Réflexion sur la difficulté de couvrir le terrorisme

À chaque nouvel attentat, le débat refait surface: les médias et les journalistes couvrent-ils correctement ce type d’événements ou font-ils le jeu des terroristes et/ou des politiques? Intiment-ils un climat de peur au sein de la population? Mettent-ils en péril les otages et les enquêtes? Vérifient-ils assez les faits ou les divulguent-ils alors qu’ils ne sont encore qu’à l’état de rumeur?  Privilégient-ils le sensationnel aux dépends de la réflexion? Quelques éléments de réponse dans les journaux de ces derniers jours.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Il est un peu plus de 23 heures à Nice, jeudi dernier, 17 heures à Montréal. Un camion vient de remonter la Promenade des Anglais juste après le feu d’artifice soulignant la Fête nationale française, tuant volontairement sur son passage 84 personnes et faisant près de 150 blessés. À Paris, toutes les chaines de télévision se mettent en édition spéciale.

C’est alors que la chaine publique France 2 relaye des images du camion écrasant des piétons ainsi qu’une interview d’un homme dépité, aux côtés du corps de son épouse gisant à ses côtés.

Vive réaction de la part des internautes, mais aussi de journalistes. Parmi eux, Nicolas Hénin, reporter de guerre ex-otage du groupe État islamique en Syrie. Sur son compte Twitter, il écrit : «Bonsoir Monsieur, vous venez de perdre votre épouse. Une réaction?” L’info par @FranceTV.»

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France-Televisions-a-presente-ses-excuses-apres-la-diffusion-d-une-sequence-choquante-durant-la-couverture-de-l-attentat-de-Nice.Dès le lendemain, France Télévisions présente ses excuses. Appelés à s’expliquer, les cadres de l’information répondent ne pas avoir voulu faire la même erreur que lors de l’attaque du Bataclan le 13 novembre dernier. Faute de moyens, le service public s’était mobilisé trop tard. En accélérant le processus, des images non vérifiées sont parvenues jusqu’à l’antenne. Ils évoquent «une faute de jugement».

L’obsession des côtes d’écoute

À chaque nouvel attentat, la couverture médiatique est décortiquée, largement commentée et critiquée sur les réseaux sociaux. Les uns reprochent aux médias d’être  trop tard sur la nouvelle et de la fournir alors que celle-ci a déjà fait le tour de médias sociaux, oubliant de préciser qu’elle n’était alors qu’à l’état de rumeur. Les autres au contraire, critiquent vivement le fait qu’ils relayent, au conditionnel, des informations non vérifiées avant de se rétracter.

«Sur les plateaux s’empilent les supputations, se succèdent les experts de la guerre et de la peur alors que le monde a cruellement besoin d’experts de la paix, écrit Laurent Bigot, chroniqueur au journal Le Monde. Les témoignages diffusés à l’antenne ainsi que les images confinent bien plus au voyeurisme qu’au devoir d’informer. Ce n’est plus de l’information, c’est de la mise en scène. Dans de telles circonstances, le devoir d’informer impliquerait de reléguer au second plan l’obsession de l’audimat. Il faut croire que les terroristes savent mieux profiter de nos faiblesses que nous des leurs.»

Au lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015, les journalistes s’étaient vu reprocher de mettre l’enquête en péril en dévoilant l’identité des frères Kouachi trop tôt. Plusieurs voix s’étaient également élevées contre BFM TV, lorsque la chaine avait révélé que plusieurs personnes étaient cachés dans la chambre froide du magasin Hypercasher où s’était retranché Amédy Coulibaly, prenant plusieurs personnes en otage.

Le 22 mars dernier ensuite, alors que c’est la Belgique, qui cette fois est touchée par le terrorisme islamiste, de nouveaux des voix s’expriment pour questionner l’intensité de la couverture médiatique, peut-on lire toujours dans le journal Le Monde.

«Si elle n’a pas occasionné de mise en danger d’individus ou directement gêné l’enquête, la couverture médiatique des événements de Bruxelles a néanmoins connu plusieurs ratés, depuis les explosions survenues mardi 22 mars dans la capitale belge, écrivent les journalistes Alexis Delcambre et Alexandre Piquard. Jeudi, le parquet fédéral belge est ainsi intervenu pour alerter sur l’absence de « pertinence » d’un portrait diffusé par plusieurs médias « sans aucune vérification officielle ». Cette image était censée représenter une des deux personnes recherchées, repérée dans le métro.»

Ils ajoutent que la diffusion de cette image est venue prolonger une série d’erreurs ou d’approximations constatées dans la journée du mercredi 23 mars: des médias ont d’abord indiqué que les deux frères El Bakraoui avaient été identifiés parmi les suspects de l’aéroport (alors que l’un d’entre eux s’est fait exploser dans le métro), avant d’annoncer l’arrestation de Najim Laachraoui… alors que celui-ci a finalement été identifié comme un des deux kamikazes de l’aéroport de Zaventem. La nouvelle – erronée – de l’arrestation de l’artificier présumé des attentats de Paris et Bruxelles a été répétée plusieurs heures par différents médias.

Peter Mansbridge salué

«La puissance des médias vendeurs d’effroi est une des meilleures alliées des poseurs de bombes», analyse le journaliste Daniel Schneidermann, grand spécialiste de l’analyse des images télévisuelles.

Dans cette course au sensationnalisme, sans doute faut-il de nouveau souligner le beau travail mené par Peter Mansbridge, le Bernard Derome des Canadiens anglais, lors de l’attaque du parlement d’Ottawa en novembre 2014.

«Au-delà des détails entourant la tragédie, c’est la couverture journalistique canadienne qui a impressionné plusieurs journalistes américains, écrivait Nathalie Collard dans les pages de La Presse quelques jours après la fusillade. Sur le site de Mother Jones, on peut lire un article dithyrambique sur le calme et la rigueur de l’animateur du National, Peter Mansbridge, qui était aux commandes de l’émission spéciale sur les ondes de CBC. Aujourd’hui, lit-on, la CBC a donné une classe de maître avec une couverture en direct calme et crédible.»

«Ce qui était moins habituel, écrit le journaliste de Mother Jones, James West,  c’est la manière dont Peter Mansbridge et son équipe ont géré la confusion, avec concision et en vérifiant chaque fait à mesure que la situation évoluait.» Quant à Andy Carvin, celui qui a pratiquement twitté le Printemps arabe lorsqu’il travaillait pour NPR, la radio publique américaine, souligne Mme Collard, il estime que les médias américains auraient beaucoup à apprendre de la manière dont Mansbridge a couvert la fusillade.

Un exemple à suivre pour les journalistes du monde entier? Chose certaine, la réflexion sur la difficulté de couvrir ces drames d’un  nouveau genre est à l’œuvre. En mars, le directeur des enquêtes et de l’investigation de Radio France, Matthieu Aron, a annoncé la mise en place d’une coopération entre les médias publics belges, canadiens, français et suisses, sur les sujets de terrorisme.

Une façon de s’adapter à la dimension transnationale du phénomène, dit-il, à l’image des consortiums d’investigation déjà existants entre différents médias.

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