Pas de démocratie sans éducation aux médias

La Téluq et le Conseil de Presse du Québec ont organisé vendredi un grand colloque sur l’éducation aux médias. Le premier en plus de dix ans, selon Normand Landry, professeur à la Téluq et initiateur du projet. Et ce, alors même que les médias vivent une profonde révolution de nature à modifier complètement le rapport qu’entretient le public avec eux. Alors qu’à l’heure des réseaux sociaux, tout le monde est «un petit journaliste en puissance», dixit Matthieu Dugal, animateur de la Sphère à Ici Radio-Canada Première, il serait pourtant urgent d’agir afin d’outiller les consommateurs d’information, notamment les plus jeunes d’entre eux, dans les écoles.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

CaptureAnalyse du problème par Guy Amyot secrétaire général du Conseil de Presse du Québec: dans le «bon vieux temps», alors que les médias traditionnels régnaient en maitre et que personne d’autre ne pouvait ni fabriquer, ni diffuser des nouvelles, les rôles de chacun étaient prédéfinis. Il y avait les journalistes, les journalistes autonomes, les communicateurs et les communicateurs autonomes. Et tout ce petit monde là évoluait les uns à côté des autres et se classait dans l’une ou l’autre des catégories selon qu’ils étaient plus enclins à défendre l’intérêt du public ou celui de l’organisation pour laquelle ils travaillaient.

«Aujourd’hui, avec les médias 2.0, tout est mêlé, estime M. Amyot. On assiste à un éclatement des frontières médiatiques. Les jeunes s’informent sur leur téléphone intelligent avec ce que leur réseau leur partage sur les réseaux sociaux. Conséquence de cela, il y a un effondrement des recettes, publicitaires d’une part et en provenance du lectorat d’autre part, qui est beaucoup moins fidèle. Les journalistes sont moins nombreux, plus précaires, leurs délais sont plus courts certains, au contraire, deviennent de véritables vedettes, ils sont mis sur le devant de la scène, contre leur grès parfois, pour faire vendre, pour faire du clic. Il y a plus d’opinion car ça coute moins cher. De tout cela, celui qui consomme l’information en bout de ligne doit avoir conscience car ça a un impact sur la qualité de l’information.»

Un seul mot d’ordre donc, développer son esprit critique afin de savoir faire la différence entre une nouvelle en provenance d’un média crédible ou pas, une fait, une opinion, un commentaire, un reportage et un publireportage, plus souvent nommé aujourd’hui «marketing de contenu».

«Cette bibitte hybride, cette bibitte monstrueuse, disent certains, commente le secrétaire général du Conseil de presse. La «publicité journalistique»… quand je vous dis que tout est mêlé aujourd’hui!»

«Les relationnistes ont besoin d’un journalisme fort»

Un état des lieux éclairé de manière nouvelle par Sophie Boulay, chercheuse au Centre de recherche Communication, information et société (GRICIS). Selon elle, les relationnistes et autres agents d’information subissent eux aussi cette révolution numérique. Et d’abord parce qu’il leur faut être très, très créatifs pour avoir une chance que leur information se retrouve sur le plus grand nombre de babillards Facebook.

«Eux aussi doivent maintenant proposer aux journalistes des textes, des sons, des vidéos pout alimenter le téléjournal, explique-t-elle. Ils doivent aussi mettre de l’humour pour espérer être repris par les internautes. Or, parfois, l’information qu’ils ont à donner n’est vraiment pas drôle. Et je ne parle pas de l’organisation qui doit vendre son produit. Il y a des attachés de presse au Conseil de presse ou dans les commissions scolaires, qui ont des informations d’intérêt général à faire passer. C’est un vrai casse-tête pour eux que de s’assurer qu’elles soient relayées et qu’elles ne se perdent pas dans la masse qui circule. Les relationnistes ont besoin d’un journalisme fort car alors, lorsque leur info est reprise, c’est une preuve de crédibilité.»

Autre défi, la concurrence avec la publicité, à l’heure du marketing de contenu dont parlait M. Amyot.

«En envoyant un communiqué de presse, un patron prend le risque qu’un journaliste vérifie des choses, critique, choisisse ses exemples, etc., illustre-t-elle. Alors même que son service publicité va pouvoir acheter deux belles pages sur lesquelles il aura tout le contrôle. Et ça va se retrouver dans le même journal, sur la même table de café. Pourquoi prendre le risque?»

Et c’est sans parler de l’astroturfing, pratique qui consiste à payer des citoyens pour commenter sur les réseaux sociaux. Bien sûr, tout en faisant croire qu’ils sont de simples citoyens comme vous et moi…

Tout le monde est émetteur

Autant de preuves que l’éducation aux médias est plus que nécessaire aujourd’hui. Pour parvenir à faire la part des choses. Parce que l’univers 2.0 est le lieu idéal pour berner quiconque, ajoute Mme Boulay.

«Parce qu’avec la révolution numérique, c’est tout le paradigme médiatique qui a été bouleversé, renchérit Matthieu Dugal. Parce qu’aujourd’hui, tout le monde est émetteur.»

Et que tout le monde a donc la responsabilité de ce qu’il publie.

«L’éducation aux médias doit être à plusieurs niveaux, mais il me parait essentiel que tout le monde en sache au moins un peu sur l’éthique journalistique, expose-t-il. Que tout le monde ait des notions sur le code et les algorithmes. Sur les conditions d’utilisation des programmes et des interfaces. Il faut faire de l’éducation aux commentaires également car ils influencent énormément la manière dont on comprend une nouvelle. Or, si certains sont très pertinents et documentés, d’autres ne sont que des opinions qui n’engagent que leurs auteurs. Il faut également parler de cryptographie, de données ouvertes, de transparence, etc., etc., etc.»

Parler de tout cela alors même que si l’éducation aux médias est inscrite dans les programmes scolaires au primaire comme au secondaire, elle ne fait pas partie des disciplines évaluées. Et qu’elle passe donc bien trop souvent à la trappe faute de moyens et d’outils… surtout en période d’austérité.

Mais parler de tout cela à tout prix, croient les différents panélistes du colloque, car il en va de la bonne santé de notre société.

«Il est évident, et là je vais donner dès le départ la conclusion du colloque, même si ce n’est pas très journalistique, a introduit Guy Amyot au début de son allocution, qu’aujourd’hui, quiconque n’est pas formé aux médias, ne peut pas participer de manière active et efficiente à la vie démocratique.»

Cet article vous a intéressé? Faites-un don à ProjetJ.

Pour écouter l’archive de cet atelier, c’est ici

À voir aussi:

L’éducation aux médias, ce «grand désert»

Les Autochtones, ces oubliés des médias

Un livre pour sauver le journalisme

Les élections, un terrain de jeu exceptionnel pour les étudiants

«Foglia nous dévoile tels que nous préférerions ne pas nous voir»

Bernard Descôteaux: «mon successeur devra agir vite»

 

You may also like...