Le droit à l’information, «un colosse aux pieds d’argile», selon Raymond Corriveau

L’ex-président du Conseil de presse et professeur de communication sociale à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) était invité à s’exprimer la semaine dernière à l’occasion 84e congrès de l’Association pour le savoir francophone (Acfas). Dans un colloque intitulé [Méta]morphoses numériques de la culture et des médias, il a affirmé que si le droit à l’information est reconnu par de nombreux textes législatifs, sur le terrain, il est bel et bien bafoué.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

 Depuis l’avènement du numérique, il circule certes beaucoup d’informations, mais c’est souvent la même, introduit M. Corriveau.

«Il y a beaucoup d’informations qui s’intéressent à la vie au quotidien, regrette-t-il, citant notamment La Presse+ tout en ne souhaitant pas se faire d’ennemis… Mais la vraie information, celle qui donne de la valeur ajoutée, c’est assez rare. Cette situation soulève beaucoup de questions au Québec, notamment celle de savoir s’il y a des relais citoyens qui veillent à l’état, à la qualité de l’information.»

Sa réponse est bien évidemment non.

«Je ne pense pas que le Conseil de presse soit cet organisme-là», lance-t-il.

Un pilier fragile

Ainsi, le professeur Corriveau croit que si le droit à l’information est reconnu par de nombreux textes législatifs tant au niveau international que dans les différentes chartes qui régissent nos vies au Canada et au Québec, sur le terrain, le citoyen n’obtient pas toute l’information dont il aurait besoin pour être un bon citoyen et exercer son pouvoir de décision en toute connaissance de cause. Les entreprises agissent comme si l’information était un bien qui leur appartient, affirme-t-il. Mais l’information est d’une tout autre nature: elle est essentielle au positionnement social de l’individu, à la cohésion sociale des communautés et au développement de l’intelligence territoriale.

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«Les entreprises de presse structurent la production de l’information selon des règles marchandes, note-t-il. Les avatars d’une telle logique sont bien documentés, ils mènent à la concentration et à l’uniformisation. La mutation actuelle vers le numérique fragilise les producteurs classiques de contenus d’information mais cette crise a le mérite de souligner le dysfonctionnement de la démocratie libérale et met en relief nombre de contradictions, qui ne vont pas dans le sens du droit à l’information.»

Des contradictions qu’ils énumèrent par la suite. Comment garantir un droit universel qui s’en remet aux impératifs de rentabilité d’une seule industrie?  Comment un droit essentiel peut-il reposer sur un principe tel que la concurrence? Comment un droit destiné à l’émancipation de tous peut-il être alimenté par l’exploitation de certains comme les journalistes indépendants, qui ne jouissent toujours pas aujourd’hui de conditions de travail décentes? Comment un droit qui exige la plus totale intégrité peut-il être soumis à l’influence des acteurs économiques? Et, en fin de compte, comment une démocratie peut-elle prétendre à la légitimité quand un de ses piliers demeure si fragile?

L’info, un objet politique

Le numérique vient donc aggraver le problème, en ce sens qu’il crée un leurre, celui de croire que produire de l’information peut être gratuit, alors qu’au contraire ça coute très cher pour qui veut y mettre un tant soit peu de valeur ajoutée. Or, s’il y a crise avec la révolution numérique, c’est justement parce que l’argent de la publicité et des abonnements, dans une moindre mesure, est en perte de vitesse dans les médias. Que ce ne sont plus les entreprises de presse, productrices de contenus, qui se partagent le gâteau publicitaire mais bien les multinationales qui les diffusent.

Mais pire encore. S’il y a crise, affirme Raymond Corriveau, c’est surtout parce que personne, parmi les décideurs, ne veut prendre le taureau par les cornes et modifier le système.

«L’information est un objet éminemment politique, lance-t-il. Les entreprises de presse sont tellement puissantes qu’il est impossible de passer une loi qui donnerait un  peu plus de poids aux journalistes et un peu moins à leurs patrons. Des pistes de solution existent. Elles se trouvent dans les multiples rapports qui ont été produits ces dernières années sur le sujet et qui un à un, ont été tablettés. Il faudrait commencer par les lire et les appliquer.»

Mais quel est le gouvernement qui va prendre le risque de changer quoi que ce soit, en sachant très bien qu’aux élections suivantes, il aura les entreprises de presse sur son dos?, interroge le professeur. En sachant aussi qu’il n’y a pas d’organisme citoyen qui questionne le dysfonctionnement du système sur la place publique.

«Le Conseil de presse le faisait fut un temps, conclut celui qui en est parti en 2009 en claquant la porte faute de pouvoir s’entendre avec les représentants des médias. Mais aujourd’hui, il ne questionne plus rien.»

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