Les médias québécois vendent de la peur

C’est ce que révèle la firme d’analyse Influence Communication, qui dans la douzième édition de son bilan de l’année médiatique, rapporte qu’en 2016, la peur est présente sous une forme ou une autre, dans 40 % des nouvelles produites au Québec.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

C’est d’ailleurs précisément sous cet angle que la campagne pour les présidentielles américaines, puis l’élection de Donald Trump, ont été traitées dans les journaux et sur les ondes de la province, apprend-on dans cette édition 2016 de l’État de la nouvelle, publiée ce matin. Nouvelle qui a été sans conteste la plus médiatisée de toutes au Québec cette année puisque durant la semaine de l’élection, plus d’une nouvelle sur trois était ainsi consacrée à celui qui succédera le 20 janvier prochain à Barack Obama.

«Avec un poids médias inédit de 35,97 % dans la semaine du 7 au 13 novembre – du jamais vu au Québec pour une nouvelle politique internationale – l’élection de Donald Trump constitue une véritable anomalie, commente les auteurs du rapport. Son irrésistible ascension repose en grande partie sur deux vecteurs en progression depuis plusieurs années, mais qui ont particulièrement marqué 2016: sa redoutable utilisation des médias sociaux, dans un univers baigné de post-vérité où l’émotion remplace l’information, et un discours de peur savamment dosé. Or, en 2016, la peur est un phénomène récurrent dans les médias et occupe près de 40 % du contenu médiatique produit au Québec. Sa présence est si significative que, s’il s’agissait d’un thème au même titre que le sport, elle occuperait 3 fois plus d’espace dans nos médias que les Canadiens de Montréal!»

Cet article vous intéresse? Faites un don à ProjetJ.

La peur de nous voir tous entrer dans une nouvelle ère, un nouveau monde dans lequel le pays le plus puissant de la planète serait dirigé par un fou machiste, sexiste, raciste doublé d’un inculte en matière de relations diplomatiques les plus basiques selon certains, par un opportuniste ambitionnant d’utiliser son passage à la Maison Blanche pour faire fructifier ses propres affaires selon d’autres.

La peur aussi de tout ce qui nous entoure, pourvu que ça fasse vendre, croit Influence Communication. Sinon, comment expliquer que le nombre de sujets d’actualité liés à la peur ait bondi de 6,90 % annuellement depuis 2000 pour occuper 2,7 fois plus de place, en 2016? Alors même que de récentes études démontrent que nous ne vivons pas dans un monde plus dangereux qu’avant, bien au contraire.

L’État de la nouvelle nous apprend ainsi qu’entre 2013 et 2015, le groupe État islamique a connu une augmentation de plus de 6 000 % de sa médiatisation au Québec.

«En termes de visibilité, le groupe armé est passé d’une médiatisation équivalente à celle de Joey Ratelle des Voltigeurs de Drummondville à presque celle de Barack Obama, analysent les auteurs. Et pourtant, l’an dernier, une étude destinée au département d’État américain déclarait que le nombre d’attaques terroristes avait diminué dans le monde.»

Affection particulière pour Zika

Mais ce que les journalistes semblent affectionner par-dessus tout, c’est la santé publique en général et les virus en particulier. Ainsi, en 2016, c’est le Zika qui a eu la côte.

«Un virus si effrayant qu’il a dissuadé des athlètes de se rendre au Brésil pour participer aux Jeux olympiques, de peur d’être contaminés, nous rappelle-t-on. Pourtant, au mois de novembre 2016, le gouvernement du Canada recense à peine 374 cas d’infection au virus dans l’ensemble du pays. C’est moins que le nombre moyen de gens atteints de la malaria par année au Canada, qui s’élève à 488. Pour l’année 2016, la couverture médiatique du Zika au Québec a été, malgré tout, 5,1 fois supérieure à celle de la malaria et 3,9 fois plus importante que la couverture accordée au SIDA/VIH.»

Terrorisme et guerre, criminalité, incertitude économique, catastrophe naturelle, santé publique, autant de thèmes que les médias d’ici aiment particulièrement développer. La peur de l’étranger pendant les campagnes de Donald Trump, du Brexit et même de Jean-François Lisée à la chefferie du PQ. La peur des pitbulls durant l’été également.

«Le palmarès des nouvelles les plus médiatisées au Québec en 2016 brosse d’ailleurs un portrait éloquent de la situation, étaye Influence Communication. Sur ces dix nouvelles, neuf d’entre elles exacerbent les frayeurs du citoyen.»

Au premier rang on trouve donc en effet, l’élection de Donald Trump et l’incertitude dans laquelle celle-ci plonge la planète. Viennent ensuite, les attentats de Bruxelles et de Nice, l’espionnage des journalistes par divers services de police, les Jeux olympiques de Rio teintés par le virus Zika ou encore le grand incendie de Fort McMurray.

Trudeau ne fait pas assez peur

Un constat qui expliquerait également pourquoi le premier ministre Justin Trudeau ne fait pas vraiment recette dans les médias de la province, alors qu’il fait plus régulièrement la manchette ailleurs au pays, mais aussi à l’international.

«À chaque jour, nous devons choisir l’espoir au lieu de la peur, et la diversité au lieu de la division, a-t-il martelé lors de son discours aux Nations Unies plus tôt cette année. La peur n’a jamais nourri une famille ou créé un seul emploi. Et ceux qui exploitent la peur ne vont jamais régler les problèmes qui sont à l’origine de cette même anxiété.»

Refus de la peur, refus également des politiques d’austérité… les thèmes de prédilection du Premier ministre sont très nettement marqués par une vision politique qui se veut ouverte et inclusive, et ce, tant en matière de diplomatie internationale que de politique intérieure, analyse le rapport. Raison pour laquelle l’intérêt des médias d’ici a tendance à se tarir, alors qu’à l’occasion du premier anniversaire de son élection en novembre dernier, les journaux étrangers lui ont consacré plus de unes qu’ils ne l’avaient jamais fait.

5 autres données à retenir

  1. Les francophones hors Québec comptent pour 3,19 % de la population selon Statistique Canada. Pourtant, en 2016, les mentions de ces communautés dans les médias obtiennent un poids médias de seulement 0,46 % dans l’ensemble du Canada.
  2. Dans les grands quotidiens québécois, les femmes ne signeraient que 35 % des articles et seulement 21 % des nouvelles auraient une femme comme protagoniste.
  3. Sur les huit semaines écoulées entre le début du procès Ghomeshi et le verdict, la nouvelle aura occupé environ 3,34 % de la couverture médiatique au Canada anglais, contre 1,09 % au Québec.
  4. Si les pitbulls n’étaient qu’une seule et même personne, ils flirteraient avec la 10e position des personnalités les plus médiatisées de l’été, devant Céline Dion et Shea Weber.
  5. L’échange de P.K. Subban aux Prédateurs de Nashville en retour de Shea Weber est, sans conteste, l’une des grandes nouvelles sportives de l’année. Elle a atteint un poids médias de 4,58 % dans la semaine du 27 juin au 3 juillet.

À voir aussi:

Le public remplacera-t-il bientôt les ombudsmans

Métro Montréal licencie et se restructure

L’Actualité : les employés mis à pied d’ici fin janvier

Les journalistes préparent la commission d’enquête

 

You may also like...