Les écoles à l’ère du journalisme numérique

L’industrie est en pleine mutation, les écoles de journalisme aussi. Alors qu’on leur a longtemps reproché de ne pas s’adapter aux nouveaux besoins des salles de nouvelles, il semble que cette fois, les programmes de formation soient enfin entrés à l’ère du journalisme numérique.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

viskwbpz«J’ai ajouté à mon cours un certain nombre de choses incluant le traitement audio, vidéo, photo 100% numérique, indique Renaud Carbasse, professeur adjoint au département d’information et de communication de l’Université Laval. La semaine passée, j’ai poussé mes étudiants à expérimenter la couverture sur téléphone portable. Je les force aussi à prendre un cours de Html et de CSS pour qu’ils soient capables de se débrouiller tout seul s’ils tombent sur une site web récalcitrant. On va faire de la recherche et de la vérification d’infos sur les réseaux sociaux. Bref, toute une série de choses qui vont être pour et par le web, mais avec un angle pratico-pratique et production.»

Ce cours de premier cycle, intitulé Production journalistique multimédia est donné depuis quelques sessions mais il a été repensé totalement cette année par M. Carbasse afin de plus focaliser sur le web. Par ailleurs, le jeune professeur donne également depuis cette année, un séminaire de maitrise sur les pratiques innovantes en journalisme.

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«Il s’agit cette fois de regarder les pratiques journalistiques, explique-t-il. À la fois les nouveaux outils et les nouvelles opportunités qu’ils offrent. Je leur parle de BD reportage par exemple, quelque-chose de relativement neuf et qui donne des résultats intéressants et visuellement parlants. Mais le cœur des pratiques innovantes, ça va être tous les canaux de diffusion. On évoque Snapchat, Whatsapp, les enjeux du datajournalisme, l’utilisation des réseaux sociaux en amont et en aval, je m’intéresse aussi aux nouvelles formes organisationnelles, les startups de l’info, les nouvelles formes de diffusion sur le web, etc.»

Même chose du côté de l’Université du Québec à Montréal (Uqàm), qui, arrivée à la troisième année de son nouveau programme, offre désormais un cours de Technologies de l’information appliquées au journalisme.

edzuvpfh«On va beaucoup plus loin que ce qui était enseigné dans l’ancien programme, explique le responsable de ce nouveau cours, Jean-Hugues Roy. On parle programmation, base de données MySQL, etc. Dans le fond, tout ce qui se fait aux États-Unis depuis plusieurs années maintenant. Le cours est optionnel mais je dois avouer qu’il est très populaire.»

Plongée dans les chiffres

 Plus en tout cas qu’un autre, lui pourtant obligatoire et qui porte sur tous les langages du web. Html, feuilles de style, tableurs, etc. Car Jean-Hugues Roy considère qu’il s’agit-là d’une compétence nécessaire à tout futur journaliste, quel que soit son beat. Or, il perçoit dans les yeux de certains de ses étudiants une certaine forme d’incrédulité.

«Nombreux sont ceux qui n’en ont rien à cirer et qui se demandent bien à quoi ça va leur servir, avoue-t-il. Or la société d’aujourd’hui s’exprime beaucoup sur les réseaux informatiques. Pour étudier les phénomènes qui nous traversent, il faut comprendre, connaitre, maitriser les langages qui sous-tendent cet univers. Comprendre la programmation, c’est utile, et pas simplement en journalisme de données. L’économie, la politique, la culture, le sport bien sûr… pour vérifier et aller plus loin que le simple recopiage de communiqué, il faut à un  moment ou à un autre plonger dans les chiffres. Je m’arrange aussi pour placer un calcul de pourcentage dans mes ateliers, ajoute-t-il. C’est important, pour bien comprendre notre société, de savoir compter!»

À l’Université d’Ottawa, le nouveau programme en journalisme en est carrément devenu un en journalisme numérique. Toujours donnée dans les deux langues, le français et l’anglais, toujours en partenariat avec la Cité collégiale et le Collège algonquin, cette formation à la fois pratique et théorique accueille cette année une cinquantaine d’étudiants, trente de plus que l’an dernier.

bernier«Il est encore trop tôt pour tirer les premières conclusions, indique Marc-François Bernier, professeur titulaire au département de communication. Nous aurons une première réponse de la profession au printemps puisque nos premiers finissants doivent trouver des stages. Ce qui est certain, c’est que pour mettre en place notre programme, nous avons écouté le milieu. Nous nous sommes alignés sur les besoins de l’industrie, même si évidemment, c’est en entrant dans une salle de nouvelles que chacun de  nos étudiants vont parfaire leur formation en fonction des outils utilisés.»

Culture scientifique minimale

La différence entre un étudiant sortant de l’Université d’Ottawa il y a deux ans et celui qui sera finissant en 2017? Avoir été formé aux logiciels, avoir travaillé sur la géolocalisation, le journalisme de données, etc. Des cours pratiques avec des professeurs qui sont aussi des journalistes de terrain.

«Depuis toujours, dans notre formation, nous avons eu des cours de méthode de recherche, explique M. Bernier. De la formation aux statistiques par exemple car on a toujours pensé que pour analyser un discours, c’était essentiel. Ça l’est encore plus aujourd’hui alors que nous sommes inondés de chiffres. Ce cours est donc devenu très central. Méthode de recherche en qualitatif, comment on mène une entrevue par exemple. Mais aussi en quantitatif : comment on peut interpréter une enquête, un sondage, etc. Qu’est-ce qu’une moyenne, une marge d’erreur? Ça fait partie d’une culture scientifique minimale en journalisme.»

L’avenir dira si ces nouvelles formations sont mieux adaptées à la réalité du journalisme d’aujourd’hui. Du côté des étudiants, si certains rechignent à mettre les mains dans la programmation, ils sont nombreux à en comprendre l’importance.

«Pour en avoir discuté avec mes étudiants de maitrise, tous m’ont dit ne pas avoir été sensibilisés à cela en premier cycle, raconte Renaud Carbasse. Il n’était pas à l’aise rien que pour centrer une photo avec le html. Or, ils prennent conscience premièrement que le journalisme ne sera peut-être pas leur occupation principale et qu’ils seront peut-être animateur de communauté par exemple, et deuxièmement, que s’ils sont journalistes à temps plein, ils travailleront certainement pour une plateforme web.»

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