Loi sur l’accès à l’information: la FPJQ demande au gouvernement de revoir sa copie

La Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) était jeudi devant la commission parlementaire sur la refonte de la loi sur l’accès à l’information. Elle a défendu la mise en place d’un comité indépendant pour rédiger le projet de loi. Mais a surtout pourfendu la notion «d’espace privé des fonctionnaires», introduite dans le document d’orientation, et qui selon elle, pourrait mettre à mal toute transparence dans les processus décisionnels gouvernementaux.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

CaptureLa directrice générale de la FPJQ, Caroline Locher, n’a pas mâché ses mots jeudi en commission parlementaire, en présence du ministre responsable de la Loi sur l’accès à l’information, Jean-Marc Fournier. Venue défendre le mémoire déposé en juillet et répondant au document publié au printemps et intitulé «Orientations gouvernementales pour un gouvernement plus transparent, dans le respect du droit à la vie privée et la protection des renseignements personnels», elle a ni plus, ni moins parlé de «mascarade».

Le document d’orientation prévoit en effet que, dans le but d’éviter l’autocensure des fonctionnaires et autres conseillers lors des discussions de projets de lois et autres décisions, les documents nécessaires, tant en amont – analyses, opinions, avis juridiques, recommandations et délibérations – qu’en aval – vérifications et autres – puissent être protégés, donc non divulgués.

«Ainsi, affirme Mme Locher, dans tous les ministères, un fonctionnaire pourrait utiliser l’excuse de «l’espace privé» pour ne pas remettre un rapport ou tel échange de communication. Il ne s’agit pas ici que d’un recul de la transparence mais d’une façon de se moquer entièrement de cette loi. Toutes les autres modifications deviendraient essentiellement une mascarade si cette clause bateau voyait le jour.»

Transparence = autocensure?

De quoi pousser le ministre Fournier dans ses retranchements. Tentant de minimiser l’impact de ce qui ne sont, selon lui, que des propositions d’orientation, il a d’abord affirmé que la FPJQ avait été le seul organisme à critiquer de manière véhémente son texte, les autres y trouvant tous, selon lui, des avancées vers plus de transparence.

«Trouvez-vous qu’il soit dans l’intérêt du public de favoriser l’autocensure?, a-t-il martelé. Ou est-ce que vous considérez que ça puisse servir l’intérêt public qu’il y ait une certaine limite à la transparence?»

Ce à quoi Monique Dumont, ex-recherchiste à l’émission Enquête et responsable du dossier de l’accès à l’information à la FPJQ répond que des restrictions très claires existent déjà dans la loi pour préserver certains intérêts.

«Il y a des restrictions en matière de secret commercial, énumère-t-elle. Il y a des restrictions en matière de sécurité intérieure, en matière d’enquêtes policières, en matière de défense. Nous acceptons tout à fait ça. Ce que nous contestons parfois, comme journaliste, c’est la durée de ces restrictions. À ce niveau, vous faites des petits pas en avant, mais je vous dirais qu’ils sont un peu timides et qu’on est comme sur une marchette pour personnes âgées.»

Quant à la question de l’autocensure, elle souligne qu’il suffirait de caviarder les noms pour que l’espace privé soit protégé.

Pour un comité indépendant

Autre point de discorde, la manière dont la réforme est menée par le gouvernement, à savoir, selon la FPJQ, en vase clos.

«Y aura-t-il un processus indépendant pour proposer un projet de loi?, demande la directrice générale. Comment le public peut faire confiance à un projet de transparence préparé derrière des portes closes? La confiance du public envers les élus a été mise à rude épreuve ces dernières années. Corruption camouflée et ingérence politique notamment ont rendu le public sceptique. Si la loi sur l’accès à l’information est rédigée par les politiques au pouvoir et leurs équipes de communication, comment ne pas craindre qu’elle serve leurs intérêts? Heureusement, il y a une solution pour regagner la confiance du public. Qu’un comité indépendant soit réuni pour rédiger ce projet de loi sur la transparence de l’État. Pour que le public croit que tout a été mis en œuvre pour séparer les intérêts politiques des intérêts du citoyen.»

À cela, Jean-Marc Fournier répond qu’il n’a aucunement travaillé en vase clos et que d’ailleurs, la FPJQ avait été rencontrée à deux reprises durant le processus de rédaction du document d’orientation.

Le débat a ensuite tourné autour de la mauvaise foi de certains fonctionnaires et sur la nécessité qu’il n’y ait pas matière à interpréter la future loi. Mme Locher a ainsi rappelé que toute exception inscrite dans le texte serait un outil dans les mains de ceux qui veulent cacher l’information. Mme Dumont a insisté sur le fait que la loi sur l’accès à l’information devait être prééminente sur tout autre texte législatif si l’on ne voulait pas risquer qu’elle se fasse «gruger comme un fromage suisse».

Faire appliquer les amendes

Enfin, Éric-Yvan Lemay, journaliste au Journal de Montréal et qui a souvent maille à partir avec la loi sur l’accès à l’information, lui aussi présent devant la commission jeudi, a questionné le ministre sur la manière dont il comptait faire appliquer les condamnations pour entrave à la loi.

«Depuis très longtemps, il y a des amendes qui sont prévues dans la loi et qui n’ont jamais été appliquées, fait-il valoir. Vous augmentez ces amendes, mais concrètement, comment on va faire en sorte qu’elles ne soient pas que sur papier? Aujourd’hui, il y a un problème avec les responsable de l’accès à l’information, qui lorsqu’ils ne répondent pas, ne sont redevables devant personne.»

Le journaliste met également le doigt sur le fait que de plus en plus souvent, ce ne sont pas les responsables de l’information qui lui répondent, mais bien la personne aux communications.

«C’est elle qui contrôle l’agenda, affirme-t-il. On n’a pas de problème avec le fait que le responsable de l’accès à l’information prévienne les communications, ni même qu’une réponse soit préparée. Le problème, c’est lorsqu’il y a obstruction. Rien ne protège la personne responsable de l’accès à l’information. Quelque-chose qui lui donne une espèce d’immunité. Qu’une fois qu’elle a la demande, elle puisse aller dans n’importe quelle sphère sous sa juridiction pour aller chercher les documents et les transmettre.»

«Mur de Chine»

La Fédération demande ainsi qu’il y ait un véritable «mur de Chine» entre l’accès à l’information et le reste de l’organisme. Et, lorsqu’il s’agit de ministères, entre l’accès à l’information et le cabinet.

«Depuis le temps que je suis dans le milieu, j’ai des contact avec des responsables de l’accès l’information, illustre Monique Dumont. Il y en a certains qui me conseillent, qui me disent comment formuler ma demande pour ne pas que ça allume une lumière jaune au cabinet. Surtout lorsqu’il s’agit de sujets chauds.»

Les trois représentants de la FPJQ ont eu quarante-cinq minutes pour défendre leur mémoire et leurs propositions. Quarante-cinq minutes durant lesquelles le ministre Fournier était visiblement tendu. Sans doute se rappelait-il de l’accueil glacial que les journalistes lui avaient réservé lors de leur dernier congrès en novembre dernier à Saint-Sauveur. À plusieurs reprises jeudi, il a tenté de déstabiliser les trois rapporteurs, leur reprochant d’avoir mal compris les orientations et de vouloir lire entre les lignes.

«On est loin de l’information complète qui sert l’intérêt public», a-t-il lancé.

Rappelons que le soir la victoire, le 7 avril 2014, le Premier ministre Couillard avait promis qu’il formerait le gouvernement le plus transparent que le Québec n’ait jamais connu.

Mais à en croire le mémoire présenté par la FPJQ, on en serait encore loin.

Pour télécharger le document d’orientation du gouvernement, c’est ici.

Pour télécharger le mémoire déposé par la FPJQ, c’est ici.

Pour visionner l’intégral des échanges de jeudi en commission parlementaire, c’est ici.

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