Des cafés Ublo pour briser l’isolement des pigistes

Qu’ils l’aient choisi ou non, qu’ils envisagent ce statut comme temporaire ou que ce soit une manière de vivre, les journalistes indépendants sont de plus en plus nombreux dans le métier. La faute aux compressions dans les grands médias mais aussi au numérique, qui donne la possibilité aux plus entrepreneurs d’entre eux, de lancer leur propre média sur le web à relativement peu de frais. Le plus difficile selon eux? Briser la solitude, répondent-ils. ProjetJ a rencontré Anabel Cossette Civitella et Gabrielle Brassard-Lecours, deux journalistes à l’origine des cafés Ublo.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

 Tout a commencé en 2012. L’idée ambitieuse de départ était de créer un lieu pour les pigistes, un espace coworking pour que tout le monde puisse travailler sur ses propres projets tout en sortant de l’espace confiné de son salon.

«On trouvait ça difficile d’être seul, notre objectif était donc de créer une communauté pour briser l’isolement, raconte Gabrielle Brassard-Lecours, journaliste indépendante et cofondatrice du média lui aussi indépendant, Ricochet. En même temps, ça permettait de partager des ressources. Les six premiers mois, l’espace nous avait été prêté, c’était vraiment pas cher, mais ce n’était pas l’idéal parce qu’on n’était pas chez nous. Or, il y avait une demande de la part des pigistes d’avoir un lieu à eux. On a alors déménagé dans un endroit qui coutait 120 dollars par mois. Et là, tout le monde n’a pas suivi… on s’est rendu compte qu’entre l’envie d’avoir un espace hors de la maison et le fait de devoir payer un deuxième loyer, il y a un souvent un gouffre.»

L’expérience a donc pris fin au bout de dix-huit mois. En cause, le manque de solidarité du milieu, les pigistes gagnant assez bien leur vie pour se payer un bureau ne voyant pas vraiment leur intérêt à aller travailler avec d’autres, et ceux qui auraient besoin de ce mini-réseau n’ayant pas le luxe de se l’offrir.

«Et pourtant, on savait tout ce que ça pouvait nous apporter, ajoute Anabel Cossette Civitella. En septembre 2014, après mes études et plusieurs stages, je me suis lancée complètement à la pige. Là, je me suis dit que j’allais capoter, toute seule dans mon coin. J’ai voulu relancer le réseau. C’est comme ça que le concept de Café Ublo est né. On se rencontre dans des cafés, l’après-midi, pour travailler.»

12309827_10153156784446402_7410825423044079771_oTravailler et échanger

Tous les quinze jours, parfois chaque semaine, une dizaine de pigistes – parfois trois, parfois quinze – font ainsi l’effort de sortir de leur appartement pour aller travailler avec d’autres. L’ambiance est à la fois studieuse et conviviale. Il y a ceux qui travaillent sur leurs projets, d’autres qui espèrent y trouver des contacts.

«Chacun arrive avec son carnet d’adresses, explique Anabel. Certains ont une plogue à l’Actualité, d’autres à La Presse, au Devoir ou ailleurs. C’est sûr que ceux qui viennent sont plutôt ceux qui n’ont pas peur de partager leur réseau. Car, il ne faut pas se voiler la face, le milieu est très compétitif et il y en a beaucoup qui ne souhaitent pas ouvrir leur carnet aux autres.»

Mais les deux journalistes sont unanimes, ces séances de travail sont très profitables. Elles permettent à la fois d’avancer plus vite sur son travail parce qu’elles donnent la possibilité d’en discuter et ainsi d’entrevoir d’autres pistes, d’autres angles. Elle permettent également d’échanger sur ses angoisses existentielles, de calmer ses peurs.

«C’est très instable la pige, commente Gabrielle. Nombreux sont ceux qui ont peur de ne pas se trouver de contrats ou de ne pas être capable de fournir à temps. Voir que d’autres réussissent à en vivre, ça rassure. D’un autre côté, quand tu es bloqué sur ton titre ou ton lead, le groupe va pouvoir t’aider à avancer. Tu peux être relu aussi et ça, c’est très précieux, notamment quand on doit envoyer une première pige à un éditeur. Il y a plein d’intérêts à se retrouver.»

Des rencontres formatrices

Ces réunions peuvent également aboutir à des travaux en commun. Plusieurs binômes, journaliste et photographe notamment, ont commencé à collaborer après une rencontre dans un café Ublo.

«Arriver devant un éditeur avec un produit clé en main, c’est sûr que c’est un plus, affirme Anabel. Pouvoir livrer à la fois du texte, de la photo et même de la vidéo, ça peut faire en sorte de convaincre. Moi, je serais peut-être capable de le faire toute seule mais moins bien que si je vais sur le terrain avec quelqu’un qui s’occupe de l’image. Tu peux négocier un contrat global et ensuite te partager le deal. D’un côté, c’est sympa de travailler avec quelqu’un, de l’autre le produit est bien meilleur.»

Et même si ces rencontres n’aboutissent pas à des reportages en binôme, le fait de pouvoir travailler aux côtés d’autres journalistes a un aspect très formateur.

«Il m’arrive de vendre mes photos quand je vais seule sur le terrain, indique Anabel. En côtoyant des photojournalistes, j’ai pu leur demander des conseils, notamment sur le traitement informatique. Je me suis vraiment améliorée.»

12304040_10153156786516402_5942856194253247513_oSi la formule semble donc fonctionner, les deux journalistes assument qu’organiser les rencontres dans un café pose parfois des problèmes techniques.

«Il arrive que la connexion internet ne soit pas à la hauteur, explique Gabrielle. On s’est déjà retrouvé dans un lieu où il n’y avait pas de table, un autre, pas assez de prises de courant. Il a fallu changé au dernier moment.»

Les deux dernières rencontres ont d’ailleurs eu lieu à la Halte 24-7, un espace de coworking sur le Plateau-Mont-Royal. Parce que Ricochet y a ses bureaux, les propriétaires avaient prêté une salle de conférence pour l’occasion. L’expérience semble avoir fait des adeptes et pourrait donc se répéter.

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Pour savoir où et quand auront lieu les prochaines rencontres, visitez la page Facebook du Café Ublo.

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