Pour en finir avec la couverture coloniale de l’international

Le rôle des médias dans la compréhension des enjeux Nord/Sud est au cœur des vingtièmes Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI) qui ont lieu dans toute la province jusqu’à demain.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«L’idée de prendre pour thématique les médias a germé en janvier dernier, explique Marie Brodeur Gélinas, chargée de projet à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), organisatrice des JQSI. Il y a eu l’attentat de Ouagadougou au Burkina Faso. Plusieurs Québécois en ont été les victimes et les médias les ont présentés comme des travailleurs humanitaires, ce qu’ils n’étaient clairement pas puisqu’un travailleur humanitaire est un professionnel de la catastrophe capable de monter des latrines après un tremblement de terre ou un tsunami. Ils disaient aussi qu’ils se trouvaient au Burkina  pour peindre des tableaux noirs. Or, les Burkinabés n’attendent pas après les Occidentaux pour repeindre des tableaux noirs. Ils sont capables de le faire eux-mêmes. Peut-être qu’ils aidaient à rénover une école, mais leur action allait plus loin que ça. Ils étaient là en séjour de solidarité, pour donner et pour apprendre des Burkinabés. Dans une démarche de réciprocité, d’ouverture à l’autre.»

Quelques jours auparavant, l’AQOCI avait par ailleurs accroché sur un article de La Presse, qui parlait de volontourisme, ce tourisme de la bonne conscience qui consiste à se rendre dans un pays en voie de développement pendant une à deux semaines pour travailler dans un orphelinat ou auprès de la communauté.

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«Certains enjeux étaient bien expliqués, admet Mme Brodeur Gélinas. Mais il insistait peu sur le fait que ces touristes ne recevaient pas de formation avant de partir. Que les gens s’inscrivent en ligne, qu’il n’y a pas de processus de sélection. À l’AQOCI, nous avons le programme Québec sans frontières, qui depuis vingt ans, envoie des stagiaires sur le terrain. Il y a un long processus de recrutement, cinq fins de semaine de formation pré-départ, on y parle éthique, pauvreté, choc culturel, comment travailler auprès des communautés dans la réciprocité, le respect des cultures. Nous craignions que les Québécois puissent faire l’amalgame entre le volontourisme et notre programme.»

L’Association planchait justement à l’époque sur la thématique de ses prochaines journées. Le rôle des médias s’est imposé de lui-même.

Une couverture normée

Dans son communiqué, l’AQOCI rappelle que certes, dans ce monde aux inégalités structurelles, une minorité de personnes est privilégiée alors qu’une majorité vit de multiples oppressions, mais que cette majorité n’attend pas, bras croisés, que des privilégiés viennent lui apprendre comment agir. Que ce type de projets, même s’ils appuient concrètement des communautés, permettent surtout d’apprendre les uns des autres. Qu’il n’est pas question d’assister les populations locales, et surtout pas de les sauver. Que le travail humanitaire et la coopération ne sont pas du même ordre.

L’association regrette que les médias ne s’intéressent à ces populations que lors de crises – guerres, catastrophes naturelles – et toujours sous l’angle colonial. Parce que le système économique repose sur l’exploitation des ressources naturelles et sur des règles économiques qui avantagent les pays du Nord et siphonnent les capacités d’émancipation économique du Sud. Et que percevoir l’Occident comme un modèle pour le reste du monde constitue la norme, croit-elle.

«C’est alors difficile de parler positivement de ce qui se passe sur le terrain, localement, estime Marie Brodeur Gélinas. On parle plutôt de la générosité des gens du Nord. C’est plus simple à faire comprendre à un public peu informé sur ce qui se passe ailleurs. Or, les médias sont des entreprises qui doivent faire de l’argent, donc avoir une certaine audience.»

rotate-phpL’AQOCI suggère alors aux médias de partir du terrain. De la petite histoire pour raconter la grande. L’histoire par exemple de cette femme, membre d’une coopérative en Afrique. Une histoire qui sert d’illustration concrète aux problèmes économiques vécus par les femmes africaines, mais surtout aux solutions qu’elles déploient, notamment dans des structures démocratiques d’économie sociale.

La loi du mort kilométrique

«Nous avons rencontré plusieurs journalistes pour préparer nos journées, explique Mme Brodeur Gélinas. Ils nous ont parlé de leurs contraintes, manque de temps, manque d’argent pour préparer des dossiers de longue haleine qui permettraient d’entrer dans les détails de la coopération internationale. Manque d’intérêt également. Et cette fameuse loi du mort kilométrique…»

Cette loi qui permet de déterminer la valeur d’une nouvelle, en divisant le nombre de morts par le nombre de kilomètres qui séparent l’auditoire de la nouvelle. Un  mort au centre-ville de Montréal est ainsi plus important qu’une tragédie qui aurait coûté la vie à une centaine de personnes au Pakistan.

«Une loi aux antipodes de la solidarité internationale, croit la chargée de projet. Parce qu’elle ne met l’accent que sur les grandes catastrophes et qu’elles ne montrent les populations du Sud que lorsqu’elles sont dans la détresse la plus totale. Mais ce concept de mort kilométrique est également à géographie variable, ajoute-t-elle. On parle en effet plus d’une prise d’otages à Sydney en Australie que d’actes de violence entourant les activités de minières canadiennes au Guatemala.»

Elle raconte d’ailleurs avoir évoqué la question avec une amie journaliste récemment et que celle-ci aurait justement invoqué cette fameuse loi du mort kilométrique… avant de se rendre compte que ça ne tenait pas.

Si avec cette thématique consacrée à la couverture de la coopération internationale, l’AQOCI souhaite présenter aux médias des pistes afin de mieux informer le public, elle a également un message pour tous les Québécois intéressés par le sujet. Celui de ne pas s’informer uniquement via les médias traditionnels.

«Il  faut exercer un regard critique sur l’information fournie par les médias et varier ses sources d’information en consultant les médias alternatifs et les organismes de la société civile, croit Marie Brodeur Gélinas. Les réseaux sociaux également, même si ceux-ci sont à double tranchants puisque qu’ils peuvent aussi être le relais de fausses informations. Mais ceci est un autre sujet auquel nous devrons certainement consacrer une campagne toute entière dans les années à venir.»

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