Couverture de l’attentat de Québec: trop de précipitation?

Comme c’est souvent le cas lors de tels événements, la couverture de l’attentat de Québec, le 29 janvier dernier, a donné lieu à quelques dérapages médiatiques. Parmi eux, la divulgation des noms des suspects avant même qu’ils ne soient formellement accusés par la justice… et alors même que l’un deux ne le sera jamais, la police le requalifiant par la suite de simple témoin. Le secrétaire général du Conseil de Presse, Guy Amyot, rappelle les grands principes qui devraient toujours être respectés en pareil cas.

Par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

«Premier principe, on ne nomme pas les personnes qui ne font pas l’objet d’accusations formelles, indique-t-il. Ça, c’est la règle en déontologie journalistique. Sauf que parfois, les journalistes peuvent être certains de leurs informations. Parce qu’ils ont une très très bonne source, qu’elle est fiable, voire qu’ils en ont plusieurs qui leur disent la même chose. Bref, ils doivent faire preuve d’une très grande rigueur et de prudence avant d’identifier des personnes qui n’ont pas été accusées formellement d’actes illégaux.»

En ont-ils fait preuve le lundi 30 janvier alors que tous les médias ou presque ont fait état de deux suspects, allant jusqu’à donner leurs noms et pour certains publier leurs photos… avant que la justice ne finisse par n’en accuser qu’un des deux?

Une discussion intéressante à ce sujet a été lancé ces derniers jours sur le compte Facebook de Pierre Saint-Arnaud, journaliste à la Presse canadienne et spécialiste des questions judiciaires. Il explique que dans ce cas précis, certains médias ont sorti les deux noms avant qu’ils ne soient inscrits au rôle, sur la foi de sources qui sont les leurs. Que d’autres ont publié les deux noms sur la foi de l’inscription erronée au rôle. Et que d’autres encore, possiblement, ont publié les noms en se fiant aux médias qui l’avaient déjà fait.

Parce que erreur il y a eu au rôle semble-t-il. Les deux noms y ont en effet un temps été inscrits, donc rendus publics. Alors que normalement, apprend-on dans cette même conversation, l’inscription au rôle survient après le dépôt au greffe de la dénonciation, un document qui précise les noms et les accusations à venir à court terme. Ce n’est que plus tard que la Sécurité du Québec (SQ) a tweeté qu’un seul des individus arrêtés la veille n’était en réalité considéré comme suspect, soit Alexandre Bissonnette.

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Y a-t-il donc eu faute de la part de certains médias? M. Amyot ne veut pas se prononcer trop rapidement sur une question sur laquelle le Conseil de Presse aura peut-être à se pencher sérieusement si plainte du public il y a. Il préfère donc revenir sur les grands principes et les questions que tout journaliste doit se poser.

«Lorsque l’on dévoile les noms de suspects avant même qu’ils ne soient accusés, la moindre des choses est d’identifier notre source, souligne-t-il. Celle-ci peut bien être anonyme, mais il y a des conditions à cela. Il faut bien entendu que l’information soit d’intérêt public, qu’on ne puisse pas obtenir cette information par une source qui accepte de s’identifier publiquement, et que la source puisse subir un préjudice si son identité est dévoilée. Ce sont des conditions qui s’additionnent. Si le journaliste décide alors de ne pas révéler sa source, il est tout de même tenu de fournir au public des indications sur elle afin que ce dernier puisse juger de sa pertinence.»

Dans le cas de l’attentat Québec donc, les médias qui ont attendu l’inscription au rôle ont sans doute considéré que la source était assez fiable.

Donner du sens à l’événement

Mais viennent ensuite les commentaires. Et c’est souvent à ce moment-là que des dérapages peuvent avoir lieu.

Fallait-il publier les photos des deux suspects alors que ceux-ci étaient sous le contrôle de la police et que cette dernière ne demandait donc pas l’aide du public pour mettre la main dessus?

Était-il pertinent de disserter sur l’origine arabe du suspect qui ne deviendrait plus tard que simple témoin? Fallait-il indiquer l’adresse civique de la maison familiale?

Quid de la présomption d’innocence?

«Il y avait un immense besoin de donner un sens à l’événement, explique Guy Amyot. De pouvoir catégoriser le crime auquel on faisait face et on comprend donc les médias qui vont fouiller et analyser pour tenter de comprendre. Mais il ne faut pas perdre de vue l’intérêt public. Et l’intérêt public, qu’est-ce que c’est? C’est une information essentielle pour que le public soit un bon citoyen et qu’il comprenne ce qui se passe. Est-ce que les citoyens avaient besoin du nom de la personne si tôt? De son image? Est-ce qu’il était nécessaire d’insister sur une origine? Il faut être excessivement prudent pare qu’on peut véhiculer des préjugés.»

Pas de plaintes

Des erreurs d’analyse ou des imprécisions qui peuvent avoir de graves répercussions sur la réputation des personnes concernées. Surtout lorsqu’elles sont faussement présentées comme suspectes sur les écrans du monde entier…

«Alors, bien entendu, lorsque l’erreur est constatée, il faut la corriger le plus rapidement et le plus complètement possible pour essayer d’atténuer le dommage qui a été causé par l’erreur, poursuit le secrétaire général du Conseil de Presse. Mais dans certain cas, le dommage est tellement grand que la correction ne peut le réparer à 100%.»

Est-ce que cela a été bien fait? Assez rapidement? Assez longtemps? Est-ce que les journalistes et autres animateurs n’ont pas tenté de justifier leur erreur en surfant encore une fois sur les préjugés?

Le Conseil de Presse aura peut-être à en juger dans les prochains mois. Mais à l’heure où nous publions, il semble qu’il n’ait pas encore reçu de plaintes concernant la couverture par les médias de l’attentat de Québec.

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