Mutations des médias: un livre pour alimenter la discussion

«Les jours des journaux traditionnels sont-ils comptés? Quelles revues, quels magazines survivront? Sous quelle forme? Que sera la télévision dans dix ans?» Voilà quelques-unes des questions auxquelles plusieurs personnalités médiatiques québécoises, pour la plupart elles-mêmes affectées par la crise du papier, ont tenté de répondre dans un livre sorti durant l’été.

Par Héloïse Henri-Garand, stagiaire

On ne compte plus les colloques et autres assises qui traitent de la crise que traverse l’industrie des médias tout autour de la planète, crise qui n’a pas fini de façonner le paysage médiatique du Québec, plutôt en mal, à en croire nombre de spécialistes.

Dans ce pessimisme ambiant, l’ouvrage Mutations de l’univers médiatique: médias traditionnels et nouveaux, rédigé sous la direction de Normand Baillargeon, essayiste, chroniqueur et professeur en sciences de l’éducation à l’UQAM, tente de nuancer et de relativiser l’impact des bouleversements. Un ouvrage composé d’une dizaine de textes, fruits de la réflexion de plusieurs grandes plumes du journalisme québécois, dont Marc Laurendeau, Florent Daudens, Philippe de Grosbois, Brian Myles, Stéphane Baillargeon, Chantal Francoeur ou encore Simon Jodoin, qui, chacun à leur façon, analysent les différentes mutations en cours.

Certes, le milieu du journalisme évolue aujourd’hui plus que jamais, comme le démontre l’arrivée sur le marché de l’information du magazine en ligne, Ricochet, journal multiplateforme gratuit, ouvertement progressiste, qui mise avant tout sur le journalisme d’analyse et d’enquête.

Une nouvelle génération médiatique, issue des mutations, se profilerait donc à l’horizon.

«Il est difficile de prévoir l’issue de cet épisode de destruction créatrice que nous traversons, rappelle Normand Baillargeon. Par ailleurs, il est certain que les enjeux soulevés sont d’une formidable importance, tout particulièrement sur le plan politique, puisqu’ils concernent le rôle des médias et l’accès à l’information dans le cadre de ce que le philosophe John Dewey nommait la conversation démocratique.»

Média, médiation, immédiateté

Stéphane Baillargeon quant à lui, critique la vitesse avec laquelle la nouvelle doit être livrée au public, précipitation qui rend toutes réflexion et mise en contexte difficiles.

«Les médias d’information concentrent jusqu’au pur sucre le rapport contemporain au présent, écrit-il. Si la société traditionnelle se tourne vers le passé, quand les sociétés modernes rêvent au futur radieux, le monde actuel se replie entièrement sur le présent et l’univers médiatique cristallise cette position.»

Ainsi, le chroniqueur médias du journal le Devoir fait valoir que dans «journalisme», il y a «jour» et que peut-être on devrait aujourd’hui penser à rebaptiser cette profession. Cyniquement, il propose les néologismes «heuralisme» et même «secondalisme». Car le rythme effréné rend même le présent insaisissable, selon lui.

«Les machines qui prétendent le saisir et l’arrêter ne font finalement qu’accentuer l’impression de fuite perpétuelle dans l’urgence. Le temps médiatique hypertrophié par les nouvelles technologies de communication finit par nier tout le temps, y compris le présent lui-même. Il enferme dans la volonté sisyphienne de ne rien manquer de ce qui vient tout juste de se produire en oubliant tout le reste.»

Les chiffres témoignent d’ailleurs d cet empressement: entre les années 2000 et 2010 par exemple, le journal la Presse est passé de 25 662 à 37 366 textes publiés annuellement.

Calmer la tempête

Des propos alarmistes que Marc Laurendeau, journaliste et enseignant à l’Université de Montréal, atténue dans la postface du livre: malgré la vitesse, un bilan positif peut être établi des mutations médiatiques, selon lui.

«Ce sont des journalistes-citoyens qui ont fait circuler des images montrant la répression exercée par les forces armées chinoises sur les Ouïgours et les Tibétains juste avant la tenue des Jeux olympiques de Beijing, explique-t-il. D’autres journalistes-citoyens ont diffusé des images du soulèvement postélectoral de 2009 en Iran et surtout des clichés et des vidéos qui en disaient long sur les dérapages sanglants des milices à la solde du régime.»

Quid des médias de masse?

Certains des collaborateurs proposent d’ailleurs une analyse plus polémique, affirmant que l’avènement des nouveaux moyens de diffusion de masse, propre à remettre en cause la profession, n’est pas une si mauvaise affaire pour le public.

«Si les journalistes professionnels ont pu croire aussi longtemps que leur travail était en soi supérieur à ce que des journalistes-citoyens amateurs pouvaient faire, c’est parce que les moyens de produire et de diffuser de l’information n’étaient accessibles qu’à ces personnes, et ce, parce qu’elles acceptaient d’y avoir accès dans le cadre d’un rapport de dépendance économique, écrit le collectif GAPPA, organe de surveillance des médias de masse, des nouveaux médias et des activités de relations publiques en général. Toutefois, avec la démocratisation des moyens de produire et de diffuser de l’information, cet avantage technique des journalistes professionnelles (et de ceux qui les payent) sur les amateurs s’efface graduellement et, avec lui, disparaît également la nécessité d’entrer dans une relation de dépendance économique pour l’obtenir. Ainsi, il devient possible d’être un média sans intérêt pécuniaire et de revaloriser, au sens premier du terme, l’amateurisme.»

De la nécessité de l’argent

Une opinion modérée par Brian Myles, journaliste au quotidien Le Devoir et vice-président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).

«Les journalistes des grands médias ont dénoncé bien avant les services policiers la collusion et les réseaux occultes dans la construction et les travaux publics, rappelle-t-il. Ils l’ont fait grâce à un investissement massif de ressources humaines et financières: les meilleurs recherchistes et journalistes d’enquête ont été libérés et mis à contribution.»

Bref, pour faire du bon journalisme, ça demande encore des professionnels, une volonté éditoriale et de l’argent.

Ainsi, le livre navigue habillement au travers des idées et des craintes exprimées par les différents auteurs, loin d’être tous d’accord les uns avec les autres. De quoi alimenter une réflexion, qui est semble-t-il encore bien loin de devoir s’éteindre.

Mutations de l’univers médiatique: médias traditionnels et nouveaux, M Éditeur/Éditions À bâbord!

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