Conseil de presse, ça vous toucherait?

Je considérerais qu’il y a des chances que ça ne soit pas objectif, mais j’aurais tout de même tendance à faire confiance au Conseil de presse dans une proportion supérieure à 50%. Aucun tribunal n’est parfait. Il y a eu de grandes décisions judiciaires qui ont semé la consternation. Mais ce qui est surprenant avec le Conseil, c’est qu’il n’y a pratiquement pas de décisions de première instance qui aient été renversées en appel. C’est une portion insignifiante. Or, il faut prendre ça au sérieux. Un blâme, ça n’a pas des conséquences de vie ou de mort sur ta carrière de journaliste, mais c’est quand même une tâche sur ton CV. Les journalistes et les entreprises de presse ne veulent pas d’un ordre. Ils ne veulent pas judiciariser la pratique de la profession, préférant l’autorégulation. Ok. Mais dans ce cas, il y a des lacunes à corriger.

(Photo: Twitter)

À voir aussi:

Les journalistes ne savent pas placer la virgule

Les experts sont-ils vraiment experts?

Affaire Bugingo: Plus jamais ça?

Isabelle Hachey: «Je n’imaginais pas qu’on en parlerait autant»

Affaire Bugingo: le journalisme québécois sous le choc

Journalisme: le gouffre générationnel (partie 1)

Journalisme: le gouffre générationnel (partie 2)

You may also like...