En 5 ans, la presse écrite a perdu un tiers de ses effectifs

C’est ce qui ressort des tous derniers chiffres publiés par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Si personne ne semble s’en étonner dans l’industrie, ces données sont révélatrices de l’ampleur de la crise que traversent les médias d’information au Québec.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

fL1fyB8d«On le voyait venir, affirme la présidente de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ), Lise Millette. Les salles de nouvelles aux États-Unis vivent cette saignée depuis 2008 et on sait que souvent, ça nous arrive quelques années après, ici. Ce que ces chiffres confirment, c’est que d’une part, nous nous trouvons tous aujourd’hui dans un contexte de précarité, et que d’autre part, il y a des voix qui s’éteignent ici et là, notamment en région.»

-10,7% donc de salariés en moins dans les salles de nouvelles de presse écrite au Québec entre 2014 et 2015. Une diminution qui s’ajoute au -12,1% de l’an dernier. En tout, depuis 2010, c’est près de 30 % des effectifs salariés qui ont quitté les journaux et les magazines québécois. Les nouvelles de ces dernières semaines vont d’ailleurs dans ce sens avec notamment pas plus tard qu’hier, l’annonce de licenciements chez TC Médias, principalement au Québec.

Cet article vous intéresse? Faites-un don à ProjetJ.

zCeRitn1«On le voit bien que les effectifs des entreprises dans lesquelles nous avons des membres sont en baisse, commente Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (CSN-FNC). La situation est d’autant plus grave en région où des médias disparaissent et des salles de nouvelles voient leurs effectifs réduits à presque rien. On ne peut pas penser que ça n’a pas d’impact sur la qualité de l’information.»

Situation généralisée

Mais alors, où vont ces journalistes qui se voient forcés de quitter leurs postes? Restent-ils dans le métier? Rien de moins sûr si l’on regarde du côté du secteur des relations publiques, qui dans le même temps, a vu ses emplois exploser. Or, de nombreux ex-journalistes gravitent dans ces sphères.

«On ne ressent rien du côté de notre membership, note d’ailleurs le président de l’Association des journalistes indépendants (AJIQ), Simon Van Vliet. Ou s’ils se mettent à la pige, c’est de manière de plus en plus précaire car lorsque des emplois se perdent dans les salles de nouvelles, c’est généralement que les budgets piges diminuent eux-aussi. Je ne peux pas m’appuyer sur des chiffres documentés puisque les pigistes sont toujours invisibles dans ce genre de données, mais je crois que le cas d’ex-salariés qui se font réembaucher comme pigistes est très rare. En fait, ce que vivent les salariés aujourd’hui, c’est plutôt ce que les pigistes vivent eux, depuis trente ans.»

Si ces chiffres ont de quoi être inquiétants, la situation n’a rien de particulier au Québec. Le Canada dans son ensemble, la Colombie britannique et l’Ontario présentent sensiblement les mêmes données. Quant aux salles de nouvelles de presse écrite de la province de l’Alberta, elles ont perdu plus de 23 % de leurs effectifs en un an. Entre 2010 et 2015, le nombre de salariés y a fondu d’environ 50 %, passant de 5695 personnes à 2843.

«Et on s’attend à ce que ça continue, ajoute Mme St-Onge. Les revenus publicitaires sont en chute libre et vont de plus en plus aux géants du web que sont Google ou Facebook, qui eux, ne produisent pas de contenu. Tant qu’un cadre réglementaire et fiscal ne viendra pas protéger nos médias, je ne vois vraiment pas pourquoi la courbe s’inverserait.»

Promesse non tenue

Simon Van Vliet y voit quant à lui, l’échec de la politique du libre marché auto-régulé.

pgu_0lTC«On a laissé faire la concentration des médias parce que cela devait permettre des économies d’échelle et donc sauver les médias, rappelle-t-il. Ce n’est pas ce qu’on voit aujourd’hui. Quand j’entends que TC Médias abolit encore 65 postes cette semaine, je ne peux m’empêcher de rapprocher ce chiffre des 55 millions de dollars de bénéfice net annoncés plus tôt cette année. Alors oui, ce n’est pas avec ses activités médias qu’elle gagne de l’argent. Mais lorsqu’une entreprise dégage autant de marges, ça devrait avoir des retombées sur toutes ses branches. C’est remettre sur la table le modèle du libre marché. Mais ces entreprises avaient fait la promesse de permettre de créer de l’information, on devrait pouvoir les obliger à la tenir.»

Lise Millette partage le constat qu’il faudra d’une manière ou d’une autre agir afin de redonner de l’air à une profession qui en manque cruellement. Comment? Différentes options sont sur la table et ce ne sera pas selon elle aux seuls journalistes de trancher.

«On entend des voix qui se lèvent ici et là, affirme-t-elle. Des municipalités qui se plaignent de ne plus avoir de lieux pour informer leur population. Des organismes régionaux. Via la campagne Parlons télé du Conseil de la radiodiffusion et des communications canadienne (CRTC), on se rend compte que beaucoup de gens plaident la sauvegarde de l’information locale. Il va falloir écouter tout le monde et trouver une solution tous ensemble afin que la révolution du numérique promise devienne la terre promise du numérique.»

Une profession résiliente

La présidente de la FPJQ croit par ailleurs dur comme fer que le journalisme est trop important pour mourir. Selon elle, il s’agit d’une profession marquée par la résilience et qui n’en n’est pas à sa première crise.

«Il y a toujours des battants, des gens qui continuent à y croire, estime-t-elle, car, plus qu’une profession, c’est une vocation. Mais oui, c’est vrai, nous sommes dans le creux d’une vague qui dure… et nous avons bien hâte d’en sortir.»

Pour cela, différentes organisations tentent d’apporter des solutions en espérant qu’elles ne seront pas tablettées comme nombre d’autres avant elles. La FNC présentera le 8 juin prochain un rapport reflétant la réflexion et les pistes de solutions soulevées lors du colloque organisé le 3 mai dernier à Québec et intitulé, le 4e pouvoir sous pression. Quant à l’AJIQ, elle a déposé un mémoire dans le cadre de la refonte de la politique culturelle du Québec, dans lequel elle demande à ce que le journaliste soit considéré comme un travailleur culturel, et qu’à ce titre, il puisse toucher les mêmes subventions et avoir droit à la même protection qu’un artiste.

Et Simon Van Vliet de faire remarquer que les données de l’ISQ montrent que les secteurs qui sont protégés par la loi, comme les industries du film et de l’enregistrement sonore par exemple, se portent bien mieux que la presse.

«Je ne sais pas s’il y a des effets directs ou indirects à cela, conclut-il. Mais la question mérite peut-être d’être creusée.»

Les données de l’ISQ incluent les éditeurs de journaux, de périodiques, de livres et de répertoires.

À voir aussi:

Radio-Canada : le numérique à la rescousse de l’information locale

Pour un fonds des médias dédié à la couverture régionale

Imposer le journalisme indépendant comme une nécessité démocratique

Le droit à l’information, «un colosse aux pieds d’argile», selon Raymond Corriveau

Crise des médias : «l’inaction est inacceptable»

You may also like...