Le journalisme indépendant à l’honneur ce soir

L’Association des journalistes indépendants (AJIQ) a remis au Petit Medley Simple Malt, ses traditionnels prix annuels, récompensant les meilleurs articles produits par des pigistes. Avec à l’animation, Mathieu Charlebois, collaborateur entre autres à L’Actualité, Curium, et à l’émission Deux hommes en or. Une soirée pour rappeler que oui, il est difficile de vivre de sa plume de pigiste, mais surtout pour honorer le talent et le dévouement de ceux qui embrassent cette carrière.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

train-1c«Il se traîne à 65 km/h pendant une douzaine d’heures, mais qu’importe ! Le parcours du train Tshiuetin est si palpitant qu’il bat tous les TGV du monde. Seul lien terrestre entre Sept-Îles et Schefferville, sur la Côte-Nord, au Québec, il longe des rivières en furie, franchit ponts vertigineux et tunnels taillés dans le roc, crapahute sur des côtes et roule même sur un barrage hydroélectrique !»

Ces mots sont signés Isabelle Grégoire, récipiendaire ce soir d’un Grand-Prix du journalisme indépendant pour un article long. Au fil de la plume, elle décrit le voyage de plus ou moins treize heures qu’il faut faire pour relier les 565 kilomètres qui séparent Sept-Îles sur la côte nord du Saint-Laurent à Schefferville, dans la province de Terre-Neuve et Labrador. Un train essentiellement fréquenté par des autochtones. Mais aussi par «de rares touristes fous de train, qui, après le Transsibérien, l’Orient-Express et autres Tren de la Sierra (Pérou), découvrent, ébahis, ce train de brousse québécois», nous apprend-elle dans son reportage illustré par les photos de Caroline Hayeur.

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La compétition était rude dans cette catégorie. Sarah R. Champagne nous emmenait à Dubaï et au Népal suivre la trajectoire de ces jeunes venus de ce petit pays de l’Himalaya et que la misère pousse à aller chercher du travail dans l’Émirat. Anabel Cossette Civitella nous révélait l’existence des Mujeres de Polleras, ces Boliviennes vêtues de l’habit traditionnel et qui commence tout juste à se faire accepter par la société.  Quant à Gaétan Pouliot, il livrait un récit fort instructif sur Civitas, ce regroupement d’intellectuels qui, discrètement, a contribué à insuffler le vent de droite qui balaie le pays depuis quelques années.

Mais ce que le jury a apprécié dans le reportage d’Isabelle Grégoire sur ce Vrai train du Nord, outre la qualité exceptionnelle de l’écriture, c’est sa capacité à nous faire voyager à l’intérieur même du Québec tout en montrant un visage inusité du peuple innu.

Entre précarité et talent

Une soirée pour mettre en valeur le beau travail que réalisent les journalistes indépendants et donc l’aspect le plus positif de ce métier. Mais une soirée durant laquelle l’ombre de la précarité planait pourtant, Mathieu Charlebois rappelant, non sans humour et par diverses biais, oh combien il est difficile de gagner sa vie en tant que pigistes.

De ce point de vue, Marie-Hélène Croisetière, rédactrice en chef du magazine des amis du Jardin botanique, Quatre temps, a reçu le prix du meilleur client de l’année, pour avoir augmenté les tarifs de piges de ses collaborateurs. Quant à l’ex-président de l’AJIQ, Nicolas Langelier, aujourd’hui éditeur de la revue Nouveau Projet et lauréat ce soir du prix Reconnaissance, il est venu dire que certes les conditions sont encore difficiles aujourd’hui pour les journalistes indépendants, mais qu’il existe de plus en plus de nouveaux médias, tels Ricochet, Nouveau Projet ou encore Caribou, qui respectent le contrat de l’AJIQ et traitent bien leurs pigistes. Qui en retour, rendent des articles travaillés.

Un exemple de ces articles irréprochables, celui qui a valu ce soir à Christophe Huss de recevoir le Grand-prix pour la critique culturelle. Paru dans Le Devoir, et intitulé Décomplexer la barbarie, il traite du fait qu’une poignée de Montréalais seulement n’ait fait le déplacement pour aller écouter Le violoniste Gil Shaham, lui qui fait salle comble partout ailleurs dans le monde.

«Le processus a été enclenché il y a une dizaine d’années, écrit M. Huss. Arrêt de l’enseignement de la musique et pulvérisation de la chaîne culturelle de notre radio nationale. Ce coup de force ou tour de prestidigitation, avalisé, on ne sait pourquoi ni comment, par l’organisme de réglementation de la radiodiffusion, a décomplexé la barbarie. L’onde de choc nous frappe aujourd’hui et elle a créé de nouveaux barbares. La paupérisation de la place et de la nature de la couverture de la culture dans les médias est organisée par autant de complices de l’imperceptible hold-up du mot « culture » par l’industrie du divertissement.»

Du talent, il y en avait effectivement ce soir, au deuxième étage du Petit Medley Simple Malt.


Les autres lauréats honorés ce soir sont :

  • Article court : Guillaume Roy : Vive la vache libre! Québec Science,
  • Article pratique : Simon Diotte : Le secret de l’indépendance financière. Les Affaires Plus,
  • Opinion ou analyse : Aurélie Lanctôt : Des paillettes aux revendications : quelques bribes du possible. Nouveau Projet,
  • Photoreportage : Renaud Philippe : Barpak. Le Devoir,
  • Portrait ou entrevue : Jean-Benoit Nadeau : La caisse sort ses muscles. L’actualité,
  • Relève : Raphaëlle Corbeil,
  • Radio : Nicolas Pelletier : Une journée dans la vie de poissonniers jamaïcains. Radio-Canada,
  • Prix «passé à côté». Meilleur article refusé ou non publié : Camille Carpentier et Louis-Philippe Bourdeau : Me and my Country : Romanians’ fight against corruption.

(Photo Caroline Hayeur)

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