Les trois mots de Josée Boileau

L’ex-patronne de la rédaction du quotidien Le Devoir se livre en huit lettres écrites à l’attention des jeunes filles qui voudraient embrasser la carrière de journaliste. Un véritable plaidoyer en faveur d’un métier auquel pour rien au monde elle ne renoncerait. Pour de nombreuses raisons, mais surtout pour le plaisir sans cesse renouvelé qu’elle a d’écrire. Compte-rendu.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

001 Trois mots. Les trois premiers. Ceux auxquels Josée Boileau avoue s’accrocher.

«Ce sont les trois premiers mots d’un texte qui vont décider un lecteur à embarquer. (…) Quand vient l’heure de rédiger, je cherche donc ces trois mots puis les aligne à l’écran: me donnent-ils envie de lire ce qui va suivre? Hum, ça commence raide… Cette formulation-là alors? Non, ça tombe à plat. Et si je changeais juste ce mot? Pas sûr. Dans le doute, j’efface. Et je cherche encore. Rien ne sera écrit tant que cette formule magique n’aura pas été créée.»

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Dans la dernière lettre, le dernier chapitre consacré au plaisir d’être journaliste, Mme Boileau explique donc qu’elle écrit ses papiers en commençant par le premier mot et en terminant par le dernier. De manière linéaire. Quand d’autres commencent par jeter tous les verbatims sur le papier, d’autres des paragraphes sans liens apparents les uns avec les autres, d’autres juste quelques idées qu’il faudra développer. Il n’y a pas de méthode meilleure qu’une autre. La jeune journaliste à laquelle elle s’adresse devra trouver la sienne, celle qui fonctionne pour elle. Celle qui lui permettra de rendre son papier à temps pour ne pas faire attendre les pupitreurs.

Plaisir des mots, plaisir de jouer avec eux et de les relire dix, quinze fois, encore et encore, d’en changer, un, deux, une phrase, un paragraphe, d’améliorer le verbe jusqu’au dernier moment.

«Quand j’en arrive à ce travail sur les mots et le rythme, mon vrai bonheur commence, raconte-t-elle. Et si le texte final est trop rarement à la mesure de ce que j’aurais souhaité, tant pis! Ce sera pour le lendemain: c’est la beauté du travail dans un quotidien.»

Pire qu’avant? Pas sûr!

Dans ces Lettres à une jeune journaliste, celle qui a quitté Le Devoir l’hiver dernier se veut rassurante.

Oui, l’industrie doit aujourd’hui composer avec la révolution numérique, synonyme de baisse des revenus publicitaires et de salles de nouvelles réduites à peau de chagrin.

«Partout dans le milieu, tu entendras donc dire qu’il faut fournir toujours plus de contenus et toujours plus vite, écrit-elle. Que c’est le règne du clip, des capsules, de l’information-spectacle, du superficiel; que le public ne fait que glisser d’un écran à l’autre, ne fixant son attention sur rien, semblant de contenter du rôle de consommateur qu’on lui assigne désormais. Et que tout cela est désolant pour le métier, la démocratie, la société. (…) La conclusion semble s’imposer: la presse va mal. Mais est-ce pire qu’avant? Je n’en suis pas certaine. Vraiment pas.»

Josée Boileau cite alors plusieurs passages d’ouvrages consacrés au journalisme et datant des années 70, 80, 90. On y parle déjà «d’information-supercherie», de produit d’information «usiné», du «règne de la capsule, du comprimé, de la pilule, du flash, de l’essentiel en cinq ou dix lignes, du punch obligatoire». On y évoque la disparition de neuf quotidiens québécois en l’espace de vingt ans et la fermeture de plusieurs salles de nouvelles en radio.

Certes, la période n’est pas facile. Mais y en a-t-il eu des faciles un jour? Josée Boileau récuse d’ailleurs l’idée d’un âge d’or du journalisme, qui reviendrait à exclure tout un pan des artisans, ceux qui ne l’auraient pas vécu. À leur dire qu’ils n’en ont pas fait partie et qu’ils ne pourront pas en construire un nouveau dans le futur. Et alors que tout le monde dit le métier en pleine crise, le journalisme d’enquête ne serait-il pas lui, en pleine vitalité? N’est-ce pas la pugnacité des journalistes qui a permis de mettre le doigt sur des pratiques plus que douteuses dans l’octroi des contrats publics et mené à la mise en place de la Commission Charbonneau?

Détermination

Elle rappelle que c’est d’ailleurs à partir du Devoir que les premiers fils ont été tirés. Via une certaine Kathleen Lévesque, passée aujourd’hui à La Presse. Parce qu’elle a su insister. Parce qu’elle est revenue plusieurs fois avec son histoire sur des irrégularités dans l’installation des compteurs d’eau, que ses patrons ne trouvaient pas assez sexy. Elle a su convaincre, et c’est là l’une des plus grandes qualités chez un journaliste, croit Mme Boileau. La ténacité. Celle qu’elle a eu elle-même plus jeune, tout simplement parce qu’elle ne voyait pas ce qu’elle aurait pu faire d’autre.

«Cette détermination, je la remarque encore aujourd’hui chez une foule de jeunes, qu’ils soient sûr d’eux ou perclus d’anxiété, écrit-elle. Ils n’ont que faire des prédictions des uns et des autres, des calculs savants sur les meilleurs emplois disponibles, des scénarios sur l’avenir du métier. Comme patronne, poursuit-elle, si j’ai opposé bien des refus aux offres qu’on m’envoyait, je classais toujours dans un dossier à part les propositions des candidats qui se démarquaient, notant ceux et celles qui ne se laissaient pas démonter, qui revenaient à la charge avec de nouvelles idées. J’étais tellement désolée de leur dire non, incapable de croire que c’était pour de bon.»

Détermination donc pour vivre de la pige, comme c’est le cas aujourd’hui de la plupart des journalistes débutants. Détermination également une fois à l’intérieur des murs d’une salle de nouvelles. «La rédac», comme l’appelle Josée Boileau, cet endroit où elle avait toujours hâte d’arriver «pour être avec la gang», pour se réjouir avec son entourage du scoop que l’on vient de déterrer, pour vivre l’effervescence d’une soirée électorale ou tout simplement apprendre des autres. Cet endroit dans lequel on sait à quelle heure on entre sans savoir quand on pourra en ressortir.

Car la nouvelle a toujours la bonne idée de sortir vers 17 heures. Et on est journaliste 24 heures sur 24, affirme-t-elle. La conciliation travail-famille dans tout ça? Mme Boileau concède que pour réussir dans cette carrière tout en étant mère, il faut être particulièrement bien entourée. Le journalisme n’est pas un métier à horaires fixes et il y aura toujours des moments où les compromis sont impossibles, souligne celle qui a eu quatre enfants.

«Accroche-toi, conclut-elle malgré tout. Oui, le monde des médias est une industrie, avec ses contraintes techniques, ses obligations de rendement, sa routine, ses p’tits boss. Mais tu es plus qu’une travailleuse qui pointe ou qui court le cachet; tu fais partie d’une profession qui a des responsabilités citoyennes. On le tient pour acquis, et pourtant le journalisme est au cœur de la vitalité d’une société, une condition de la démocratie. C’est en partie ce pourquoi tu as choisi d’en faire ton métier – sinon, tu aurais plongé dans l’univers bien plus vaste et payant des communications, non?»

Lettres à une jeune journaliste, Josée Boileau, vlb éditeur

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