Chacun cherche (encore) son modèle d’affaires

Comment gagner de l’argent avec le journalisme? C’est la question que la Fondation pour le journalisme canadien (CJF) a voulu poser à plusieurs piliers de l’industrie. Réunis en panel dans le cadre d’une conférence J-Talk organisée à Toronto la semaine dernière, Phillip Crawley du Globe and Mail, John Cruickshank du Toronto Star et Pierre-Elliott Levasseur de La Presse étaient invités à en dire un peu plus sur leurs solutions à la crise et sur leurs résultats. Mais de chiffres, il n’y a pas eu. Ou presque.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Chef d’exploitation à La Presse depuis bientôt un an, Pierre-Elliott Levasseur a ouvert les débats. Selon lui, le principal problème des quotidiens aujourd’hui, c’est que le lectorat a vieilli de quinze en dix ans, et que les annonceurs eux, ne s’intéressent qu’aux 18-34 ans.

«Ceux qui ne parviendront pas à attirer une audience jeune auront des problèmes, affirme-t-il. C’est à cela que La Presse s’est attelée ces dernières années.»

Il raconte ensuite que le mur payant a très vite été mis de côté, soulignant que les jeunes n’étaient pas prêts à payer pour lire leurs nouvelles. La Presse a alors commencé à réfléchir à son application tablette en se donnant plusieurs années pour comprendre comment présenter l’information de manière à ce que les annonceurs acceptent de faire partie de l’aventure. Pari gagné selon le chef d’exploitation puisque selon lui, 85 % des revenus sont aujourd’hui générés par le numérique. Rappelons que depuis le mois de janvier, La Presse n’est plus offerte au format papier que le samedi.

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85 % donc. Ce qui représente combien? On ne le saura pas, M. Levasseur se cantonnant à dire que depuis le lancement de La Presse+, l’entreprise a réussi à réduire drastiquement ses pertes. Arguant du fait que La Presse est une entreprise privée, le chef d’exploitation n’ira pas plus loin dans les détails. Tout juste dira-t-il que son journal performe «significativement mieux» que ses concurrents, que l’équipe dédiée au développement technologique est passée de 15 membres à 140, et que la salle de nouvelles bénéficie de nombreux investissements.

Existe-t-il un modèle d’affaires pour soutenir cette créativité? Où est-ce tout juste un ultime baroude d’honneur?

La tablette, un ultime baroude d’honneur?

John Cruickshank, éditeur au Toronto Star, dira quant à lui n’avoir aucun chiffre à fournir pour l’instant, faute de recul suffisant. Du moins d’un point de vue comptable. Il dévoile cependant que le temps passé par les lecteurs sur la tablette croît de semaines en semaines, celui-ci étant passé de six à vingt-sept minutes par jour. L’éditeur note par ailleurs que contrairement à La Presse, le papier est là pour rester au Toronto Star. L’objectif est de multiplier les types d’expériences afin de toucher le plus large public possible.

«Nous sommes entrés dans l’ère de la créativité et nous avons maintenant la tablette, explique-t-il, faisant donc référence à l’application Star Touch lancée en septembre dernier après plusieurs mois de collaboration avec La Presse+. Mais existe-t-il un modèle d’affaires pour soutenir cette créativité? Où est-ce tout juste un ultime baroude d’honneur?»

L’un et l’autre sont en tout cas très satisfaits de l’influence de la tablette sur la moyenne d’âge. M. Levasseur affirme en effet que le lectorat est plus jeune de dix ans, alors que M. Cruickshank dit croire que son audience moyenne a maintenant entre 35 et 40 ans.

Quid de l’argent public?

Peu de chiffres à fournir donc, mais c’est quand même plus que ce qu’on arrivera à savoir du côté du Globe and Mail, son éditeur, Phillip Crawley, refusant catégoriquement de répondre à la question, et demandant à ce qu’on passe directement à la suivante.

Question suivante, donc: est-ce que l’argent public, ou encore celui provenant de fondations, pourrait être une solution à la crise que subissent les salles de nouvelles?

Le Guardian a perdu 25 % de ses revenus publicitaires dévolus à l’imprimé l’an dernier, contre 10 % en moyenne dans l’industrie.

M. Crawley n’y croit pas, mais alors pas du tout. Selon lui, les déboires financiers du Guardian sont bien la preuve que les médias qui ne sont pas gérés avec leur propre argent rencontrent des problèmes encore plus grands que les autres.

«Le Guardian a perdu 25 % de ses revenus publicitaires dévolus à l’imprimé l’an dernier, contre 10 % en moyenne dans l’industrie», indique-t-il.

Citant le penseur des années 30, Roy Thompson, il affirme ainsi que pour être légitime et justifier de son indépendance, il faut gagner son propre argent. Et de lancer quelques pics à CBC, un média avec lequel il se retrouve en compétition alors même qu’il est financé par ses propres impôts, dira-t-il.

John Cruickshank est moins sévère envers l’argent public. Il explique par exemple avoir dans sa salle de nouvelles, un reporter financé par la fondation Atkinson et qui fait un «travail fabuleux».

La soirée n’aura pas permis d’en savoir beaucoup plus sur les chances de succès de l’un ou de l’autre modèle mis en place par les différents quotidiens canadiens pour tenter de passer à travers la crise financière qui les frappent de plein fouet. Il aura plutôt servi à confirmer que l’industrie des médias ne fait pas exception : lorsqu’il s’agit de parler d’argent, les langues ont du mal à se délier.

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