«Le malaise PKP», un problème complexe

C’est ce qui ressort d’un travail indépendant mené par le Centre d’études sur les médias (CEM) et publié aujourd’hui. Un rapport de quatre-vingt pages qui contextualise la situation créée par l’élection de Pierre Karl Péladeau à l’Assemblée nationale puis à la chefferie du Parti Québécois, décortique des exemples étrangers et approfondit les solutions avancées par les uns et les autres depuis dix-huit mois. Un rapport qui ne formule pas de recommandations mais qui donne plutôt quelques pistes.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Florian-Sauvageau«C’est un problème éminemment complexe qui ne va se régler en deux coups de cuillère à pot!, résume le président du conseil d’administration du Centre d’études sur les médias et professeur émérite, Florian Sauvageau, en entrevue à ProjetJ. C’est ce que nous avons voulu souligner dans ce rapport. Il y a divers aspects dont il faut tenir compte et il n’y a pas de solution magique.»

Depuis que Pierre Karl Péladeau, propriétaire de Quebecor s’est lancé en politique, le petit monde du journalisme est en plein émoi. Avec cette question qui tourne en boucle, les journalistes de l’empire Quebecor peuvent-ils réellement être libres de tout dire et écrire, notamment sur ce qui a trait à la politique provinciale?

«Il y a deux aspects du problème, explique M. Sauvageau, d’un côté, le fait de savoir si M. Péladeau, Premier ministre, pourrait prendre des décisions de nature à favoriser ses entreprises, de l’autre, et c’est ce sur quoi nous nous sommes concentrés, le fait de savoir si les journalistes travaillant dans les médias appartenant à Quebecor, sont aujourd’hui libres d’écrire, et ce dans l’éventualité où Pierre Karl Péladeau redeviendra un jour leur patron. Qu’adviendra-t-il de ceux qui auront publié des choses de nature à le mécontenter?»

Une réalité d’autant plus vraie dans le contexte de crise que traverse l’industrie médiatique et qui laisse de nombreux journalistes sur le carreau. D’autant plus vraie également que l’univers médiatique est des plus concentrés. Le groupe Quebecor détient ainsi 32 % de l’audience sur le terrain de la presse écrite au Québec et 70 % des parts de marché télévisuelles… de quoi peut-être réfléchir à deux fois – consciemment ou inconsciemment – avant de risquer de perdre son poste.

Des mesures déontologiques

Afin de mettre fin à la polémique, le CEM entrevoit trois pistes de solution. La première est de nature réglementaire et législative mais, de l’aveu même des auteurs, elle se frotte à de trop nombreux écueils pour qu’elle soit réaliste. Il est en effet difficile d’envisager une loi qui ne cible que les journalistes de Quebecor et tant les médias que nombre de journalistes émettent de sérieuses réserves à ce que l’État viennent mettre son nez dans leurs affaires. Les gouvernements sont eux aussi réticents à légiférer sur le sujet de peur de ne toucher à la sacro-sainte liberté de la presse. Et s’il tentait de le faire, il devrait respecter la constitution et les chartes. En outre, le fait que la presse écrite soit de juridiction provinciale et les médias électroniques de juridiction fédérale complexifie encore un peu les choses.

La deuxième piste à explorer, plus crédible celle-ci, est à mettre dans la cour de la direction de Quebecor et de son conseil d’administration. Ce sont les mesures déontologiques.

«Pierre Karl Péladeau s’est retiré, explique Florian Sauvageau. Il a mis ses actions dans un mandat sans droit de regard et il a déclaré sur l’honneur qu’il ne s’immiscerait pas dans les affaires de l’entreprise. C’est donc maintenant au conseil d’administration d’agir. À lui de donner des garanties de sa bonne foi au-delà des promesses de non-ingérence. Ça peut prendre plusieurs formes comme le retour du groupe au sein du Conseil de presse, la signature de contrats assurant l’autonomie éditoriale des rédacteurs en chef, ou encore la nomination d’un éditeur public ou d’un ombudsman. Autant de mesures de nature à rassurer la profession et le public.»

Pas de solution miracle

La troisième piste de solution se trouve dans le débat public, qui doit, selon les auteurs du rapport, perdurer.

«C’est un ensemble de mesures que pourrait prendre Quebecor, et un débat public soutenu, qui permettraient aux entreprises du groupe de démontrer clairement que leurs équipes jouissent de toute la latitude requise dans l’exercice de leur métier et dans la couverture des débats politiques, de dissiper les incertitudes et, peut-être, de rassurer les inquiets», peut-on lire.

Un débat public que les médias sociaux devraient soutenir. Certains croient que l’entreprise commerciale Quebecor a besoin de maximiser l’audience et qu’elle ne peut donc pas prendre le risque de s’aliéner une partie de la population en prenant des orientations partisanes. Or, 60 % de la population québécoise considère que cette situation inusitée est un enjeu important. Et cette population aura à voter en 2018 pour mettre ou non Pierre Karl Péladeau à la tête de la province.

«Il faut que les journalistes continuent à s’intéresser au sujet et qu’ils mettent sur la place publique tout ce qui leur semble être un abus, estime M. Sauvageau. C’est certain que ça être un sujet de la prochaine campagne. C’est certain que ça sera un sujet du débat. Chacun des chefs aura à se positionner. Et ce sera au public de trancher dans l’isoloir.»

Pour conclure, les auteurs estiment que la responsabilité d’une information libre et diversifiée ne peut reposer sur les seules épaules des journalistes. La diversité d’information et d’opinion est une affaire complexe. La pluralité des propriétaires n’est pas non plus le seul facteur qui influence la variété des contenus. La diversité des équipes rédactionnelles (âge, sexe, représentation ethnique, etc.), des sources l’information et des collaborateurs externes, des producteurs d’émissions, sont autant d’éléments qui garantissent le pluralisme et l’accès à toute une gamme de contenus. Il n’y a pas de solution miracle à ces problèmes difficiles, non plus qu’à la situation inusitée que crée la présence de M. Péladeau en politique.

Pour télécharger l’étude du CEM : Réflexions et mise en contexte de la situation créée par l’élection de M. Pierre Karl Péladeau

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