Le changement de cap du quotidien Métro

Projet J a visité la salle de nouvelles de Métro Montréal le jour de l’annonce du retour du journal dans les racks de la STM, et alors que l’équipe venait d’apprendre que leur journaliste de données, Naël Shiab, les quitterait prochainement, chassé par le magazine l’Actualité. Deux informations qui symbolisent à elles seules toute la nouvelle dynamique instituée par le nouveau rédacteur en chef Yannick Pinel, à la barre depuis l’été dernier. Et ce, alors que le quotidien gratuit célèbre ses 15 ans cette année.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

IMG_0629«Sur notre marché, on est numéro un à Montréal. On l’était lorsqu’on était dans les racks de la STM, on l’était lorsqu’on a perdu notre place au profit de 24 heures, et on continuera à l’être maintenant que nous revenons à l’intérieur des stations de métro», affirme Yannick Pinel.

Depuis ce matin, le journal Métro a en effet refait son apparition dans les présentoirs du réseau de métro de Montréal, après avoir remporté l’appel d’offres de la Société de transports de Montréal (STM). Une bonne nouvelle pour le rédacteur en chef, qui souligne qu’elles sont trop rares ces temps-ci dans l’industrie pour ne pas être appréciées à leur juste valeur lorsqu’elles surviennent.

«C’est une victoire et on ne va pas bouder notre satisfaction, commente-t-il. Notre concurrent, lui va devoir patiner avec ça. C’est une défaite pour lui et on préfère toujours être dans le camp de ceux qui gagnent. C’est plus motivant.»

Une victoire somme toute commerciale mais que Yannick Pinel ne peut toutefois pas complètement détacher de tous les efforts fournis par sa salle de nouvelles ces derniers mois, pour innover et chercher des solutions à la crise qui s’abat sur la presse papier depuis plusieurs années maintenant.

«Ce que je dis d’abord c’est que, malgré ce que martèle un Guy Crevier[1], ce n’est pas le papier qui est mort, c’est le papier payant, indique M. Pinel. Donc, chez nous, le papier reste au cœur. En revanche, depuis mon arrivée, je me suis engagé à ce que Métro devienne réellement un média multiplateforme. Je fais en sorte que le papier soit attractif, que les gens qui le prennent le matin aient une idée assez précise de ce qui se passe à la fois à Montréal, au Québec, au Canada et dans le monde. Je fais en sorte surtout que nous ayons nos propres sujets, nos exclusivités. Qu’en une, il y ait de moins en moins d’articles en provenance de la Presse canadienne. Mais la question que je me pose c’est, sur quel support, dans quel format, il sera la plus pertinent de traiter tel sujet. Parfois, certains d’entre eux se retrouvent sur le web et pas ailleurs. Parce qu’ils sont faits pour être là.»

Journalisme de données

IMG_0639Pour cela, Yannick Pinel a recruté dès son arrivée. Un journaliste de données d’abord, en la personne du jeune Naël Shiab, expert ès code et récipiendaire en novembre dernier de la bourse Arthur-Prévost décernée à un jeune journaliste prometteur. Tellement prometteur d’ailleurs qu’il s’en ira dans quelques jours rejoindre la salle de nouvelles du magazine L’Actualité.

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«Quand je suis allé le chercher au fin fond de l’Ontario, mes boss se sont posés des questions, raconte le rédacteur en chef. Ils se demandaient si c’était vraiment ça les grands changements que je voulais apporter… Le journalisme de données, personne n’en faisait vraiment au Québec. Aujourd’hui, il semble bien que ce soit devenu incontournable. Il semble bien de Naël soit une référence en la matière, et l’histoire se rappellera qu’il a vraiment démarré chez nous.»

Autre recrutement, une rédactrice web, chargée de gérer la communauté, de faire de la récriture et de mettre en place une véritable stratégie en matière de réseaux sociaux. Car si tous les journalistes partageaient déjà leurs papiers, M. Pinel voulaient aller plus loin. Savoir quoi partager à quel moment et sur quel réseau pour atteindre efficacement la cible.

«Et ça porte ses fruits, assure-t-il. Aujourd’hui, 50 % de notre audience vient de Facebook, ça nous oblige à y penser. Une bonne attaque, un bon visuel, c’est tout de suite 15 000 personnes de plus. Nous avons aussi mis en place un comité innovation qui se réunit tous les mois. Il y a plein de petites idées qui en sortent et que nous mettons en place rapidement. Parfois ça marche, d’autres non. Mais nous essayons. Évidemment, tout cela a un coût, les recrutements notamment. Mais j’ai la chance de gérer mon budget. J’ai dû faire des choix. Couper certaines chroniques par exemple.»

Repenser le workflow

En plus d’être le rédacteur en chef de Métro, Yannick Pinel est le directeur de l’information des hebdos montréalais de TC Média, dont les deux salles de nouvelles se trouvent dans l’arrondissement de Rivière-des-Prairies et dans la ville de Dorval. Quelques journalistes couvrent ainsi l’hyperlocal, qui depuis quelques mois a fait son apparition directement sur le site de Métro, sous un onglet dédié.

«Nous sommes le seul journal qui fait de la nouvelle véritablement depuis le coin de la rue jusqu’à l’international grâce à la marque Métro, affirme-t-il. Nos journalistes sont sur le terrain, même ceux qui travaillent pour les hebdos. C’est comme ça que nous avons sorti l’histoire de la démission du maire de Montréal-Nord, Gilles Deguire[2]. Deux fois par semaine environ, ce sont d’ailleurs les arrondissements qui font la une du papier. C’est très important pour nous car ça permet aux journalistes de la salle de nouvelles de se concentrer sur des sujets au long cours. Ils ne doivent pas produire forcément un, voire deux papiers par jour.»

IMG_0636En plus de recruter, à son arrivée, Yannick Pinel a repensé tout le workflow. Jusque-là, les journalistes travaillaient du dimanche au jeudi, et souvent de 9 à 5. Quelques personnes venaient le vendredi pour alimenter le web, mais la fin de semaine, alors que le papier n’est pas diffusé, il n’y avait aucune réactivité. Les horaires ont donc été revus. Il y a maintenant une équipe de jour et une de soirée, une rédactrice en chef de jour et une personne au pupitre qui prend le leadership en soirée. Quinze journalistes de jour et huit pupitreurs en soirée, tous journalistes et capables d’alimenter le web si une grosse nouvelle tombe. Les pages partent à l’impression vers 22 heures en général, mais il arrive d’aller jusqu’à minuit si l’actualité le requiert.

Monétiser les idées

«Nous avons également monté un studio vidéo et certains journalistes partent maintenant avec une caméra pour tourner les sujets qui s’y prêtent, indique le rédacteur en chef. Autre nouveauté, la section Curiocité, qui permet aux lecteurs de poser des questions concernant Montréal, questions qui pourront faire l’objet d’une enquête ou d’un reportage de la part d’un de nos journalistes. Ces articles sont particulièrement populaires. Ils se retrouvent souvent dans le top 5 de la semaine.»

Six mois après son arrivée, on peut donc dire que Yannick Pinel a déjà laissé sa marque au sein du quotidien qu’il dirige. De son aveu même, il reste cependant maintenant à monétiser toutes ces idées, le multiplateforme ne rapportant pas grand-chose. L’homme s’active donc pour conclure des partenariats.

Dans ce contexte, «je ne peux pas prédire si nous serons encore en vie dans cinq ans, avait-il confié alors qu’il participait en novembre dernier à l’un des panels du congrès de la FPJQ. Mais si l’on meurt, on le fera la tête haute car on aura tout fait pour l’éviter».

Difficile d’en douter en tout cas, à voir toute l’énergie et l’ardeur qu’il déploie.

[1] Président et éditeur de La Presse.

[2] M. Deguire a démissionné il y a quelques semaines. Il fait face à des accusations d’agressions sexuelles et d’attouchements sur un enfant de moins de 16 ans.

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