Imposer le journalisme indépendant comme une nécessité démocratique

L’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) tient son assemblée générale annuelle ce soir. L’occasion de dresser un bilan après une année qui l’a vu prendre un véritable virage. «Nous avons opéré un changement de paradigme, explique son président, Simon Van Vliet. Après 25 ans de lutte, nous avons atteint un pivot suite aux états généraux de 2013. L’AJIQ doit se mettre à jour pour rester pertinente au sein de la profession, et ramener le journalisme indépendant à l’avant-scène.»

 Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

 L’équipe qui siège au conseil d’administration est partie d’un constat: toutes les associations et syndicats de journalistes perdent des adhérents. Et pour cause, il y a rarement eu aussi peu de professionnels de l’information à l’interne, au sein des salles de nouvelles, d’un bout à l’autre du Québec. Il n’y a donc jamais eu autant de journalistes indépendants au Québec. De pigistes qui essayent tant bien que mal, parfois volontairement, de plus en plus souvent faute d’opportunités, de vivre de leur plume. Or, le nombre d’adhésions à l’AJIQ, loin d’être en progression, s’est lui aussi effondré, passant de 180 membres il y a encore trois ans, à une centaine aujourd’hui.

pgu_0lTC«On s’est donc posé la question de notre pertinence, explique M. Van Vliet. Il nous fallait revamper notre image, nous montrer attrayant. Depuis 25 ans, l’AJIQ ne parlait que précarité. Oui, c’est un pan de notre profession et nous devons continuer à nous battre pour de meilleures conditions de travail. Mais nous devons également montrer à quel point nous sommes un véritable espace de développement professionnel, un lieu de réseautage important. Et mettre en valeur le travail du journalisme indépendant. L’imposer comme une nécessité démocratique.»

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Première étape en décembre, l’AJIQ modifie son énoncé de mission, plus axé aujourd’hui sur le développement professionnel de ses membres dans une industrie en pleine mutation, et sur la valorisation de leur travail dans un contexte de perte de confiance de la part du public. Dans le même élan, les statuts et règlements sont eux aussi remaniés afin de tenir compte de la nouvelle réalité vécue quotidiennement par les pigistes, à savoir pour beaucoup d’entre eux, l’impossibilité de ne vivre que du métier de journaliste.

Négociation collective

La deuxième étape est quant à elle intervenue au début du mois avec le lancement du nouveau site internet.

«Tout ça participe de notre volonté de moderniser l’association, explique son président. L’ancien avait été conçu il y a plus de dix ans et ça paraissait. Maintenant la table est mise pour la troisième phase de notre renouvellement, à savoir lancer une grande campagne d’adhésions pour remobiliser le milieu afin que notre voix porte mieux. Nous la débuterons tout de suite après l’assemblée générale.»

Le ministère du Travail et celui de la Culture se renvoient la balle. On ne sait pas très bien où elle se trouve aujourd’hui, mais une chose est certaine, c’est qu’elle n’est pas dans notre camp.

Car même si l’AJIQ souhaite donner d’elle-même une image plus positive, il n’en reste pas moins que les batailles sont loin d’être gagnées et qu’il y a peu de chance qu’elles ne le soient sans une large mobilisation. Premières d’entre elles, le combat qui a fait naitre l’association il y a plus d’un quart de siècle maintenant, la négociation collective. À savoir, des conditions de travail minimales – notamment en termes de tarifs, d’assurances, toutes ces choses auxquelles les syndiqués ont droit – auxquelles tous les groupes de presse devraient se conformer. Sur le modèle de ce qu’a réussi à obtenir l’Union des artistes.

«Depuis le changement de gouvernement, nous sommes revenus à la case départ, admet Simon Van Vliet. Le ministère du Travail et celui de la Culture se renvoient la balle. On ne sait pas très bien où elle se trouve aujourd’hui, mais une chose est certaine, c’est qu’elle n’est pas dans notre camp. La seule opportunité que nous entrevoyons, c’est le fait que le chef de l’opposition officielle soit l’actionnaire de contrôle d’un grand conglomérat. Peut-être que le gouvernement voudra utiliser notre revendication pour lui faire du tort. Mais nous n’en sommes pas là pour l’instant.»

Front commun

Face à ce constat, le conseil d’administration cherche d’autres façons d’attaquer le problème de la précarité. De manière moins frontale. Il lorgne notamment du côté de la loi sur les droits d’auteur. Se demande comment c’est possible que les journalistes à la pige, qui sont des prestataires de droits d’auteur, n’ont pas accès au même crédit d’impôt que les auteurs.

Il y a tout un écosystème de gens qui travaillent sur les questions liées au journalisme. Il s’agit d’unir nos forces le plus possible pour renforcer nos positions.

«Il y a là une iniquité de traitement et peut-être donc, un levier, une nouvelle porte d’entrée, estime le président. L’autre avenue que nous envisageons, est de faire un front commun avec d’autres associations qui ont les mêmes problèmes et les mêmes revendications que nous. Je pense à la Guilde canadienne des médias, la Canadian freelance union, qui représente les pigistes, pas seulement de la presse mais dans l’ensemble du secteur des médias, ou encore les Journalistes canadiens pour la liberté d’expression (CJFE). Il y a tout un écosystème de gens qui travaillent sur les questions liées au journalisme. Il s’agit d’unir nos forces le plus possible pour renforcer nos positions.»

Autre préoccupation de l’AJIQ pour les années à venir, redorer le blason du journalisme indépendant auprès du grand public. Les sondages d’opinion sont très clairs à ce sujet : les citoyens croient de moins en moins en la pertinence du travail des journalistes, qu’ils accusent de se mettre au service de leurs employeurs, à savoir les grands conglomérats, plutôt que de l’intérêt public.

«Nous devons arriver à faire entendre notre voix, croit M. Van Vliet. Je comprends la méfiance car il y a des dérives dans l’industrie, mais les journalistes indépendants n’ont pas de patrons. Ils sont les mieux placés pour être au service de l’intérêt public. Nous devons absolument retrouver la confiance. Les modèles d’affaires traditionnels ne fonctionnent plus. Sans doute faudra-t-il , d’une manière ou d’une autre, en arriver à un financement qui vienne du secteur public. À l’AJIQ, nous revendiquons notamment la mise en place d’un fonds de soutien au journalisme indépendant. Pour cela, il va falloir convaincre les gens qu’il faut investir dans l’information. Et pour y parvenir, ils doivent avoir le sentiment que les journalistes travaillent pour eux.»

Autant de sujets qui seront débattus ce soir en assemblée générale. Une AG durant laquelle Simon Van Vliet demandera sa reconduction au poste de président.

«C’est mon quatrième mandat au CA, explique-t-il. Aujourd’hui, nous avons clairement pris un virage. Je souhaiterais être encore là pour bien le négocier et permettre à l’AJIQ de prendre tout l’élan dont l’association a besoin pour relever les nombreux défis qui attendent notre profession.»

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