«Contextualisée, la nouvelle devient souvent plus plate»

La viande transformée est hautement cancérigène et la viande rouge le serait aussi «probablement». C’est ce que conclut un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publié lundi et largement repris dans les médias depuis le début de la semaine. De quoi s’inquiéter? Oui, à en croire tout le battage médiatique. Mais pas vraiment, si l’on se fie au billet de blogue du Dr Alain Vadeboncoeur sur le site de l’Actualité. Le seul ou presque, dans tout ce brouhaha, à avoir pris le temps de mettre la nouvelle en contexte. ProjetJ lui a parlé ce matin.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

ProjetJ: La nouvelle a-t-elle été bien couverte par les médias?

UpmyzxSwDr Alain Vadeboncoeur: L’information principale est simple et elle a été transmise, c’est la hausse de 18% du risque de développer un cancer colorectal à chaque 50 grammes de viandes transformées consommés quotidiennement. C’est juste en soi mais ça ne veut pas dire grand-chose si on ne contextualise pas. 18 % de risque supplémentaire, qu’est-ce que ça signifie si on ne connait pas risque au départ de contracter ce type de cancer. Or, la plupart des médias, dans un premier temps, donnaient l’information brute, sans l’expliquer. Un peu plus tard, sont venues quelques explications. C’est à ce moment-là que moi-même, j’ai publié mon billet.

On sait que quiconque entend le mot «cancer» est porté à écouter et à s’inquiéter. N’était-il pas du devoir du journaliste de mettre cette nouvelle en contexte afin de ne pas inquiéter inutilement le public?

Nous sommes dans des notions complexes. Le risque absolu versus le risque relatif. C’est ce que j’explique dans mon papier. Si je prends les données concernant le cancer du colon au Canada, il frappe 7,2 personnes sur 10 000 chaque année. Si j’ajoute le 18 %, nous arrivons à 8,5 pour 10 000… dis comme cela, ça parait moins inquiétant, mais c’est exactement le même chiffre. Le problème, c’est que beaucoup de journalistes ne connaissent pas ces notions de risque absolu et risque relatif. Ils ne sont pas les seuls d’ailleurs. Même certains médecins se font avoir. Et puis, dite comme je viens de l’expliquer, la nouvelle devient beaucoup plus plate.

En fait, il n’y avait pas vraiment de nouvelle…

Il y en avait une, sinon ça n’aurait pas pris cette ampleur. Mais c’est un fait que lorsqu’une nouvelle est mise en perspective, parfois, souvent même, il n’y a plus vraiment de nouvelle.

Ce battage médiatique vient-il du fait qu’il n’y a pas assez de journalistes scientifiques dans nos médias?

[Deux prochains paragraphes modifiés à la demande de l’interviewé]

Il y en a et de très bons même… mais je ne crois pas que ce soit eux qui aient fait tourné l’information lundi. C’est dommage qu’on ne les entende pas plus car il y a tant à expliquer. On parle souvent du fait que nombre de nos concitoyens sont incapables de comprendre un texte simple. Mais du point de vue des mathématiques, je ne suis pas sûr que lorsque tu dis à quelqu’un que ça augmente de 20 %, il soit capable de visualiser ce que ça veut dire. Cette semaine, j’ai fait un sondage pour tenter de démêler ce que le public avait compris de cette histoire de viande cancérigène. J’ai eu 1500 répondants, ce n’est pas rien. Eh bien une majorité d’entre eux confondent «18 % de risques supplémentaires» avec «18 fois plus de risques». D’autres croient que le risque passe de 2 à 20 %. Il faut réussir à se mettre au niveau du public afin de lui faire comprendre l’information qu’on a à faire passer.

Il faut donc partir du principe que le public n’est pas capable de comprendre un pourcentage…

Il faut effectivement l’analyser pour lui, illustrer, donner des exemples, trouver des façons d’expliquer ce que ça représente, 18 %. Mais je ne crois pas qu’il faille le faire qu’avec les sujets scientifiques. Les données brutes parlent rarement d’emblée. Je ne sais pas s’il existe des recherches sur le sujet, mais je serais curieux de savoir ce que le public comprend réellement de ce que les médias racontent jour après jour. Vulgarisons-nous assez? Je n’en suis pas certain.

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(Photo tirée de Twitter)

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