L’éducation aux médias, ce «grand désert»

nlandryNormand Landry, professeur à la TÉLUQ, en appelle à la mise sur pied d’un cours obligatoire d’éducation aux médias pour tous les futurs enseignants, en plus de capsules de formation continue. Sans cela, cette discipline, non évaluée mais inscrite dans les programmes scolaires au titre de compétence fondamentale, continuera à être sacrifiée sur l’autel de l’austérité et du manque de temps.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

ProjetJ: Les élèves sont maintenant rentrés en classe. Peut-on espérer qu’ils aient plus d’éducation aux médias cette année?

Normand Landry: À l’heure actuelle, on est un peu victime de l’actualité. On en parle lorsqu’il y a des crises, des problématiques qui surgissent comme des cas de cyberintimidation, de violation de la vie privée, d’attaque à l’honneur et à la réputation sur les réseaux sociaux… Tous ces éléments engendrent des débats sur la nécessité de former les jeunes à avoir un esprit beaucoup plus critique sur leurs usages et leurs comportements en ligne. C’est fondamental mais c’est aussi très réducteur. La formation aux médias, ça ne devrait pas être seulement de les mettre en garde.

Vous parlez d’événements qui surgissent dans l’actualité. Il y a eu au printemps l’arrestation des jeunes qui projetaient de partir faire le jihad en Syrie. Est-ce qu’à ce moment-là, les enseignants ont pu offrir plus d’éducation aux médias à leurs élèves?

Ça a été un moment intéressant selon moi dans le sens par exemple où le président français a affirmé que l’éducation des jeunes aux médias devait être un impératif. Au Québec, on a la chance de l’avoir installé au rang des compétences fondamentales depuis des années. Mais là encore, on est dans une espèce de panique morale. Parce que quelques jeunes se sont radicalisés via les réseaux sociaux, on entre dans une logique de contrôle, de renforcement, de protection. On devrait plutôt être dans une dynamique positive qui vise à sensibiliser les jeunes, à leur permettre de faire la différence entre une information de qualité et de la propagande.

En abordant le sujet seulement en temps de crise, on leur donne une image négative de ce qu’ils peuvent trouver dans les médias?

On leur donne une image négative de l’encadrement qu’on veut faire de leur rapport aux médias. Lorsqu’on leur dit que ce qu’ils font ou que leurs usages peuvent être problématiques, on leur démontre qu’ils ont besoin d’être encadrés. Mais comme d’un autre côté on ne souligne pas ce qu’ils font de bien avec, ils se disent qu’on ne comprend rien de leur rapport aux médias. Or, ils s’expriment de manière très créative sur les réseaux numériques.

Ils sont, plus que leurs parents et leurs enseignants, dans une logique participative…

Ils sont nés dans cette logique. Ils partagent des informations à leur réseau. Et ils le font souvent de manière très créative, avec intelligence et souvent beaucoup d’humour. Il y a une participation au débat public et c’est comme cela qu’ils envisagent aujourd’hui leur rapport aux médias. On l’a vu notamment au moment du Printemps érable, où les réseaux sociaux sont devenus un terrain d’information politique, mais aussi d’humour et de dérision. Il faut leur parler de ces aspects. L’idée avec l’éducation aux médias, ce n’est pas seulement de les protéger mais aussi de leur permettre de développer des compétences afin qu’ils deviennent des citoyens actifs dans la société.

En somme, en développant leurs compétences numériques, ils se familiarisent avec le milieu médiatique et acquièrent un esprit plus critique?

C’est cela. Avec l’éducation aux médias, on vise trois objectifs: le premier, c’est de questionner les textes, les sources, de vérifier si les informations semblent crédibles, pertinentes, équilibrées. Le deuxième, c’est de comprendre le contexte de production de ce texte. Pourquoi il a été produit? Qui l’a produit? Quelles sont les intentions derrière le texte? Ça nous permet de comprendre aussi le modèle économique, qui a plus ou moins un impact sur ce qui est écrit. Le troisième objectif, c’est de se questionner en tant que personne qui consulte le texte. D’être capable de se demander pourquoi on interprète un texte de telle ou telle manière. Car il est évident par exemple que selon qui on est, notre histoire, notre culture, un texte sur le conflit israélo-palestinien pourra avoir plusieurs lectures. Plus on est actif sur les médias, plus on va être sensible à ces questionnements car on va nous-mêmes avoir à y répondre dans notre propre production. Et on leur parle alors de manière positive.

Puisque le diagnostic semble clair, comment se fait-il que les élèves ne reçoivent pas plus d’éducation aux médias?

C’est toujours le sempiternel problème des moyens. Dans les textes, le Québec, comme le Canada, est très en avance sur ce terrain puisque l’éducation aux médias est inscrite dans les programmes au primaire comme au secondaire. Il y a beaucoup de pays qui nous envient cela. Sauf que ce n’est pas une matière évaluée, qu’il n’y a pas de professeur attitré et que forcément, sauf cas exceptionnels d’enseignants ou de conseillers pédagogiques particulièrement sensibles à la problématique, c’est une compétence qui passe à la trappe. D’autant que les enseignants sont complètement laissés à eux-mêmes. Il n’y a aucun programme de formation dans leur cursus initial, aucune formation continue et peu de ressources. Bref, c’est le grand désert.

Il faudrait former tous les futurs enseignants?

Tous les futurs enseignants devraient effectivement avoir un cours obligatoire sur le sujet durant leur cursus. On devrait aussi leur proposer de la formation continue car les technologies et les usages changent sans arrêt.

Quid des adultes? Ils sont encore nombreux à penser que parce que c’est écrit dans le journal, c’est forcément vrai…

C’est un vrai problème… mais un problème très complexe si l’on considère que près d’un adulte sur deux au Québec ne comprend pas un texte simple qu’il lit. C’est pourquoi il faut s’attaquer à cette problématique dès le plus jeune âge. À la littératie tout court. Et à la littératie médiatique qui ajoute une couche de complexité.

Vous avez travaillé avec le Conseil de Presse sur cette question. Où en êtes-vous sur ce terrain?

Ça avance. La TÉLUQ, le Conseil et d’autres partenaires comme le Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ) organisent d’ailleurs un colloque sur ce sujet le 23 octobre prochain à Montréal. Il y aura à la fois des intervenants qui vont soulever des questions fondamentales et des gens particulièrement concernés, enseignants, bibliothécaires, des gens des ministères, des représentants de villes, des groupes de parents, des jeunes, etc. L’objectif est de faire un grand remue-méninges, un état des lieux. Et d’avancer.

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