Appel à la mobilisation générale

Plusieurs organisations de défense de la liberté d’expression ont lancé la semaine dernière la campagne Sans presse libre, pas de libertés. Parmi elles, l’Association des journalistes indépendants (AJIQ). Son président Simon Van Vliet nous en parle.

Propos recueillis par Hélène Roulot-Ganzmann @roulotganzmann

Projet J : À lire votre manifeste, tout le monde est responsable de la dégradation de la qualité de l’information…

Simon Van Vliet : Tout le monde a laissé aller les choses, tout le monde doit donc faire son exercice critique. Beaucoup de facteurs ont mené à la situation dans laquelle nous sommes plongés aujourd’hui. Il y a une pression sur les journalistes qui joue sur leur capacité à bien faire leur travail. Les médias se voient amputés de leurs sources de revenus publicitaires, qui sont aspirés par les géants du web, qui eux, tout comme les conglomérats, ne défendent que par leurs intérêts économiques. Quoi qu’ils en disent. De leur côté, les pouvoirs publics tentent de contrôler le plus possible l’information et les débats. Quant au public, il perd progressivement son droit à la vie privée et son pouvoir de participation éclairée à la vie publique, sans réagir.

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Mais il y a, dans les différents groupes que vous incriminez, des gens qui ont plus de pouvoir que d’autres, et qui n’ont pas forcément intérêt à ce que le public soit mieux informé…

Ce n’est pas nouveau, les pouvoirs économiques et politiques ont toujours eu intérêt à contrôler l’information pour maintenir leurs intérêts. Mais nous sommes en train de vivre un retour en arrière. Les avancées démocratiques du siècle dernier sont menacées par une reprise de pouvoir des intérêts privés sur l’intérêt public, dont pourtant tout le monde se prévaut! Ils prétendent tous être des véhicules de l’intérêt public, mais on voit bien que ce n’est pas ce qui se passe. Il faut aller au-delà des déclarations d’intention, dans les faits. L’intérêt public n’est pas servi par les transformations technologiques et financières actuelles dans le secteur des médias d’information. Donc, oui, une grande partie de la responsabilité leur revient et c’est pour cela qu’il faut pointer leurs contradictions.

Mais pourquoi agiraient-ils autrement puisqu’il est de leur intérêt de restreindre l’accès à l’information?

Sous la pression et c’est pour cela que nous menons cette campagne. Il faut qu’ils comprennent que personne n’est dupe de ce double discours et que l’on n’accepte plus de se faire mener en bateau. Il y a des précédents, dans la publicité notamment. Des grandes marques se sont retirées de la publicité programmatique parce qu’elles ne voulaient plus être associées à certains contenus. Ou plutôt parce que le public a trouvé inadmissible qu’elles puissent l’être. Sous la pression populaire, elles ont retiré leurs publicités. Ça prouve que c’est possible.

Cela signifie que les réseaux sociaux font partie du problème mais aussi des solutions…

C’est un des grands paradoxes de notre époque. Les réseaux sociaux sont la cause du déclin de la presse traditionnelle au niveau financier et donc, de l’affaiblissement de leur rôle de contre-pouvoir. Et en même temps, ils deviennent un espace de mobilisation. C’est à double tranchant. Qu’est-ce qu’on fait, nous, avec cette campagne? On demande aux gens une mobilisation virtuelle via des mots-clics et en allant aimer notre page. Alors qu’on fustige le rôle des superpuissances du web. En même temps, l’objectif, c’est aussi de sortir d’internet. Un peu à l’image du mouvement Je protège mon école publique. On souhaite que les gens se mobilisent pour leurs médias en posant des gestes concrets dans l’espace public. C’est pour cela qu’on demande aux personnes qui nous soutiennent, de porter une pince-clip. Pour provoquer le dialogue.

On n’a pas encore parlé des journalistes. En quoi sont-ils responsables de la situation?

C’est très difficile parce qu’on pourrait leur reprocher de ne pas être assez militant mais en même temps, on s’attend à ce qu’ils soient neutres et objectifs. Mais ne devraient-ils pas sortir de leur réserve quand l’enjeu est de pouvoir continuer à faire leur métier dans des conditions qui leur permettent de demeurer un contre-pouvoir? Y a-t-il assez d’unité, de solidarité? Il y a un esprit de corps. Lorsque le scandale de l’espionnage des journalistes a été révélé, ils sont tous montés au créneau et ça a mené à la Commission Chamberland. Mais il s’agissait de journalistes bien en vue. Quand des journalistes étudiants ou travaillant pour des médias communautaires se voient refuser de couvrir un événement, ça ne mobilise pas grand monde dans le milieu. Et puis, oui, il y a eu une demi-douzaine de journalistes surveillés et ça doit être dénoncé. Mais ça signifie aussi que, durant la même période, des milliers et des milliers de citoyens ont été épiés. Et ça, ça n’émeut pas grand monde.

Mais comment faire, alors même qu’une partie du public n’y trouve pas grand-chose à redire, prétextant n’avoir rien à cacher…

Les journalistes ont le devoir de mettre un grand coup de pied dans ce genre de discours. Au nom de la sécurité nationale et de plusieurs autres grands principes qui a priori semblent valables, certains sont prêts à rogner sur leur vie privée. Mais ce n’est pas parce qu’on n’a rien à cacher qu’on n’a rien à craindre. On peut très bien se retrouver virtuellement au mauvais endroit au mauvais moment. Nos métadonnées peuvent nous associer à un acte criminel alors qu’on a rien à voir là-dedans. Mais il faudra alors le prouver. Et puis, on a tendance à croire que la démocratie est acquise mais on n’est jamais à l’abri d’un retour à un régime totalitaire. Et alors là, le fait de consulter certaines sources d’information peut faire de vous un suspect. Les journalistes devraient non seulement expliquer tout cela, mais aussi dénoncer la surveillance de masse et pas seulement leur surveillance à eux.

Vous évoquez aussi l’éducation aux médias…

La société de l’information est devenue très complexe. Il faut que le public ait un niveau de compréhension élevé des processus, des technologies, des infrastructures, etc. Il faut qu’il ait bien conscience que donner de l’information personnelle, c’est forcément perdre un peu de contrôle sur nos vies. Et qu’accepter que les pouvoirs publics contrôlent d’une manière ou d’une autre les médias, c’est ne plus avoir d’emprise sur les débats publics, et donc sur le devenir de nos sociétés. Personne ne peut rester les bras croisés à regarder le train passer.

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