Revenus publicitaires: «les gouvernements devraient montrer l’exemple»

Les témoins se sont succédés durant tout le printemps devant le Comité permanent du patrimoine canadien afin d’analyser la crise que traversent les médias locaux et tenter de trouver des solutions. Le mois dernier, le président de l’Association des journaux canadiens, Bob Cox, est venu dire qu’il n’y aurait pas de fin heureuse si les gouvernements ne se décidaient pas à agir.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Capture«L’avenir est incertain, concède-t-il. Mais ce n’est pas tout simplement en raison d’internet. Nous nous y adaptons, et cela nous permet de communiquer avec un lectorat plus vaste et plus diversifié que jamais auparavant. L’avenir est incertain, parce que l’économie du secteur des médias a changé, alors que les lois et les politiques publiques concernant ce secteur sont demeurées inchangées. Les règles en place ont été élaborées en fonction de la réalité des médias dans les années 1980 et non celle de 2016.»

Avant de lancer cet appel aux gouvernements, Bob Cox a commencé par déboulonner certains mythes, notamment celui qui voudrait que les lecteurs abandonnent leurs journaux. Au contraire, selon lui, le sondage national exhaustif sur le lectorat que mène continuellement Vividata montre qu’un Canadien sur cinq lit chaque semaine un journal. Les journaux ont maintenu leur lectorat, continuent de distribuer des exemplaires papier et connaissent une croissance fulgurante sur les plateformes numériques. Il ajoute que bien souvent, le lectorat sur les plateformes numériques est égal ou supérieur à celui des éditions papier.

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Le public souhaite donc s’informer, mais il le fait de plus en plus via les supports numériques que sont l’ordinateur, la tablette ou le cellulaire. Le problème, c’est que l’information y est bien souvent gratuite. Mais surtout, que les revenus publicitaires n’y sont pas aussi importants que dans le journal.

Changement d’environnement

Et c’est là, selon Bob Cox, que les gouvernements doivent intervenir pour réglementer le secteur ou légiférer. Par le passé, argue-t-il, l’argent que les entreprises, les gouvernements et les particuliers dépensaient en publicité sur les scènes locale, régionale et nationale circulait dans une économie du secteur des médias qui était relativement fermée. Cela soutenait le bon journalisme et les collectivités où cela se déroulait.

«Un concessionnaire automobile local donnait de l’argent à mon entreprise, soit la Winnipeg Free Press, pour faire de la publicité et attirer les consommateurs, raconte-t-il. Il y avait des retombées immédiates pour le concessionnaire automobile, mais il y avait aussi des retombées connexes. La Winnipeg Free Press comptait des employés, diffusait des nouvelles et soutenait des organismes communautaires. Cet argent était réinvesti dans l’économie de Winnipeg par l’entremise des consommateurs qui achetaient des voitures. Le concessionnaire automobile soutenait le journalisme, parce qu’il souhaitait attirer les consommateurs, et nous soutenions les ventes de véhicules dans notre engagement à servir notre lectorat.»

Mais cette époque est révolue. Aujourd’hui, les entreprises utilisent de plus en plus des médias étrangers, comme Facebook, Google et Twitter, pour communiquer avec les consommateurs. L’argent destiné à la publicité sort des collectivités et n’est donc pas réinvesti localement. Dans la majorité des cas, ces multinationales n’investissent ni dans le journalisme, ni dans les communautés locales. Elles n’emploient pratiquement personne ici, et l’argent ne circule pas.

Exode publicitaire

Bob Cox rappelle que par le passé, le Canada a pris des mesures concernant l’exode vers les États-Unis de l’argent destiné à la publicité en rendant difficile le fait de vendre de la publicité à une station de télévision américaine qui ne diffuserait que  des émissions américaines. Selon lui, c’est exactement de qui se passe aujourd’hui, cette fois au profit des géantes de l’économie numérique. Et il ne comprend pas que personne, au plus haut de l’État, ne semble vouloir prendre les décisions qui s’imposent.

«Cela devrait nous préoccuper, prévient-il. Nous ne devrions pas nous inquiéter du sort d’un journal, d’une chaîne d’information ou de tout autre média traditionnel, mais nous devrions nous inquiéter de l’environnement dans lequel les médias d’information exercent leurs activités pour que nous ne nous retrouvions pas avec un secteur des médias dominé par des entreprises étrangères qui n’ont que quelques activités au Canada. Dans un tel environnement, le seul média qui pourrait faire du journalisme d’intérêt public de qualité serait la société d’État, soit CBC/Radio-Canada.

M. Cox termine son exposé en suggérant quelques pistes de solutions. D’abord, selon lui, le gouvernement fédéral devrait montrer l’exemple en adoptant une stratégie visant à investir l’argent destiné à la publicité dans les médias canadiens. Il pourrait également, par des crédits d’impôt ou des sanctions financières, encourager les entreprises canadiennes à investir l’argent destiné à la publicité au Canada. Il souligne notamment que la Loi sur l’impôt sur le revenu impose des limites concernant la possibilité d’annoncer dans les médias traditionnels non canadiens, mais que ces bornes ne s’appliquent pas aux entreprises numériques.

Législation sur le droit d’auteur

Au delà de la publicité, le président de l’Association des journaux canadiens fait valoir que des incitatifs fiscaux pourraient être mis en place afin d’encourager les investissements dans les journaux et autres médias locaux. Des crédits d’impôts ou des allégements fiscaux pourraient également être proposés aux entreprises de presse, notamment celles qui se lancent sérieusement dans leur développement numérique.

Enfin, Bob Cox estime qu’il est primordial de revoir la législation sur le droit d’auteur afin de protéger «le travail original».

«Les journaux investissent grandement dans le journalisme original, dont le travail est ensuite diffusé, réutilisé et réécrit par d’autres, et ce, souvent à des fins commerciales, estime-t-il. Parce que les dispositions sur l’utilisation équitable d’il y a deux décennies ne tiennent pas compte de la facilité de la reproduction numérique. Si les journaux étaient dédommagés pour leur contenu original et que les investissements étaient protégés plus longtemps, cela augmenterait grandement nos revenus.»

Soixante douze témoins ont été entendus par le Comité permanent du patrimoine canadien sur l’avenir de l’information locale ce printemps. Les réunions sont suspendues pour la période estivale.

Pour visualiser le témoignage de Bob Cox dans son intégralité, c’est ici.

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