AJIQ : controverse autour des Grands-Prix du journalisme indépendant

Le 5 mai dernier, une dizaine de Grands-Prix ont été remis aux journalistes indépendants les plus méritants de l’année. Quelques membres du conseil d’administration de l’AJIQ, l’organisme organisateur des Grands-prix, se trouvaient parmi les finalistes. Assez pour lancer une polémique, à laquelle l’Association a jugé bon de répondre aujourd’hui par voie de communiqué.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

À peine quelques heures après la remise des trophées, la polémique a éclaté sur le mur Facebook de l’AJIQ. Yves Choquette, finaliste malheureux dans la catégorie Photoreportage, faisait valoir, tout en se défendant d’écrire sous le coup de la déception, que nulle part ailleurs dans le monde il existait une telle sorte de «relation incestueuse» entre les gagnants et les membres du staff et du jury.

«Je n’ai pas gagné mais ça c’est pas grave, peut-on lire. Ce qui l’est, c’est que le gagnant, c’est un photoreportage dont le texte a été écrit par une des administratrices de l’AJIQ. Parfois les gens me trouvent “raide” quand je dis qu’on a une os… de mentalité de consanguins au Québec. Ben moi je leur réponds: prouvez-moi le contraire, arrêtez vos cr.. de cliques où on se donne des tapes dans le dos en se disant comment qu’on est bons.»

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Le photoreportage en question s’intitule Barpak, , lieu de ruines et de peines. Il a été diffusé dans le quotidien Le Devoir en mai 2015, quelques semaines après le terrible tremblement de terre au Népal. Les photos sont de Renaud Philippe, le texte de Sarah R. Champagne, qui fut membre du CA jusqu’à la dernière Assemble générale en avril dernier, mais qui ne l’est plus.

Capture

Un village

Cette attaque d’Yves Choquette n’est pas restée sans réponse et une longue discussion s’en est suivie. Arguments de la défense? Les membres du CA de l’AJIQ sont des bénévoles qui donnent de très nombreuses heures au service de la défense de la cause de pigistes, ils sont journalistes eux-mêmes, et refuser qu’ils puissent prétendre à un Grand-Prix, ce serait tout simplement leur infliger une double peine.

Sara E. Duchesne explique également qu’aucun membre du CA ne fait partie du jury, et que bien sûr, aucun juré ne peut déposer une candidature dans la catégorie qu’il juge.

Alors certes, il arrive que les jurés connaissent de près ou de loin certains candidats, mais comme le souligne Cécile Gladel, interdire la participation de toute personne ayant des liens avec les membres du jury ou du CA revient à ne permettre à personne de participer. Le Québec est un tout petit milieu, le monde du journalisme encore plus, et celui du journalisme indépendant, un tout petit village où tout le monde se côtoie au sein de l’AJIQ, par amitié parfois, mais aussi parce que l’association reste le meilleur endroit où réseauter.

Sélection rigoureuse

Une discussion houleuse qui se terminait par un appel fait à l’Association des journalistes indépendants, de prendre une position claire sur le sujet afin de répondre à tous ceux qui partagent la position d’Yves Choquette.

C’est chose faite depuis ce matin. Par voie de communiqué et afin de «dissiper tout malentendu», l’AJIQ reconnait qu’année après année, le fait que des membres de son staff puisse recevoir un des prix ou une des bourses qu’elle décerne, en choque certains. Elle avoue que dès la fin de la cérémonie le 5 mai dernier, certains collègues journalistes ont exprimé des inquiétudes concernant de potentiels conflits d’intérêts dans la sélection des finalistes aux GPJI.

«Nous tenons à rassurer nos membres et nos collègues que l’organisation et le processus de sélection sont toujours rigoureux et confidentiels, écrivent Valerian Mazataud et André Lavoie, tout deux administrateurs et organisateurs des Grands-Prix. Parmi les membres du comité des GPJI, ceux en chargent de la sélection des jurés et de la coordination de l’envoi des soumissions ne posent pas leur candidature et ne communiquent jamais ces informations aux autres membres du conseil d’administration.»

Remise en question à l’AJIQ

Ils ajoutent que, contrairement à ce qui se disait dans la discussion Facebook, les œuvres n’étaient plus soumises anonymement aux jurés, pour des raisons de logistique, mais qu’en revanche, dans le cas où un juré connaitrait personnellement un candidat, il devait déclarer son conflit d’intérêt et se retirer des discussions.

L’AJIQ ne rejette cependant pas ce débat d’un revers de main. L’association le prend même très au sérieux.

«La tenue de ce débat force toutefois l’AJIQ à opter pour la posture de tout bon journaliste: douter, et se remettre en question, concluent MM. Mazataud et Lavoie. Notre gestion, nos règlements et nos processus de sélection sont-ils suffisamment efficaces? Ces questions méritent d’être posées et le conseil d’administration de l’AJIQ compte bien y répondre dans les prochains mois.»

D’ici-là, ils assurent que tous les récipiendaires des prix et bourses seront sélectionnés sur la seule preuve de leur talent.

Par souci de transparence, l’auteure de ce texte précise que plusieurs membres du comité éditorial de Projet J, y compris elle-même, ont fait partie d’un jury pour les GPJI cette année.

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