L’éducation aux médias a désormais sa chaire de recherche

nlandryEt c’est Normand Landry, professeur à la Téluq qui en est le détenteur. C’était dans l’air depuis plusieurs mois mais l’annonce en a officiellement été faite il y a deux semaines. L’équipe est en place. Elle a maintenant cinq ans pour analyser les politiques publiques en la matière et faire des propositions concrètes afin de rendre les programmes plus efficients.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«On est dans une époque bien particulière où les outils technologiques changent très vite, note Normand Landry. Notre rapport aux médias évolue rapidement. On a de nouveaux enjeux qui émergent presque chaque jour. Par exemple, on ne parlait pas du tout de cyber-intimidation il y a une quinzaine d’années. Les enjeux de vie privée étaient présents mais pas avec une telle ampleur. Les industries médiatiques changent également, poursuit-il. Nos habitudes de consommation et de production sont différentes. Il devient donc très difficile de demeurer stable dans les fondements théoriques de l’éducation aux médias. Quelles sont les véritables assises alors que nos besoins en terme de savoir et de compétences changent chaque jour? Quels sont les principes qui orientent nos travaux, les incontournables, les compétences essentielles qu’on doit développer? Il faut revoir toute la littéracie médiatique.»

Ça, c’est pour le premier volet de ce sur quoi la chaire va s’atteler à travailler durant les cinq prochaines années. Mais Normand Landry va également aller fouiller dans les politiques éducatives. Car il n’existe toujours pas selon lui d’outils au Canada et au Québec pour faire l’analyse des programmes scolaires en matière d’éducation aux médias.

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«Il y a 4500 pages qui compose le programme de formation de l’école québécoise et personne n’a encore procédé à une analyse rigoureuse pour déterminer ce qui s’y dit en matière d’éducation aux médias, regrette le chercheur. Quelles thématiques doivent être abordées, quelles sont les préoccupations, quelle pédagogie pour atteindre quel objectif? On n’a pas d’idée claire de ce qui se trouve dans le programme et on a une idée encore moins claire de la manière dont les enseignants s’approprient la discipline à partir des orientations fixées par le gouvernement du Québec. Est-ce qu’ils comprennent les objectifs? Est-ce qu’ils trouvent que c’est important, est-ce qu’ils disposent des ressources pour le faire? Est-ce que les orientations rejoignent leur réalité, leurs besoins quotidiens? Je travaille sur ces questions depuis que je m’intéresse à l’éducation aux médias mais la chaire va permettre de le faire de manière plus systémique.»

Dialogue avec le ministère

Troisième angle enfin, la pratique. Ce qui se fait à l’école mais aussi ailleurs, dans les milieux communautaires et familiaux.

«Il va donc s’agir de réfléchir sur les disjonctions entre la littérature scientifique, les politiques publiques et la pratique sur le terrain, explique M. Landry. Car ces trois éléments sont très mal connectés à l’heure actuelle.»

Pour cela, l’équipe ira sur le terrain dès cet automne. Elle ira rencontrer les enseignants, discuter avec eux, comprendre la réalité de leur pratique. L’éducation aux médias n’est pas une discipline à part entière dans le programme québécois. C’est une compétence transversale qui est dans la cour dans tous les professionnels de l’éducation.

«On a tout intérêt à écouter ces professionnels car ce sont eux qui sont sur le terrain et qui vivent les situations, croit le détenteur de la chaire. On va analyser tout ça, voir dans le détail ce qui convient ou non. Ensuite, c’est certain que je souhaite avoir un dialogue ouvert et constructif avec le ministère de l’éducation… pour peu qu’il y ait la volonté d’aller vers le renforcement de l’éducation aux médias au Québec, et non pas vers son affaiblissement.»

Droits humains

Car il s’agit là d’un enjeu de société crucial selon Normand Landry. Ce n’est pas pour rien que la chaire s’intitule en réalité «Éducation aux médias et en droits humains». Au-delà de l’analyse de la situation purement québécoise, voire canadienne, le chercheur souhaite mettre en place des normes internationales en la matière.

«Des normes que tout le même comprenne, qui soient hautement consensuelles, qui nous permettent de développer des compétences et de toucher au langage des politiques publiques, de soulever des questions absolument cruciales en démocratie, explique-t-il. Ces normes existent, elles appartiennent aux droits humains universels. Lorsqu’on parle d’éducation aux médias, on parle de liberté d’expression, de droit à la vie privée, de droit de participer à la vie culturelle, de droits d’auteur, de droits à l’honneur et à la réputation, à l’éducation, à la non discrimination, à l’égalité des genres, etc. La proposition de la chaire, c’est aussi de réaligner l’éducation aux médias autour de ces normes-là.»

Et cela dans un contexte où, grâce aux technologies, le citoyen n’est plus seulement le récepteur, mais aussi, de plus en plus souvent et de plus en plus facilement, le producteur de contenu médiatique.

Le secrétariat des chaires du Canada a donc attribué une subvention de 500 000 dollars pour travailler sur toutes ces problématiques. En plus de M. Landry, Chantal Roussel et Ghislain Samson, tout deux professeurs en science de l’éducation, respectivement à l’université du Québec à Rimouski (UQAR) et à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) collaborent à la chaire. À l’issue des cinq premières années, une demande pourra être faite pour un renouvellement de cinq ans supplémentaires.

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