«Je suis un journaliste de la précarité»

Deux candidats s’opposent actuellement dans la course à la présidence de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Deux candidats au profil atypique, au parcours non rectiligne, appartenant à la nouvelle génération, et qui incarnent le nouveau visage du journalisme. Deux candidats qui furent un temps d’ailleurs, rédacteurs en chef de ProjetJ, preuve sans doute de leur intérêt à réfléchir à l’avenir de leur métier. Deux candidats que les membres de la fédé devront départager d’ici samedi. Besoin d’aide? Aujourd’hui et demain, l’Observatoire du journalisme vous les présente en cinq points. On commence par le challenger, Jean-Philippe Cipriani.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

 1. Son parcours

130323_3y35g_lasphjere_jeanphilippecipriani_sn635Jean-Philippe Cipriani est journaliste depuis une quinzaine d’années et il incarne parfaitement cette nouvelle génération de journalistes touche-à-tout que la révolution numérique a engendrée. Reporter, chroniqueur, blogueur et animateur. Radio, télévision, presse écrite et web. Sport, arts et culture, économie, information internationale. Surnuméraire et pigiste principalement, sauf durant quelques mois en 2012, lorsqu’il devient Chef des nouvelles du Huffington Post Québec naissant. Sa carrière se déroule cependant principalement à Radio-Canada, où l’on peut notamment l’entendre actuellement dans l’émission Plus on est de fous, plus on lit. Il y traite de l’actualité vue par les livres.

Un parcours loin d’être tout tracé donc. Il fustige d’ailleurs les différentes voix qui se sont levées depuis l’annonce de sa candidature pour dénoncer son appartenance à l’Union des artistes (UDA). C’est nier selon lui, le nouveau visage du journalisme, fait de précarité et de petits contrats, qui dépendent parfois de l’UDA. L’exclure, ce serait exclure avec lui toute une frange de la profession, exclure une grande partie des jeunes journalistes notamment, qui n’ont pas d’autre choix que de s’adapter à la nouvelle réalité du métier.

2. Son regard sur le métier

Si le modèle d’affaires a changé, si le métier fait souvent aujourd’hui l’objet de critiques de la part du public, il reste passionnant et nécessaire, selon lui.

«De plus en plus nécessaire même, affirme-t-il. Alors, oui, il y a de quoi être inquiet lorsque l’on regarde les coupures à la fois dans les postes et dans les budgets. De quoi être inquiet quand on nous demande d’aller toujours plus vite avec de moins en moins de moyens. Jusqu’où est-ce que cela ira? Et à quel point cela peut altérer la qualité de l’information? On doit se poser ces questions. À multiplier les contrats et à avoir des deadlines de plus en plus courtes, il y a toujours un danger qu’on tourne les coins ronds, ou que certains quittent la profession. C’est un réel danger pour la démocratie.»

Pas de danger que lui la quitte en tout cas. Malgré tous les défis, il estime toujours embrasser le plus beau métier du monde. Un métier qui lui permet de rencontrer chaque jour des gens passionnants.

3. Ses priorités

Il faut selon lui, renouer avec le public, de plus en plus critique vis-à-vis de la profession et de ses artisans. Pour cela, il préconise la mise en place d’un programme d’éducation aux médias et au journalisme. Et si ce dialogue avec le public est important, c’est que de grands enjeux se dessinent dans les prochains mois tant à Ottawa qu’à Québec, avec le renouvellement des lois fédérale et provinciale sur l’accès à l’information.

«Nous devons avoir l’appui du public là-dessus, affirme-t-il. Si le public ne nous suit pas, s’il n’estime pas que nous sommes les chiens de garde de la démocratie, nous n’aurons aucun poids face aux politiques et ils pourront mettre ce qu’ils veulent dans leur texte. Or, si ces lois sont trop restrictives, si, comme c’est le cas actuellement, elles ne sont qu’une liste d’exceptions, nous ne pourrons pas jouer efficacement notre rôle de sentinelle, rôle essentiel dans toute démocratie.»

Élu, Jean-Philippe Cipriani souhaite également prendre à bras le corps le sort de l’information en région, à la fois sur la question des pressions qui s’exercent sur les artisans de la part de certaines municipalités, et sur le manque de diversité depuis le rachat des hebdomadaires de Québecor par TC Média et la disparition de plusieurs titres. Les deux étant bien entendu liés. Dans le même ordre d’idée, il entend également s’attaquer à la montréalisation de l’information.

Quand je vois que l’on ouvre un Téléjournal national par un bouchon sur le pont Champlain, illustre-t-il… le reste du Québec s’en fout!»

Autres points qui lui tiennent à cœur et pour lesquels il se battra s’il obtient la présidence de la FPJQ, la place des femmes dans le métier et l’information internationale.

«Sept des huit correspondants de Radio-Canada à l’étranger sont des hommes, note-t-il. Ça veut dire qu’il y a encore du travail à faire sur ce plan-là. Quant à l’information internationale, elle manque cruellement. Or, on ne peut comprendre le monde d’aujourd’hui sans expliquer ce qui se passe ailleurs. C’est d’autant moins compréhensible qu’elle n’a jamais été aussi peu cher à produire.»

4. Ses atouts

«Voter pour moi enverrait un message intéressant, estime-t-il. Je ne suis pas un journaliste bien assis dans ma chaise. Ça entérinerait en quelque sorte que la profession a changé. Je représente cette part de plus en plus grande de nos collègues qui vont de contrats en contrats. Je serais d’ailleurs capable d’aller les chercher et de les ramener à la FPJQ.»

Jean-Philippe Cipriani met donc de l’avant sa polyvalence et sa compréhension des différents visages du métier pour parvenir à rassembler tous les journalistes, quel que soit leur statut.

La multiplicité de ses expériences lui ont permis également de rencontrer des gens très hétéroclites. Un carnet d’adresse qu’il saura ouvrir afin de mener tout un travail de lobbying, notamment sur la question de l’accès à l’information.

5. Son point de vue sur le statut de journaliste

À chaque fois que la FPJQ a ouvert le débat sur le statut ou le titre de journaliste professionnel, les discussions ont été plus que houleuses, soutient M. Cipriani. Faudra-t-il pourtant le rouvrir une énième fois?

«S’il y a un appétit pour cela, oui, je le rouvrirai, répond-il. Mais il faudra que ça vienne des membres. Je sais que les journalistes précaires, ceux qui sont en région également, y sont plus souvent favorables que les autres. Si je sens une demande forte, je n’hésiterai à rouvrir le dossier.»

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(Photo: Radio-Canada)

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