Madeleine Poulin: «j’envie les jeunes journalistes d’aujourd’hui»

Madeleine Poulin recevra le 22 novembre prochain lors de la soirée de gala du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) le prix Judith-Jasmin Hommage. L’occasion pour ProjetJ de revenir avec elle sur sa carrière de pionnière.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

ProjetJ: Lorsque vous entrez à Radio-Canada en 1968, la profession de journaliste est plutôt embrassée par des hommes. Qu’est-ce qui vous pousse à entrer dans une salle de nouvelles?

Madeleine-PoulinMadeleine Poulin: À l’époque, il n’y avait pas de cours de journalisme. Je faisais donc des études de lettres. Mon premier contact avec la SRC, ça a été comme réceptionniste. Un travail d’été. Très vite, j’ai compris que ce qui était intéressant, c’était la salle des nouvelles… l’été suivant, j’ai passé un test et je suis devenue rédactrice. Mais l’année universitaire redémarrait et je suis partie faire ma thèse à Oxford en Angleterre. L’été suivant, j’étais de nouveau à la salle de nouvelles… je ne l’ai quittée que presque trente ans plus tard! Tout ça pour dire que je n’avais rien prévu. Je ne savais pas trop quoi faire. Je m’imaginais plutôt aller vers le professorat. Mais j’ai été happée par le journalisme. Des années plus tôt, alors que nous regardions Judith Jasmin à la télévision, ma mère m’avait dit que je pourrais faire comme elle… je lui avais répondu «ben voyons, maman!»

Vous avez pourtant marché sur ses pas: première femme québécoise correspondante à Ottawa, puis à Paris, reporter en zone de guerre, vous avez été une pionnière dans l’industrie. En aviez-vous conscience à l’époque?

En fait, ça me terrifiait! Pendant toutes ces années, j’étais atteinte du syndrome de l’imposture. Il n’y avait que des hommes autour de moi et j’ai toujours ressenti une pression. Il me semblait qu’il fallait que je travaille plus, que je me pose plus de questions. Avec le recul, je m’aperçois à quel point ces années ont été très stressantes pour moi.

C’est une pression que vous vous mettiez vous-même, ou était-elle réelle?

Les deux, je crois. Quand j’ai quitté en 1997, nous étions toute une gang de femmes et nous savions qu’on nous appelait «les jupes». Un sobriquet péjoratif en référence à la façon supposée dont nous avions obtenu nos postes… Cela dit, il y a eu des différences selon les époques ou selon les sensibilités de chacun, des cadres notamment. À mon arrivée, j’étais encore toute jeune rédactrice lorsque Marc Thibault, qui était à l’époque le directeur de l’information à Radio-Canada, est venu me voir pour me demander pendant combien de temps j’allais rester devant mon «piano». Moi, j’étais bien contente de faire ce travail, mais lui avait vu que je pouvais pratiquer le journalisme actif, aller sur le terrain. Parfois, une parole peut changer une vie. Pour moi, il y a eu celle de ma mère, et je crois aussi celle de M. Thibault. Mais, malgré tout, la misogynie régnait dans la salle de nouvelles à l’époque. Et même s’il y a plus de femmes aujourd’hui dans les médias, je ne suis pas certaine qu’elle ait totalement disparue.

Après Paule Beaugrand-Champagne en 2010, vous n’êtes d’ailleurs que la deuxième femme à recevoir ce prix Judith-Jasmin Hommage, remis depuis 2005…

C’est un prix qui est remis en fin de carrière, donc je crois que ça reflète bien le fait que jusque-là, ce sont plutôt des hommes qui ont dominé le métier. La proportion est sans doute juste. J’espère seulement qu’à partir de maintenant, les choses vont changer.

Vous avez quitté Radio-Canada en 1997, profitant d’un plan de départ à la retraite anticipée dans un contexte de compression. Vous avez évoqué le climat de travail au sein de la SRC pour justifier votre décision. Le regrettez-vous aujourd’hui?

Absolument pas. Je crois que j’avais fait le tour du jardin. À l’époque, beaucoup de gens ont évoqué le fait que de nombreuses femmes étaient parties à ce moment-là, regrettant le fait que Radio-Canada ne les ait pas retenues, ne leur ait pas proposé des défis assez intéressants. Il y a du vrai. Mais de mon point de vue, ce n’était pas que cela. Je regardais les jeunes dans la salle de nouvelles. Ceux qui avaient 35-40 ans à l’époque. Ça bouillonnait, ils avaient de l’énergie, de la créativité, de l’imagination. Je me disais que le futur leur appartenait. Sans doute, étais-je un peu lasse de ce rôle de pionnière que j’avais joué. Ça avait été emballant de le vivre, enthousiasmant. Mais j’étais fatiguée. Le degré d’anxiété avec lequel j’avais vécu les premières années avaient été trop élevé. Tout ça m’a poussée à partir. J’ai continué ensuite, d’abord à TV5, puis en animant des colloques sur des sujets qui m’intéressaient. J’ai terminé avec les forums de la commission Bouchard-Taylor. Non, vraiment, je ne regrette pas d’être partie à ce moment-là. Surtout lorsque je regarde ce qui se passe aujourd’hui à Radio-Canada.

Vous ne voudriez plus être journaliste aujourd’hui…

Je ne voudrais pas être à Radio-Canada… je ne regarde d’ailleurs plus l’information à la télévision, en grande partie à cause de la publicité. À mon époque, l’information était sacrée, jamais on aurait accepté que des annonces puissent entrecouper un bulletin de nouvelles. Je trouve cela très choquant. Cela dit, j’envie les jeunes journalistes d’aujourd’hui. Oui, il y a des défis à relever, la vitesse, le modèle d’affaires. La profession est très éclatée. Mais les technologies aident beaucoup. Toutes ces réponses que l’on peut avoir au bout des doigts. Tous les moyens de vérification. Les possibilités de multiplier les sources. J’aurais tellement aimé travailler avec ces outils. Imaginez, lorsque j’étais correspondante au Liban en 1982 lors du siège de Beyrouth. Je n’avais qu’un appareil de radio ondes courtes pour communiquer. J’allais voir le fil de l’AFP une fois pas jour. J’étais sur un terrain, mais en même temps, il y a avait des tractations diplomatiques, il y avait d’autres combats sur d’autres fronts. C’était très difficile d’avoir de l’information. Et pourtant, je devais parvenir à contextualiser… c’est difficilement imaginable pour un jeune journaliste.

Vous avez couvert de nombreux terrains, mais le Québec se souvient surtout de votre entrevue avec Pierre-Elliott Trudeau, pourfendant le projet d’accord du Lac Meech. Tout le monde s’accorde à dire que c’est un des grands moments de télévision. En avez-vous eu conscience à ce moment-là?

Dès que je suis sortie du studio, j’ai su que c’était de la bonne télé et que tout le monde parlerait de ça le lendemain. Je ne pensais cependant pas qu’on en parlerait encore près de trente ans plus tard! D’autant que je crois avoir fait des choses plus intéressantes dans ma carrière… Cela dit, on parle de cette entrevue comme d’un moment gênant. Je ne l’ai pas ressenti comme cela et je ne me suis pas sentie démolie. M. Trudeau venait défendre son point et moi, je lui posais les questions que j’imaginais être celles de mon auditoire. Chacun a joué son rôle devant la caméra. Mais cela dit, j’ai eu à le côtoyer à plusieurs reprises dans ma carrière et je me suis toujours bien entendue avec lui.

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(Crédit photo: Radio-Canada)

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