Journalisme scientifique: des femmes à la barre

Alors que l’on évoque souvent la difficulté pour les femmes journalistes de crever le plafond de verre qui les empêche d’atteindre les postes de direction, force est de constater qu’il est un domaine qui échappe à cette règle. Un grand nombre de médias scientifiques québécois sont en effet aujourd’hui dirigés par des femmes. Projet J a discuté avec certaines d’entre elles pour tenter d’expliquer ce phénomène.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

index«Je me suis fait moi aussi cette réflexion il y a quelques semaines, avoue Josée Nadia Drouin, directrice générale de l’Agence Science Presse et dans le domaine du journalisme scientifique depuis une quinzaine d’années. Lors d’une rencontre pour discuter de la suite de la campagne 100 la Science, je me suis rendu compte qu’il y avait majoritairement des femmes autour de la table. Surtout des jeunes femmes de la génération montante. C’est surprenant et j’en suis ravie. Ça doit être parce que nous sommes en 2016!»

Marie Lambert-Chan, toute récente rédactrice en chef de Québec Science, aux Débrouillards, Isabelle Vaillancourt et Laurène Smagghe, qui assume l’intérim ces mois-ci, Marie-Hélène Croisetière, rédactrice en chef de la revue du Jardin botanique, Quatre-Temps ou encore Noémie Larouche, à la tête de la salle de nouvelles de Curium… force est effectivement de constater que les postes de direction des magazines scientifiques sont pour un grand nombre occupés par des femmes.

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Une situation que l’on retrouve par ailleurs chez les journalistes scientifiques dans leur ensemble. Une étude menée par la Chaire de journalisme scientifique Bell Globemedia de l’Université Laval et datant de 2012, révèle que c’est toute  la profession qui se féminise. Alors que les femmes sont en effet presque trois fois moins nombreuses que les hommes chez les 50 ans et plus, elles sont deux fois plus nombreuses que leurs confrères chez les moins de 35 ans. Résultat, alors qu’en 2008, seulement 45% des journalistes scientifiques étaient des femmes, elles représentent aujourd’hui 52% de la profession.

marie_7851«Il y a de plus en plus de filles dans les programmes en journalisme, remarque Marie Lambert-Chan. Il est normal d’en voir plus dans les salles de nouvelles. Les filles réussissent aussi de mieux en mieux en science. Maintenant, qu’on en trouve autant aux plus hauts postes dans les médias scientifiques, je ne saurais l’expliquer mais je trouve que c’est une très bonne nouvelle. Enfin les femmes prennent la mesure de leurs capacités et n’ont plus peur d’afficher leurs ambitions.»

«On le remarque bien, que ce soit dans les magazines, à la télévision à la radio, les signatures sont souvent féminines, confirme la présidente de l’Association des communicateurs scientifiques (ACS), Stéphanie Thibault. À l’émission Découverte, il y a eu trois nouveaux postes ces derniers mois. Le concours était ouvert à tous les journalistes scientifiques, mais ce sont trois femmes qui les ont eus. Quatre des cinq derniers présidents de l’ACS sont des présidentes. Au CA cette année, nous sommes cinq femmes pour deux hommes. La communication scientifique semble effectivement bien réussir aux femmes.»

Créatif et inspirant

Mais pourquoi donc? En bonnes scientifiques, les journalistes interrogées ont eu du mal à avancer des hypothèses qui ne soient pas basées sur les résultats d’études scientifiques. Mais elles ont quand même accepté de partager à la fois leurs expériences et leur sentiment.

«J’ai une formation en biologie végétale, raconte Mme Drouin. Mais j’ai quitté les laboratoires parce que ça ne cadrait avec ma vie familiale. La recherche scientifique est difficilement conciliable avec le fait de s’occuper de ses enfants. Je me suis tournée vers la communication et c’est tout naturellement que je suis entrée en journalisme scientifique.»

marie-helene«Je ne crois pas être typique des personnes qui embraquent en science, indique pour sa part Marie-Hélène Croisetière. Je me voyais plutôt en art mais en même temps, j’avais une soif d’apprendre. Le journalisme scientifique me permet d’allier les deux. C’est créatif et on comprend mieux le monde qui nous entoure.»

«C’est un type de journalisme inspirant pour les femmes, ajoute Stéphanie Thibault, parce qu’il est très utile pour la société.»

Impact sociétal

Car si aucune des journalistes avec lesquelles Projet J s’est entretenu irait jusqu’à dire qu’il y a une façon masculine et une autre féminine de faire du journalisme scientifique, elles assument cependant que les femmes vont avoir tendance à plus angler sur l’impact sociétal des sujets scientifiques. Qu’est-ce que cette nouvelle étude, cette avancée, cette découverte nous apprend sur nous? En quoi elle peut nous rendre meilleur, en tant que société?

Depuis son lancement il y a deux ans, Curium s’est d’ailleurs clairement positionné sur cette ligne. Québec Science, avec Marie Lambert-Chan à sa tête, souhaite de plus en plus porter un regard scientifique sur toutes les questions d’actualité qui traversent la société. Prochaine étape, faire en sorte que de plus en plus de femmes lisent ces magazines, car pour l’instant les lecteurs des médias scientifiques demeurent majoritairement des hommes. La présence de toutes ces femmes dans les salles de nouvelles sera-t-elle de nature à changer la donne?

355c2e2«C’est sûr qu’initialement, les gens qui nous parlaient de science étaient des hommes, répond Stéphanie Thibault. Avoir des modèles féminins ne peut être qu’une bonne chose pour attirer les jeunes filles vers les carrières scientifiques, vers le journalisme scientifique ou tout simplement pour les amener à lire les médias scientifiques.»

«Jusque-là, la vulgarisation scientifique n’était vraiment pas mise de l’avant lorsqu’on entreprenait une carrière scientifique, ajoute Josée Nadia Drouin. Nos parcours dans les médias, c’est une nouvelle porte qui s’ouvre pour des jeunes filles qui ne voudraient pas de la lourdeur d’une carrière en recherche mais que la science passionne malgré tout.»

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