Congrès de la FPJQ : l’apologie du terrain

Plus de six cents journalistes se sont réunis durant les trois derniers jours au Manoir Saint-Sauveur dans les Laurentides à l’occasion du congrès de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ). L’occasion de discuter de tous les sujets chauds du moment et de faire preuve d’une belle solidarité face aux attaques dont la profession fait l’objet.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

affiche_709Sortons de nos bureaux, cessons de vivre dans la twittosphère, n’hésitons pas à retourner nous crotter les bottes sur le terrain, rapportons des faits!

Voilà bien un discours qui a tourné en boucle tout au long de fin de semaine dans les différents ateliers organisés par la FPJQ. Si les précédents congrès avaient pas mal tourné autour de la recherche du fameux modèle d’affaires susceptible de sauver une industrie proche de la banqueroute, les journalistes ont cette fois préféré laisser cette question dans la cour de leurs patrons pour se concentrer sur le cœur de leur métier, à savoir la recherche de la vérité, basée sur des faits et non des opinions.

«Je m’entretenais avec des jeunes journalistes et je leur disais que je n’allais que très rarement lire les commentaires sur mon fil Twitter, rapporte la chroniqueuse politique Chantal Hébert dans un atelier portant sur les diverses manières de combattre le spin. Étonnés, ils m’ont demandé comment je pouvais savoir ce que pensent les gens. Je leur ai répondu que je leur parlais!»

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Et à ceux qui lui rétorquent qu’il n’ont plus le temps de faire du terrain, qu’on leur en demande trop, que les journées ne sont pas extensibles, elles leur supplient d’arrêter de s’auto-excuser. Oui, il faut produire plus. Mais en même temps, il y a tellement de choses qui prennent beaucoup moins de temps qu’avant, comme la vérification des faits. Elle fustige le «journalisme transactionnel», pratiqué par quelques journalistes paresseux qui attendent qu’un ministre ou un député leur distribuent un petit scoop ou deux par semaine en échange de quoi ils ne vont pas trop fouiller dans le reste de leurs affaires.

Surtout, elle exhorte les jeunes à être plus audacieux. Elle, lorsqu’elle laisse un message dans un ministère, toutes les sirènes se mettent en branle, ironise-t-elle. Les journalistes en début de carrière paraissent moins dangereux aux yeux d’un relationniste. Ils devraient en profiter tant qu’il est temps pour eux.

Sources anonymes

Des faits donc. Et pour les obtenir, du terrain. Et des sources. Qu’il faut entretenir, appeler même lorsque l’on attend rien d’elles. Parler de la pluie, du beau temps et de la carie du petit dernier. Des sources qu’il faut protéger, coûte que coûte. Au point d’accepter qu’elles demeurent anonymes?

Il y a des cas où la question ne se pose même pas, ont répondu les panélistes lors dans atelier consacré à ce sujet. Parce qu’il en va de leur sécurité. Parce qu’elles pourraient perdre leur emploi. Mais utiliser des sources anonymes à tout va ne ferait que décrédibiliser la profession.

«Réjane, 77 ans, existe-t-elle vraiment, questionne Katia Gagnon, chef de la division enquête à La Presse. Le public est en droit de se le demander lorsqu’on accorde l’anonymat dans un article traitant du célibat. Il ne faut pas oublier qu’un certain François Bugingo a vécu pendant des années avec des sources inventées!»

Le nouveau directeur de l’information de la Presse canadienne Jean-Philippe Pineault considère quant à lui que l’anonymat doit être l’exception et que la règle, c’est de parler à visage découvert. Parce ce que savoir qui parle apporte des éléments de contexte et que c’est une information en soi. Une source anonyme peut en revanche donner des pistes pour creuser une histoire et aller chercher d’autres témoins, d’autres infos.

Dans tous les cas, les panélistes s’entendent sur le fait qu’il ne faut pas proposer l’anonymat d’emblée pour obtenir de l’information à tout prix.

«Il ne faut pas avoir peur de perdre un sujet, conseille Daniel Leblanc, journaliste au Globe and Mail. Il faut avoir la conviction que notre carrière est plus grande que ça.»

Espionnage de journalistes

Reste qu’il y a des cas où dévoiler la source n’est même pas une hypothèse.

La journaliste judiciaire aujourd’hui à la barre de l’émission Enquête à Radio-Canada Isabelle Richer, qui a appris au début du mois avoir été mise sur écoute par le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) pendant plusieurs années, raconte qu’elle avait pris l’habitude avec ses collègues de parler de façon codée et que parfois, ils se trouvaient un peu ridicules…

«Ben, on s’est rendu compte il y a quelques semaines qu’on avait finalement bien fait», s’exclame-t-elle.

Daniel Leblanc indique pour sa part qu’il y a  toujours un risque qu’une source confidentielle sensée rester anonyme viennent à être révélée. Pour des raisons légales, parce que le journaliste peut se voir dans l’obligation de dévoiler son identité. Mais aussi parce qu’il peut être espionné, surtout lorsqu’il travaille sur des sujets sensibles.

«Agissez comme si vous étiez écoutés, conseille quant à lui le spécialiste des affaires criminelles à La Presse, Daniel Renaud. Depuis 2009, j’ai des doutes sur le fait que nous sommes écoutés, mais je ne pouvais pas croire que ça avait cette ampleur», ajoute-t-il, précisant qu’il y a de fortes chances selon lui que lorsqu’un policier vient demander à un juge s’il peut légalement mettre le cellulaire d’un journaliste sur écoute, c’est qu’il a déjà commencé par l’écouter sans en avoir eu l’autorisation.

M. Renaud intervenait en fin de journée samedi dans le cadre d’un remue-méninges mis en place à la dernière minute par la FPJQ en vue de préparer la commission d’enquête sur l’espionnage des journalistes par les corps policiers du Québec.

L’ancien patron de la rédaction de Radio-Canada aujourd’hui professeur au DESS en journalisme de l’Université de Montréal Alain Saulnier y a part ailleurs souligné que pendant des années, les journalistes affectés au judicaire ont pu avoir l’impression qu’ils cohabitaient avec les policiers alors qu’ils étaient en réalité en conflit puisque tous cherchaient la même chose et souhaitaient être les premiers.

Quoi qu’il en soit, les journalistes québécois réunis en congrès semblent s’être trouvés des ennemis externes au sein des pouvoirs en place désireux de les faire taire de manière plus ou moins subtile. De quoi oublier les vieilles querelles entre salariés des différents conglomérats. Face à l’adversité, les journalistes semblent vouloir faire front commun et se relever les manches afin de faire jaillir la vérité. Pour cela, sortiront-ils plus souvent de leurs bureaux? Rendez-vous au prochain congrès à Sherbrooke pour une première réponse.

De nouvelles têtes au CA

Le congrès de cette fin de semaine a aussi été l’occasion d’élire le nouveau CA de la FPJQ. Si seulement 18% des membres ont voté, ces derniers ont fait entrer quelques nouvelles têtes parmi leurs représentants. Voici la composition du nouveau CA :

Président : Stéphane Giroux de CTV

Vice-président : Jean-Thomas Léveillé de La Presse

Secrétaire-trésorière : Valérie Gaudreau, du Soleil

Administrateur région : Simon Dominé du journal Le Courant, à Mont-Laurier

Administrateurs : Michaël Nguyen du Journal de Montréal, Pierre saint-Arnaud de la Presse canadienne, Naël Shiab de L’Actualité, Azeb Wolde-Giorghis de Radio-Canada.

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