Soutien à la presse écrite: une question d’équité et de démocratie

La coalition pour la pérennité de la presse d’information au Québec était devant le Comité permanent du patrimoine canadien la semaine dernière pour défendre sa position en faveur du soutien des gouvernements aux médias écrits. Compte-rendu.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

3d69fdb«On voit la mission qui vous a été confiée comme une planche de salut, introduit Martin Cauchon, propriétaire du Groupe Capitales Médias. Un mandat que nous souhaitons accompagner car l’ensemble des médias un peu partout au Canada, et c’est la même chose partout à travers le monde, est dans une belle tempête qui doit inspirer et amener à la mise en place d’un  nouveau modèle d’affaires.»

À la barre, Martin Cauchon donc, mais aussi le directeur du Devoir Brian Myles et le président et éditeur du Droit, Pierre Paul Noreau. Tous membre de la coalition mise en place le mois dernier pour faire pression sur les différents paliers de gouvernement. Hebdo Québec et TC Média en font eux aussi partie, soit au total 146 journaux et magazines rejoignant 6 millions de personnes au Québec et représentant 2500 emplois de qualité.

«2500 employés qui chaque jour se lèvent pour donner des infos de qualité à toute la communauté, précise M. Cauchon. Aujourd’hui, nous lançons un cri d’alarme pour qu’il y ait un débat national sur cette question de la presse écrite. C’est une question de démocratie. Notre lectorat est en croissance. Il y a un besoin, il y a une demande. Depuis quelques années, il y a des modifications au sein de nos modèles d’affaires avec le multiplateforme, avec les multinationales comme Google qui drainent les revenus vers elles. La concurrence est féroce, elle vient de partout.  Il faut que vous puissiez nous accompagner dans cette transformation des modèles d’affaires.»

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Depuis le printemps, Un comité de Patrimoine Canada se penche ainsi sur l’avenir de l’information régionale. Plus tôt cette année, le président de TC Média François Olivier était déjà venu dire que si les gouvernements ne faisaient rien, il ne faudrait pas qu’ils s’étonnent que d’autres médias mettent la clé sous la porte.

jzechxcq«L’heure est grave, confirme Brian Myles. Les revenus traditionnels de l’imprimé diminuent et les revenus numériques ne compensent pas pour ces pertes. C’est fantastique la révolution numérique, on n’est pas des dinosaures et personne ne veut revenir en arrière. Mais force est de constater qu’on a échangé des dollars analogiques contre des cents numériques.»

Iniquité

La coalition demande à la fois des aides directes et indirectes au gouvernement fédéral. Première des choses, cesser de nuire aux médias écrits en utilisant les 20 millions consacrés à la publicité dans leurs pages et sur leurs plateformes au lieu de les donner aux géants que sont Google et autre Facebook.

«Il y a dix ans, ces vingt millions étaient chez nous, constate M. Myles. Aujourd’hui, nous n’en avons plus qu’un demi million. Il faut augmenter de façon significative et durable le placement publicitaire gouvernemental dans nos médias. On estime également que les annonceurs privés qui ont encore le courage d’annoncer dans les médias d’ici devraient bénéficier de crédits d’impôt, que leurs placements publicitaires se fassent dans l’imprimé ou sur nos plateformes.»

Et si M. Myles parle si souvent des plateformes, c’est que tous les médias de la coalition, bien qu’étant historiquement des imprimés, ne le sont plus exclusivement, et le sont même de moins en moins.

«J’ai besoin d’argent pour rejoindre mes futurs clients sur mes plateformes mobiles, explique-t-il. Parce qu’ils s’informent avec ces outils. Si je leur mets un journal dans les mains, ils ne savent pas quoi faire avec ça. Il  faudrait développer un tutoriel pour leur montrer comment faire! Bref, pour les rejoindre, nous allons tous devoir faire de la vidéo par exemple, ce que nous faisons déjà à l’occasion. Or, comme nous sommes considérés comme des médias écrits, nous n’avons pas accès aux programmes de soutien de Téléfilm Canada ou encore du Fonds canadien. C’est inéquitable. Nous demandons à être traité comme les autres médias.»

Dans le même ordre d’idée, la coalition demande aux deux paliers de gouvernement de se coordonner pour alléger les taxes, TPS et TVQ, que les médias paient sur leurs produits. L’industrie du livre bénéficie de cet allégement, pourquoi pas les médias imprimés, questionne-t-elle.

«Nous au Devoir, on a un mur payant, indique Brian Myles. Nous sommes un des rares médias à réussir à faire payer pour une info de qualité, mais on sait très bien qu’on teste l’élasticité de la demande si on augmente constamment les prix. L’exemption des taxes nous permettrait d’avoir une marge de manœuvre.»

Une industrie essentielle à la démocratie

M. Myles en appelle donc à une aide de cinq ans, le temps que le virage numérique soit véritablement pris et que le modèle d’affaires trouve son rythme de croisière. Le temps de développer les nouveaux outils également. Une aide sous forme notamment de crédits d’impôt sur la masse salariale.

«Nous devons embaucher des journalistes qualifiés pour poursuivre notre virage numérique, explique-t-il. On ne demande pas de vivre au crochet de l’État, mais on estime qu’une aide transitoire nous permettrait de poursuivre ce que nous avons amorcé et de payer nos journalistes. L’information, ça a un prix, une valeur. Et cette valeur, c’est la valeur des cerveaux que l’on embauche et que l’on déploie sur le terrain pour rapporter du matériel de qualité. Ces crédits nous permettraient d’avoir un peu d’oxygène le temps que nos modèles d’affaires se placent.»

Et la coalition de rappeler que de nombreuses industries culturelles – le livre, le multimédia, le jeu vidéo – sont aidées de la sorte depuis des années. Que plusieurs industries non culturelles – aérospatial, pisciculture, technologie – ont été aidées temporairement par le passé quand elles en ont eu besoin. De rappeler également que même les États-Unis font mieux que les deux dollars d’aide per capita que le gouvernement fédéral daigne verser aux médias écrits. Et que certains pays aident à hauteur de 80 dollars par habitant.

«Nous ne demandons pas à ce qu’on en arrive à une situation scandinave, précise le directeur du Devoir. Mais il faudrait en faire plus pour soutenir une industrie essentielle à la démocratie.»

Droits d’auteur

Ne pas en arriver à une situation scandinave d’autant que le soutien gouvernemental est vu comme transitoire… mais à condition que dans le même temps, le gouvernement fasse ses devoirs sur le terrain des droits d’auteur.

«Il est primordial de mettre à jour la loi sur les droits d’auteur, avance Martin Cauchon. Les pays européens sont en avance sur le Canada et les USA sur ce plan-là. Ici, on a laissé Google, Facebook, Apple et les autres vampiriser nos contenus et les monétiser. C’est un exode de recettes très important. Il faut bonifier la loi pour qu’on puisse avoir des redevances quand nos contenus sont repris. Et à ce moment-là, c’est sûr que ces géants vont accepter de s’asseoir à notre table pour discuter des modalités.»

Et de conclure sur une note optimiste.

«Je sais que le gouvernement du Canada va choisir d’être avec nous en partenaire, avance M. Cauchon. Je suis très fier de me dire que dans cinq ans je serai encore là pour vous parler, toujours en tant que président-directeur de Capitales Médias.»

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