Plagier, ça rapporte combien?

Le plagiat dont Projet J faisait état hier semble bien toucher de plus en plus de journalistes de tous les grands médias québécois. Outre les quotidiens du Groupe Capitales Médias, La Presse et les hebdos de TC Média, les journalistes de la Presse canadienne et du Journal de Montréal ont eux aussi constaté être la cible de Sivertimes.com. Une fraude à grande échelle qui pourrait bien rapporter un peu d’argent à son auteur ukrainien.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

EDZuVPFH«Tout semble automatisé, commente Jean-Hugues Roy, enseignant en journalisme à l’École des médias de l’UQÀM et spécialiste en journalisme de données. Les éditeurs du site utilisent une interface de programmation (API) pour récupérer le contenu et pour traduire les textes. Au pire, s’ils passent pas Google Translate API, il leur en coute 20 dollars pour un million de caractères traduits. Microsoft offre un service équivalent qui est quant à lui gratuit, pour les 2 premiers millions de caractères chaque jour.»

Peu de dépenses donc, pour des revenus qui eux, peuvent être plus importants. Dans une conversation LinkedIn avec Nathalie Côté, l’une des victimes de Sivertimes.com, Gérard Zanou, directeur général de Webpresent, spécialisé dans le marketing web, explique avoir fait une recherche sur les administrateurs et avoir trouvé d’autres sites leur appartenant et diffusant des nouvelles.

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Avec l’aide de quelques outils, il a également découvert que rien que Sivertimes.com peut compter sur 4 000 pages vues par jour, soit 120 000 par mois. De quoi gagner un peu d’argent avec le service Google Adsense, un outil permettant de monétiser son site en échange de la publication de bannières publicitaires.

Combien ça rapporte?

«En moyenne Google donne environ 1,50 CAD par millier de pages vues, explique Jean-Hugues Roy. Donc, si le site qui pille les journaux québécois fait 120 000 pages vues dans un mois, ça peut lui rapporter entre 150 et 200$.»

Une moyenne car non seulement Google Adsense rémunère au clic sur la publicité, mais en plus, le tarif de ce clic peut terriblement varier en fonction du sujet du site – ceux  parlant de finance, d’assurance et d’immobilier remportant la mise – de l’endroit d’où viennent les clics – mieux vaut avoir des lecteurs en Europe et en Amérique du Nord qu’en Afrique – de l’âge des visiteurs et de ce qu’ils font après avoir visité les site. En gros, s’en vont-ils acheter le produit pour lequel Google affiche une publicité?

À ce sujet, Google ne fournit aucun tarif officiel mais il semble que les prix puissent varier de 0,01 dollar à 10 dollars le clic, tout en étant qu’exceptionnellement au dessus de 1 dollar cependant.

Si l’on revient à Sivertimes.com, les recherches de Gérard Zanou l’ont mené à découvrir que le lectorat du site provient en grande majorité des pays du Nord – 39% des États-Unis, 16% de l’inde, 9,7% du Canada, 4,8 % du Royaume-Uni et 2% de l’Allemagne – ce qui peut lui valoir un tarif intéressant. Sans compter que si les administrateurs disposent d’autres sites du même acabit, ils peuvent multiplier les sources de revenus.

Le web, une jungle

Mais que faire face à ce vol?

«le web est une jungle, répond Jean-Hugues Roy. À partir du moment où tu mets quelque-chose sur internet, tu prends le risque de te le faire voler. La solution? Cesser de publier en ligne. Mais il y aurait bien plus d’inconvénients que d’avantages à le faire…»

Bien que complexes à mettre en œuvre, il y a cependant des moyens légaux de mettre un terme à cette violation du droit d’auteur.

personne_pierre_trudel-725x725«Il faut poursuivre la personne responsable du site, explique Pierre Trudel, professeur de droit à l’université de Montréal et spécialiste du cyberespace. Si les textes sont publiés intégralement ou presque, on ne peut invoquer l’exception d’utilisation équitable et ça constitue donc une violation du droit d’auteur. A priori, il y a possibilité de saisir les tribunaux.

M. Trudel précise que les tribunaux saisis doivent être ceux dans lequel se situe l’administrateur du site et non les serveurs. Dans ce cas-là, la personne est peut-être ukrainienne, mais rien n’indique à ce stade qu’elle ne vive pas au Canada. C’est donc aux avocats des différents médias de la retracer avant de s’adresser aux tribunaux.

«S’il est en Ukraine ou ailleurs, la poursuite aura lieu dans ce pays et selon les règles sur le droit d’auteur qui prévalent là-bas, ajoute-t-il. C’est sûr que cela peut engendrer des frais. Il y a alors d’autres moyens qui peuvent permettre de mettre fin à cette violation sans judiciariser l’affaire. En adressant une plainte aux moteurs de recherche notamment afin que les liens vers ces pages soient bannis et n’apparaissent plus dans les résultats.

Rapporter les abus

Même constat de la part de Jean-Hugues Roy. Il y aurait selon lui matière à se plaindre tant auprès du registraire du site, que de Google Adsense.

Selon le site Domain Tools, Sivertimes.com est enregistré auprès de TLD Registar Solutions. Il s’agit d’un registraire reconnu, qui fait affaire en Amérique du Nord et au Royaume-Uni et qui dispose d’une adresse courriel et d’un numéro de téléphone pour rapporter des abus.

«Se plaindre à Google pourrait être une autre avenue, ajoute l’enseignant en journalisme. Leur politique interdit à un membre de se servir des Google Adsense si le site a du contenu qui viole les droits d’auteur. Et un formulaire de plainte est disponible.»

Or, si Google Adsense refuse de mettre de la publicité sur le site plagiaire, c’est tout son modèle d’affaires qui s’effondre.

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