Planète F diversifie ses sources de revenus

En 2014, plusieurs médias émergents se sont lancés sur la toile québécoise. Leur credo, se faire une place aux côtés des médias traditionnels en proposant une voix différente et du journalisme à valeur ajoutée. Deux ans plus tard, que sont-ils devenus? Projet J est allé leur poser la question. On démarre avec Planète F, le magazine qui traite des enjeux familiaux.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Et la grande nouveauté de cette rentrée sur ce webzine arrivé sur la toile il y a deux ans et demi, ce sont les blogues.

marieve-199x300«J’ai mis du temps à me faire à l’idée, explique sa fondatrice Mariève Paradis. Quand nous avons démarré, pour nous, il était clair que Planète F devrait être financé par ses abonnements, et ce, afin de rester complètement indépendant. Mais pour y parvenir, il nous aurait fallu cinq mille abonnements et nous en avons quatre cents. Des fidèles, très engagés, qui attendent nos dossiers avec impatience, les commentent, s’impliquent. Mais ce n’est pas suffisant pour faire vivre le magazine et rémunérer mes pigistes. Il a fallu que je me fasse à l’idée de me faire financer par la publicité. C’est comme cela que l’idée des blogues est apparue dans le paysage.»

Si Mme Paradis passe de «nous» au «je», c’est que sa co-fondatrice, Sarah Poulin-Chartrand, a quitté le projet voilà bientôt un an pour s’envoler vers d’autres aventures. Un coup dur pour la jeune entrepreneure, elle ne s’en cache pas, même si elle a su rebondir et avancer. Tout en doutant souvent. Les blogues? Elle n’en voulait pas au départ. Faire écrire des gens gratuitement, elle ne voulait même pas y penser, elle qui à la présidence de l’Association des journalistes indépendants (AJIQ) pendant plusieurs années, a défendu bec et ongles le droit à une rémunération pour tous les pigistes.

Cet article vous intéresse? Faites un don à ProjetJ.

«Et puis, j’ai fini par lancer l’idée, explique-t-elle. En la balisant. En me disant que ce serait pour donner la parole à des gens ayant pour une raison ou une autre, une expertise dans un domaine de la famille. Le milieu communautaire également. Je me suis dit aussi qu’avec les sujets qu’ils traiteraient, on pourrait faire ressortir des tendances, des sujets dignes d’intérêt, pour les futurs dossiers de Planète F. J’ai accepté aussi l’idée du contenu marketing pour faire la promotion de marques partageant les valeurs du magazine, tout en m’assurant toujours que cela soit très explicite. Mais je me disais que personne ne voudrait  écrire gratuitement les billets de blogue. Et sur ce point, je me trompais! On n’a pas idée, nous, journalistes, qui écrivons et sommes lus, qui avons une tribune et qui sommes payés pour cela, du nombre de personnes prêtes à partager gratuitement leur expérience et leurs connaissances sur un sujet qu’elles maitrisent.»

2 ans et demi sans salaire

Mariève Paradis espère donc faire entrer des ressources publicitaires grâce à ces blogues. Planète F est né en 2014 à la suite d’une campagne de sociofinancement ayant permis d’amasser 12 000 dollars. De quoi créer et lancer la plateforme. Deux prêts leur avaient permis également d’aller chercher 45 000 dollars et la journaliste avait sorti 10 000 dollars de sa poche.

«Ça correspondait au plan d’affaires que nous avions mis en place, explique-t-elle. De quoi soutenir la plateforme techniquement, parce qu’un site web, ça a beau être bien moins cher à administrer qu’un magazine papier, il reste qu’il y a toujours des petits problèmes techniques qu’il faut régler le plus vite possible et qui coutent de l’argent. De quoi également payer les journalistes et chroniqueurs à un tarif légèrement en deçà de ce que préconise l’AJIQ, mais bien placé sur le marché cependant. Mais pas de quoi me payer moi. Si on me demande ce que m’a couté Planète F, si j’enlève toute les considérations morales et psychologiques, c’est bien simple, c’est deux ans et demi de salaire pour l’instant.»

Un luxe qu’elle l’affirme, elle peut se permettre grâce au soutien sans faille de son conjoint. Soutien financier, moral et également technique puisque depuis quelques mois, il l’aide à la maintenance du site internet.

«C’est tout un défi, juge-t-elle. Il y a des questions de sécurité, quand tu traites avec des adresses IP, des cartes de crédit, des bases de données. Tu es responsable, il faut faire très attention et en tant que journaliste, ce n’est pas ta business. Il faut aussi modérer les commentaires, même si de ce côté, je suis plutôt chanceuse. Mon conjoint est un geek autodidacte, ça m’aide beaucoup.»

Patrimoine Canada

Mais il est également pour elle un baromètre. Lui ne navigant pas du tout dans les sphères médiatiques, il lui permet de savoir ce que le public connait du travail journalistique, ce qu’il sait de ses contraintes et de la réalité du métier.

«Personne n’a conscience du travail que c’est que d’écrire un article, estime-t-elle. Que ce n’est pas seulement de se mettre à son ordinateur et de taper au clavier. Qu’il faut trouver des contacts, attendre des retours d’appel, faire plusieurs entrevues, vérifier, écrire, publier, faire la promo sur les réseaux sociaux, etc. Le fait de l’expliquer à mon chum, de trouver les mots pour ça, ça me prépare quand vient le temps de chercher de nouvelles sources de financement. Parce qu’il faut à chaque fois réexpliquer la réalité de notre industrie.»

Après deux ans d’existence, Planète F est maintenant éligible à l’obtention d’une subvention de la part de Patrimoine Canada. La demande a été déposée et la réponse devrait arriver dans les jours qui viennent. Une réponse positive lui permettrait de diversifier ses sources de revenus. Les abonnements d’un côté, la publicité, la boutique qui existe depuis quelques mois et qui propose des articles d’artisans locaux, et donc espère-t-elle, la subvention.

«Ce serait une belle bouffée d’air frais, avoue-t-elle. Ça me permettrait de m’asseoir avec des spécialistes pour revoir la stratégie commerciale et marketing. De remettre mon plan d’affaires à jour également. Je croise les doigts, mais je suis tellement pas sure… c’est difficile de faire sa place en tant que média web. Il y a des réticences partout et notamment de la part des médias traditionnels. Je me fais encore dire aujourd’hui, que Planète F n’est pas un magazine… je ne dis pas que c’est parfait ce que je fais. Mais si je ne fais pas un magazine, qu’est-ce que je fais donc?»

La subvention lui permettrait également de devenir complètement éditrice et de laisser la rédaction en chef à quelqu’un d’autre. De quoi faire taire certaines voix qui lui reprochent cette double casquette. Mais alors, elle n’écrira plus au quotidien… rien qu’à évoquer cette possibilité, sa gorge se noue.

«Ma vie, c’est l’écriture, confie-t-elle. Est-ce que je pourrais m’en passer? Je n’ai pas la réponse. Je me rassure en me disant que je continuerai à écrire les éditos. Et puis, je me souviens que déjà à l’université, mon cours préféré avait justement porté sur l’industrie culturelle. J’avais soif de savoir comment on arrivait à faire vivre un média. Parfois, j’aimerais aussi aller à la maitrise pour travailler sur cette question. Mais en fait, je crois bien que je suis en train de la faire ma maitrise!»

À voir aussi:

Poser un regard scientifique sur les grandes questions d’actualité

Reporter sans frontières condamne la perquisition au JDM

Les médias, des marques comme les autres

Soutien à la presse: le gouvernement étudie la question

Journalistes et politiciens: «une incompréhension de part et d’autre»

Journaliste au Palais: révéler ce qui ne fonctionne pas dans la société

You may also like...