La liberté de presse, oui… mais

couverture-livre-1-350x233L’ex-secrétaire général de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ), Claude Robillard, dresse un portrait documenté et exhaustif de l’état de la liberté de presse aujourd’hui au Québec. Un ouvrage à mettre entre les mains de tous les journalistes bien sûr, mais aussi dans celles des citoyens et des décideurs politiques.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Personne n’est contre la vertu et encore moins les chartes, règlements et autres lois sensées défendre la démocratie dans laquelle les Canadiens et les Québécois vivent.  Ainsi, Claude Robillard rappelle dans la première partie de son ouvrage, que la liberté de presse est essentielle à toutes les autres libertés. Qu’en ce sens, la plupart des textes législatifs protègent ce droit fondamental, qui ici, se confond avec la liberté d’expression accordée à n’importe quel citoyen.

«La liberté d’expression recouvre le droit de rechercher l’information (ce qui est différent du droit de l’obtenir) et de la recevoir, rappelle M. Robillard. Le droit de s’exprimer par quelques moyens que ce soient (ce qui inclut le droit de se taire) et le droit de ne pas être inquiété pour s’être exprimé.»

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Mais ça, c’est ce que disent les textes, ajoute l’auteur, qui après avoir dressé la liste de tout ce qui fait en sorte que le journaliste ne devrait pas être inquiété dans l’exercice de ses fonctions, en arrive au terrain. Et là, c’est une toute autre situation qui prévaut.

Certes, rappelle-t-il d’emblée, tous les journalistes ne rencontrent pas des barrières chaque jour, mais celles-ci sont assez fréquemment dressées pour que le droit du public à l’information en souffre.

Intimidation et entraves

Et elles viennent de partout. Des élus d’une part, de la police ensuite, mais aussi du simple citoyen. Tous ont toujours de très bons arguments à donner mais ce ne sont là que des prétextes, croit Claude Robillard. Prétextes destinés à dissimuler la véritable raison, qui n’est autre que de vouloir s’affranchir d’une couverture qui pourrait les mécontenter.

S’en suit toute une liste de pratiques plus ou moins courantes, dont le seul but est de cacher une information pourtant digne d’intérêt.

Il y a d’abord toutes celles qui s’apparentent  à de l’intimidation. Le Boycott de journalistes par les élus, la menace de ne plus publier les avis publics dans telle ou telle publication, faisant ainsi perdre au média, notamment en région, une très grande part de ses revenus, obstacles judicaires qui s’apparentent à des poursuites baillons tellement les sommes en jeu sont délibérément outrancières, pressions de la part du gouvernement fédéral sur l’éditorial de Radio-Canada, notamment lors du Référendum de 1995. L’auteur rappelle à ce sujet que le diffuseur public s’était vu reprocher son manque d’ardeur à défendre l’unité nationale… avant de faire face à une vague de compressions comme jamais il n’en avait connu jusque-là.

Entraves ensuite, avec cette manie qu’on développé les maires de municipalités de plus en plus nombreuses, de refuser l’accès aux journalistes à des manifestations et autres réunions pourtant publiques. Blainville, Lacolle, Cacouna, Saint-Lambert, Mont Saint-Pierre, Les Cèdres, etc., on ne compte plus notamment celles qui interdisent aux journalistes d’enregistrer ou de filmer les conseils municipaux.

«Un conseil municipal est une assemblée publique, écrit Claude Robillard. Le Code municipal se croit néanmoins obligé de préciser que les délibérations doivent s’y tenir «à haute et intelligible voix», probablement parce que certains élus, à une lointaine époque, tentaient de contourner ce caractère public obligatoire en marmonnant. Mais ce Code, écrit avant l’arrivée des médias électroniques, n’oblige pas à permettre l’enregistrement des débats. Ce qui amène bien des conseils à prendre les mesures les plus inventives pour empêcher les journalistes de capter images et sons, voire de participer à certaines rencontres.»

Devant le caractère répétitif, nuisible et non fondé des interdictions d’enregistrement, la seule solution viable est une modification législative empêchant ces interdictions, conclut l’auteur.

Brutalité envers les journalistes

Il arrive parfois même que ces barrières prennent la forme de brutalités. De la part d’une poignée d’élus qui n’hésitent parfois pas à en venir aux mains. De la part de représentants syndicaux, des étudiants, ou encore de la police.

M. Robillard revient quelques fois dans son ouvrage sur la couverture du printemps érable en 2012 et sur les manifestations étudiantes de 2015. Plusieurs journalistes, cameramen et photographes ont rapporté s’être fait bousculer , voire avoir reçu des coups de la part des étudiants comme du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), alors même, et sans doute même parce qu’ils se présentaient clairement comme journalistes. L’ouvrage rappelle d’ailleurs que le SPVM ne reconnait pas la carte de presse émise par la FPJQ, et qu’il considère donc les journalistes comme des citoyens comme les autres.

Un énoncé que ne conteste pas la FPJQ. En matière de liberté d’expression, les journalistes ne jouissent pas de règles différentes de celles qui régissent toute la société. La Fédération ne demande d’ailleurs pas à ce que ses membres soient prioritaires lorsqu’ils font des demandes d’accès à l’information par exemple. Elle demande en revanche à ce que cette loi permette justement l’accès aux documents publics, et non qu’elle ne s’apparente à un ramassis d’exceptions faisant en sorte de protéger la culture du secret.

Alors que ces textes sont en pleine refonte tant à Québec qu’à Ottawa, Claude Robillard fait valoir que pour être efficients, ils devront faire en sorte que toute ingérence politique soit impossible. Qu’ils soient étendus à tous les organismes publics et parapublics, notamment bien sûr, les municipalités. Et que d’autres dispositions législatives devront faire en sorte que les sources des journalistes et les lanceurs d’alerte soient protégés.

Le pouvoir politique complice

Un point sur lequel Claude Robillard ne se montre cependant pas très optimiste. Selon lui, le pouvoir politique est complice, lui qui diligente des enquêtes dans ses propres ministères pour  débusquer les employés déloyaux.

«La chasse aux sources et les mesures de rétorsion à leur égard fragilisent le lien de confiance entre les journalistes et leurs informateurs, écrit l’ex-Secrétaire général de la FPJQ. C’est le moyen par lequel les organismes publics passent un message cynique aux éventuels lanceurs d’alerte : on vous a à l’œil, taisez-vous ! Le but recherché est autant de punir le lanceur d’alerte qui a « fauté » que de dissuader ses collègues de l’imiter.»

Pour conclure, l’auteur convient que défendre et garantir la liberté de presse ne règle pas tous les problèmes qui se posent en information. La question des nouveaux modèles d’affaires des médias reste par exemple entière.

Mais peu importe les problèmes abordés, termine-t-il, aucune solution n’est viable si elle ne repose pas sur cette condition essentielle : respecter pleinement la liberté de presse. On a beau chercher des précédents, il n’existe aucun système de contrôle de l’information dont le résultat se traduit par une meilleure information pour les citoyens.»

La liberté de presse, la liberté de tous, Claude Robillard, Éditions Québec Amérique

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