Vous avez dit «immigrant journalism»?

Par George Abraham, journaliste, fondateur et directeur de publication de New Canadian Media. Il commença sa carrière au Times of India à Bombay.

Traduction d’un article initialement publié sur J-Source

Je n’ai pas l’âme d’un pionnier, ni même d’un entrepreneur. Prendre des risques ne fait pas partie de mon ADN. Mes amis me connaissent plutôt comme un suiveur que comme un leader: en somme, je suis un conformiste.

Il y a quelques années, il m’est cependant arrivé quelque-chose qui est venu bouleverser ce tempérament. À l’occasion d’un voyage effectué seul au volant de ma voiture entre Boston et Ottawa, de nombreuses idées sont venues se bousculer dans ma tête, et cela a abouti en 2011, au lancement du New Canadian Media (NCM). J’en ai d’ailleurs déjà parlé dans les pages de Nieman Reports.

Le média en ligne que j’ai créé se base sur une idée toute simple, qui revient à dire que les immigrants redéfinissent mécaniquement un pays et qu’ils méritent donc de faire partie du débat national. J’appelle cela l’«immigrant journalism», une forme de journalisme qui privilégie la voix des nouveaux venus, qui s’attache toujours à faire entendre leurs points de vue.

Mon raisonnement était le suivant: s’il existe un point de vue québécois, un point de vue anglo-canadien ou encore une perspective plus typique des peuples du nord, pourquoi n’y aurait-il pas une façon d’appréhender les choses toute particulière aux nouveaux arrivants et à tous ceux qui ont passé un peu de temps en dehors du pays? Car je ne fais d’ailleurs pas entrer dans la case «immigrants» uniquement le cinquième de la population canadienne née à l’étranger, mais bien tout ceux qui considèrent que l’immigration fait partie intégrante de leur identité.

Par la suite, je me suis rendu compte que cette idée toute simple trouvait un certain écho à travers le Canada, et cela aussi bien au sein des médias généralistes comme iPolitics.ca et The Walrus, que dans les grandes écoles de journalisme, les ONG et les think-tanks œuvrant auprès des immigrants, et même auprès de la population canadienne en général. Tous ont supporté avec enthousiasme cette organisation médiatique reflétant la mutation du Canada qui, d’une société dont les ancêtres étaient principalement à chercher du côté des colons européens, était devenue une terre d’immigrants venus de deux cents pays environ.

Je me suis souvent demandé pourquoi il avait fallu que ce soit moi, alors que je ne disposais que d’un maigre réseau, qui arrive avec cette idée. En 2002, lorsque je suis arrivé au Canada, je ne connaissais pas âme qui vive: pas d’amis, pas de famille. Si je n’ai pas trouvé de réponse définitive à cette question, voici cependant une piste de réflexion: je me considère comme un «Canadien moyen». Je suis brun, anglophone avec un léger accent, chrétien, j’ai vécu dans quatre autres pays avant le Canada, ai appris le français ici, je suis bien éduqué, élevé à la démocratie parlementaire.

Il est important d’ajouter, me semble-t-il, que je ne me vois pas comme un Indo-Canadien. J’ai toujours dit à mes enfants que nous étions des Canadiens. «Je suis fier d’être Canadien» (en français dans le texte).

Le défi du financement

Quatre ans après son lancement, MCM est vu comme un exemple en matière de journalisme entrepreneurial, un média capable d’aller chercher une audience nouvelle et de l’engager à ses côtés. Nous avons une belle plateforme numérique, une salle de nouvelles de haut calibre, un comité éditorial consultatif et toute une batterie de journalistes et autres contributeurs indépendants représentants toute la variété d’opinions et d’ethnies présentes sur le territoire. Les choses sont allées bien plus vite que ce que j’avais imaginé, et nous dressons un portrait très fidèle du Canada, dans toutes ses dimensions. Bien qu’il nous reste encore du chemin à parcourir afin d’accomplir notre plein potentiel…

Je vais être honnête: nous sommes paralysés par un manque de ressources financières. C’est pourquoi nous avons lancé une campagne de financement participatif.

Comme je le dis dans la vidéo de promotion, chaque dollar versé est affecté au contenu exclusif de notre site.

Ce contenu peut se ranger dans deux catégories: d’un côté l’actualité et l’analyse des grands dossiers canadiens d’un point de vue de l’immigrant, de l’autre des histoires qui intéressent particulièrement les immigrants. Bien que nous privilégions la perspective immigrante, notre audience inclut tous les Canadiens.

Même si la pression financière nous cantonne à des ambitions modestes, notre comité de direction a planifié une série de projets qui vont mener NCM vers une autre étape de son développement et assurer notre assise à l’intérieur du paysage médiatique canadien. Ceci inclut de la formation de base pour les journalistes qui immigrent au pays, la publication d’un guide éthique sur ces questions, l’envoi d’une lettre d’information, un service de gestion des questions et des commentaires et une série de conférences destinées à faire connaitre notre action et notre point de vue.

Le Canada change rapidement. Nous souhaitons être partie prenante de ce changement afin de sensibiliser la prochaine génération de journalistes canadiens aux questions de diversité. Comme l’a écrit Jon Marcus dans l’édition de ce printemps de Nieman Reports, «connaitre d’autres cultures est primordial pour diversifier ses sujets et agrandir son audience.»

Ma  carrière m’a appris que plus qu’un art ou un métier, le journalisme est une discipline. Il y a d’importantes nuances dans le manière dont cette discipline est exercée en fonction des pays. Le Canada ne fait pas exception. Mais mon histoire démontre bien que non seulement les nouveaux venus peuvent maitriser ces nuances, mais ils peuvent aussi aller plus loin et inventer de nouvelles formes de journalisme.

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