«Nous ne devons pas être les petits soldats de nos entreprises»

Deux candidats s’opposent actuellement dans la course à la présidence de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). Deux candidats au profil atypique, au parcours non rectiligne, appartenant à la nouvelle génération, et qui incarnent le nouveau visage du journalisme. Deux candidats qui furent un temps d’ailleurs, rédacteurs en chef de ProjetJ, preuve sans doute de leur intérêt à réfléchir à l’avenir de leur métier. Deux candidats que les membres de la fédé devront départager d’ici samedi. Besoin d’aide? L’Observatoire du journalisme vous les présente en cinq points. Hier, le challenger, Jean-Philippe Cipriani, aujourd’hui, la présidente sortante, Lise Millette

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

  1. Son parcours

fL1fyB8dLise Millette écrit ses premières piges en 1998, un an avant de sortir diplômée du baccalauréat en communication de l’Uqàm.

«Je me suis longtemps demandé ce que j’allais faire dans la vie, raconte-t-elle. Pourtant, tout en moi me menait au journalisme. Au secondaire déjà, j’avais créé mon propre journal pour pouvoir écrire entre chaque publication de celui qui existait déjà. Mais c’est au Cegep que je choisis vraiment ma voie. Je voulais embarquer en droit ou en psycho. Je m’intéressais à tellement de chose, la politique, l’éducation, la vie sociale. Je me suis dit que le tronc commun à tout cela, c’était le journalisme et je ne le regrette pas.»

En un peu plus de quinze ans de carrière, Lise Millette a touché à presque tout. Presse écrite, radio, télévision, web, magazine, en tant que pigiste, surnuméraire ou à l’interne. À Montréal et en région. Elle reste plusieurs années au service radio de la Presse Canadienne tout en dirigeant le magazine Trente. Depuis le printemps 2014, elle est responsable de la section Argent sur Canoë.ca.

«Je crois que si j’étais aujourd’hui sur les bancs de l’école, on me diagnostiquerait probablement une hyperactivité», conclut-elle.

2. Son regard sur le métier

Elle le clame haut et fort: elle n’a jamais regretté d’avoir entrepris le métier de journaliste.

«J’ai toujours été quelqu’un d’engagé, affirme-t-elle. Et je suis une idéaliste. Alors, lorsque je regarde le chemin que prend notre profession, je ne peux m’empêcher d’être optimiste. Oui, la façon dont nous portons l’information au public a changé. Mais l’ADN de notre métier reste le même. La cueillette, le doute méthodique, le recoupement, la vérification, c’est là pour rester même si c’est vrai que nous avons moins de temps pour le faire. Cela dit, j’ai toujours surtout travaillé dans le breaking news, dans l’évolution de la nouvelle pas à pas. Je suis plutôt une sprinteuse. Pour les marathoniens, ceux qui auraient besoin de plusieurs jours, plusieurs semaines pour sortir une nouvelle, c’est plus compliqué. Car le véritable enjeu, ce sont les finances.»

Mais Lise Millette apprécie finalement de travailler dans une ère où toute une diversité cohabite. Des informations internationales, nationales, mais aussi très, très locales. Des nouvelles très vite oubliées et des enquêtes de longue haleine. Et chacun trouve la plateforme qui lui correspond le mieux.

«Le journalisme doit permettre aux gens de s’outiller afin qu’ils puissent se faire leur propre idée, résume-t-elle. Oui, nous sommes un peu malmenés aujourd’hui en tant qu’artisans de l’info. Oui, les technologies font en sorte que nous ne sommes plus les seuls à pouvoir produire de l’information et à la diffuser. Mais, quand même, je crois qu’aux yeux du public, nous restons crédibles. Ce sont nos reportages qui sont relayés sur les médias sociaux même si le journalisme citoyen prend lui aussi sa place. D’une certaine manière, je trouve cela pertinent et sain que d’autres que nous s’investissent sur le terrain de l’information.»

3. Ses priorités

Son grand objectif demeure de fédérer tous les acteurs de la profession. Lise Millette ne veut en effet pas d’une fédération élitiste. Elle souhaite ramener au sein de la FPJQ tous les journalistes, quelles que soient leurs affiliations.

«Nous ne devons pas être les petits soldats de nos entreprises, clame-t-elle. Nous sommes journalistes avant toute chose et nous devons nous solidariser parce que notre profession est menacée. Les lockouts que nous avons vécus il y a quelques années nous ont fait du mal, la fédération a été parfois critiquée pour son action ou son inaction. On doit maintenant mettre tout cela derrière nous.»

Elle se plait d’ailleurs à croire que sur le terrain, cette solidarité est en train de naitre. Ce sont les photographes, qui lors de la couverture des manifestations ce printemps, se sont surveillés les uns, les autres pour leur sécurité à tous. Ce sont aussi, lors d’un point de presse du maire de Québec Régis Labeaume, les journalistes Québecor qui partagent leur enregistrement avec ceux à qui l’édile avait interdit l’accès.

Car la voilà la menace, et c’est à cela que Lise Millette compte s’atteler si les membres de la FPJQ lui renouvellent leur confiance: l’accès à l’information. Avec d’un côté le renouvellement des lois tant à Québec, qu’à Ottawa. De l’autre, la multiplication des cas d’entraves à la liberté d’informer que les journalistes, notamment en région, ont à subir.

«Tout est lié, explique-t-elle. Il y a de moins en moins d’organes en région, donc de moins en moins de journalistes, de moins en moins puissants car ils n’ont plus une large équipe derrière eux pour les soutenir. Face au peu de résistance, les maires et les fonctionnaires se croient alors tout permis. Pour nous défendre, il est nécessaire que les lois sur l’accès à l’information, qui doivent être renouvelées, soient fortes et sans ambigüité.»

4. Ses atouts

 «J’ai l’expérience de l’avoir fait dans les derniers mois!»

Lise Millette est en effet arrivée à la tête de la FPJQ en janvier, suite à la démission de Pierre Craig pour raison de santé. Avant cela, elle était passée par tous les postes ou presque à la fédération. Arrivée à la présidence quelques jours après les événements de Charlie Hebdo à Paris, son agenda a été chargé. Liberté d’expression, entraves à la liberté l’expression, mémoire sur les orientations gouvernementales en matière d’accès à l’information… les dossiers se sont succédés sur son bureau.

«J’ai également l’expérience de vivre tout cela au quotidien au sein d’une salle de nouvelles, ajoute-t-elle. Je connais beaucoup de journalistes aux profils très divers. J’ai été cinq ans à la PC et tout le Québec s’y abreuve. J’ai fait de la radio et de la télé communautaire, c’est une forme de journalisme dont on entend peu parler. Au Trente, j’ai fait collaborer des plumes expérimentées et des plus jeunes. Je connais bien aussi le journalisme indépendant. Aujourd’hui à QMI, je traite avec des journalistes d’un peu partout.»

Elle croit ainsi pouvoir fédérer tous ces visages du journalisme afin que rassemblée, la profession soit plus forte et mieux outillée pour affronter tant les pouvoirs publics que les propriétaires de médias.

5. Son point de vue sur le statut de journaliste

«C’est un débat douloureux depuis plusieurs années, estime-t-elle. Il est revenu sur la table en 2009 après la publication du rapport Payette et la ministre Christine Saint-Pierre avait démarré les consultations. À l’époque, la FPJQ avait mené un sondage auprès de ses membres et 87% d’entre eux souhaitaient qu’on fasse quelque-chose. Et puis, ça a échoué en 2011.»

Est-ce qu’elle rouvrirait le débat?

«Bien sûr, tout le monde a le droit de s’exprimer, répond-elle. Mais se dire journaliste, c’est autre chose. Est-ce qu’il faudrait «protéger» l’appellation «journaliste professionnel», statuer sur ce qui le définit. L’idée du titre chemine toujours du côté de l’Association des journalistes indépendants (AJIQ) et du Conseil de presse notamment. Si les membres de la FPJQ le souhaitent eux-aussi, il faudra le considérer.»

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(Photo: Twitter)

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