Les attachés de presse? Des gens «indispensables et emmerdants»

003C’est le regard que porte Bernard Descôteaux, ex-directeur du quotidien Le Devoir, après avoir été correspondant parlementaire à Québec, sur les attachés de presse des ministres. Il a fait cette confidence à Jocelyn Saint-Pierre, historien qui a passé toute sa carrière à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, et qui a publié ce printemps, un ouvrage très documenté sur la Tribune de la presse depuis 1960.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

M. Descôteaux résume ainsi la pensée de bien des journalistes ayant œuvré ou œuvrant encore sur la colline parlementaire. Selon lui, les attachés de presse agissent comme des garde-frontières qui détiennent de l’information et qui la canalisent. Ils croient que certains d’entre eux sont incompétents et qu’ils représentent donc des freins. Certains sont de bonnes sources, mais le journaliste ne devrait jamais oublier que l’attaché de presse ne lui donne jamais d’information pour ses beaux yeux, souligne-t-il.

«Quand on reçoit une enveloppe brune, il faut se demander pourquoi on l’envoie», conclut-il.

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Journalistes, attachés de presse, conseillers politiques, députés, ministres… pour écrire cet ouvrage, Jocelyn Saint-Pierre a mené plusieurs dizaines d’entrevues avec les principaux acteurs et témoins de la vie démocratique du Québec de ces cinquante dernières années.

«Tout ce qui s’écrit sur l’actualité politique dans les journaux est basé sur le travail des membres de la Tribune, note-t-il en introduction. Tous les bulletins d’information présentent des images en provenance de la capitale. Les visages et les voix de ces artisans nous sont connus et ils restent longtemps dans nos mémoires. L’objectif du présent ouvrage est de décrire ce groupe de personnes au centre du processus d’information politique. C’est un outil pour comprendre comment interagissent le monde politique et celui des médias.»

Amour-haine

002Sylvain Gaudreault décrit avec justesse cette relation, écrit M. Saint-Pierre. «C’est une relation d’amour-haine, Les journalistes et les médias, pour les élus, c’est notre carburant. On n’existe pas si on n’est pas dans les médias alors on les interpelle constamment. Mais on n’est jamais satisfait. C’est une relation très, très schizophrénique. Je pense que c’est la même chose de leur part. Ils ont besoin de nous, mais ils ne sont jamais totalement contents de ce que l’on fait.»

Même analyse de la part de Jean-Pierre Charbonneau, qui comme beaucoup d’autres, s’est retrouvé des deux côtés de la barrière. Lui, place le débat sur le plan éthique, reprochant aux journalistes «d’exagérer sans trop d’états d’âme pour faire sensation», au risque de briser des réputations. De nombreux élus interviewés soulignent d’ailleurs que les journalistes ont du mal à avouer leurs erreurs, rétablissant rarement les faits lorsqu’ils ont erré.

Raison pour laquelle, petit à petit, les ministres se sont entourés des fameux attachés de presse sensés contrôler le message, faire barrière, gagner du temps, afin que leur patron façonne la meilleure des réponses. Peu de courriéristes se montrent très tendres envers eux, leur reprochant souvent d’être de jeunes militants promis à un bel avenir mais pour l’instant, sans expérience politique et surtout sans aucun égard pour les nécessités journalistiques, en terme de timing notamment.

«L’arrivée de ces nouveaux acteurs dans l’arène politique a des conséquences, écrit l’historien. La relation entre les politiques et les journalistes parlementaires, jadis plus facile et plus directe, devient pus officielle. Pour parler à un ministre, il faut passer par un intermédiaire qui fait obstacle, paravent. Ils alimentent les médias en nouvelles en réglant le débit; les petites doses suivent l’avalanche des rapports au gré de la conjoncture et du calcul politique. La source peut être abondante quand les nouvelles sont bonnes mais se tarir en période difficile.»

Un «grand collège de gars»

L’ouvrage dresse également le portrait de ces membres de la Tribune qui ont la particularité, de plus côtoyer leurs confrères des médias concurrents que leurs propres collègues.

Ils sont jeunes, 34 ans en moyenne, alors que seulement un sur cinq a plus de quarante ans. Ils ont grandi en ville, pour la plupart à Québec et à Montréal. Ils sont issus de milieux aisés, de plus en plus au fur et à mesure que l’on avance dans le temps. Ils ont fait des études en journalisme ou en sciences politiques pour la plupart. Et ce sont principalement des hommes.

«En 2008, on compte 30%  de femmes à l’Assemblée nationale et 27 % à la Tribune, note Jocelyn Saint-Pierre. Les milieux journalistiques et politiques demeurent des mondes à prédominance masculine.»

En cause pendant très longtemps, le préjugé qui voudrait que pour parler politique, «ça prenait un bonhomme», explique l’une des premières femmes courriériste dans les années 70, Gisèle Gallichan. Et par la suite parce que, selon plusieurs témoins, il s’agit avant tout d’un «grand collège de gars». Tout comme le beat qu’ils couvrent.

Ces hommes ont des activités comme le hockey ou la balle molle, qui permettent de tisser des réseaux. Par ailleurs, une journaliste remarque qu’un ministre peut aller boire une bière avec un journaliste, mais que c’est plus délicat de le faire avec une journaliste. «Ça conjointe va moins aimer ça, souligne-t-elle. C’est beaucoup plus compromettant».

Ouvrage de référence

Le problème de la conciliation travail-famille est là aussi un critère. Comment élever des enfants lorsque l’on ne connait pas son emploi du temps à l’avance et que la nouvelle politique peut tomber au moment d’aller les chercher à l’école? En période électorale, à l’occasion des congrès politiques ou lors des conférences de presse à l’extérieur de la capitale, la situation devient particulièrement intenable pour une jeune mère, à qui il incombe encore beaucoup de gérer les travaux domestiques et les tâches familiales.

Si l’ouvrage de Jocelyn Saint-Pierre s’attarde ainsi sur les relations entre les journalistes et les personnes qu’ils côtoient au jour le jour, s’ils dresse un portrait très fin de l’évolution sociologique des courriéristes, il ne se cantonne pas à cela, loin de là. Historique de l’institution, conditions de travail sur la colline, accélération de la nouvelle, arrivée des technologies, à savoir les médias électroniques d’abord, numériques ensuite, évolution de la collecte de l’information, de sa transmission, de l’écriture politique même, mais aussi place de la politique dans le flow de plus en plus grand de nouvelles, le tout, alors que l’industrie des médias navigue en plein crise structurelle… autant de sujets sur lesquels l’historien s’attarde avec minutie et documentation.

Un ouvrage de référence pour tous les journalistes, et pas seulement ceux qui œuvrent sur la colline.

La Tribune de la presse à Québec depuis 1960, Jocelyn Saint-Pierre, Septentrion.


La Tribune en quelques noms

  • Le doyen des courriéristes: Abel Vineberg, avec 38 ans de présence entre 1913 et 1954.
  • La plus jeune: Evelyn Dumas, 19 ans. Elle est aussi la première femme.
  • Le plus âgé au moment de son accréditation: Gilbert Lavoie, 53 ans.
  • La première femme présidente de la Tribune: Katia Gagnon en 1997. Elle a alors 26 ans et devient la plus jeune à occuper ce poste.

(((Photo: François Nadeau)))

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