Téléjournal : quoi de neuf à 22 heures?

Voilà le titre d’un atelier organisé il y a une dizaine de jours au Congrès de la FPJQ. À l’heure de l’information instantanée et alors que les jeunes désertent la télévision pour d’autres écrans, alors que l’information à la télévision est en chute d’audimat, comment renouveler ce qui fut durant des décennies, le rendez-vous incontournable de la fin de soirée. Quelques éléments de réponses.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

D’emblée François Bugingo, l’un des chroniqueurs vedettes sensés incarner la révolution du 22 heures à TVA, plante le décor.

«J’ai été appelé à la mi-juillet par ma direction pour me dire que mon émission 30 sur le radar ne reviendrait pas à la rentrée et qu’on transférait mes services aux 22 heures, raconte-t-il. Je n’en savais pas plus lorsque je me suis envolé pour Gaza. On a fait des essais lorsque je suis rentré… jusqu’à ce soir de première avec les fameux accessoires qui ont fait réagir tout le milieu. Un téléjournal que Sophie Thibault, non sans humour, a qualifié d’iconique…»

Tout le monde se souvient en effet du cône orange que la lectrice de nouvelles a sorti de sous la table pour illustrer le cauchemar vécu par les automobilistes venant travailler à Montréal. Ce soir-là, une boite de sardines et un ruban à mesurer avaient eux-aussi été utilisés pour illustrer l’actualité. Seul François Bugingo n’y était pas allé de son gadget.

«J’étais censé le faire, explique-t-il, mais ce soir là, je devais parler de décapitation en Syrie… il y a des limites à ne pas franchir dans l’information spectacle. Depuis, nous avons remisé les accessoires et nous sommes revenus à une forme plus classique. Nous avons des réunions continuelles durant lesquelles on analyse à quel moment le téléspectateur décroche. On rectifie le tir toutes les deux semaines environ.»

S’arrêter pour réfléchir

Le but, aller chercher les jeunes, ceux qui entre le téléviseur et l’ordinateur, lorsqu’ils s’installent dans leur premier appartement, vont choisir le deuxième. Adapter le contenu à la vie moderne, aux nouvelles technologies qui permettent d’être informé toute la journée via les réseaux sociaux.

«Concernant les jeunes, c’est vrai, ils ne sont pas devant leur téléviseur tous les soirs à 22 heures pour écouter la grand messe, analyse Pierre Barrette, professeur à l’École des médias de l’Uqàm. Mais leurs parents l’étaient-ils à leur âge? Il me semble que lorsqu’on a vingt ans, on a autre chose à faire à 22 heures que de regarder la télévision. Ils y reviendront sans doute.»

Sans doute, mais avec une toute autre façon de s’informer.

«C’est pas complètement vrai qu’à 22 heures, tout le monde sait déjà ce qui s’est passé dans la journée, nuance Céline Galipeau, présentatrice du 22 heures de Radio-Canada. Non seulement, tout le monde n’est pas pendu à son téléphone toute la journée. Ensuite, ce n’est pas parce que tu as reçu des petites phrases sur ton téléphone que tu as compris ce qui se passait. Nous sommes là pour remettre l’information dans son contexte, pour vérifier les faits, faire du commentaire politique, préparer des dossiers d’intérêt public. Nous sommes un rendez-vous important, un moment de la journée durant lequel les gens s’arrêtent pour réfléchir. La population est attachée au bulletin de nouvelles. D’ailleurs à Radio-Canada, le 22 heures ne perd pas d’auditeurs, au contraire. Nous, nous n’avons pas pris le parti du divertissement parce que nous considérons que ce n’est pas le rôle d’un diffuseur public.»

Pas pris non plus le parti d’aller rejoindre les jeunes, la stratégie étant plutôt de les hameçonner via les nouvelles plateformes, en attendant qu’ils se rangent, et que comme l’ont fait leurs parents et leurs grands-parents avant eux, ils en viennent à regarder le bulletin de nouvelles de fin de soirée.

Lifting contre Botox

Quoi qu’il en soit, la révolution n’a pas eu lieu à Radio-Canada. Certes Céline Galipeau ne fait pas que lire des amorces lançant des reportages. Certes, des chroniqueurs viennent commenter la nouvelle à ses côtés. Certes, elle mène des entrevues sur le plateau. Mais comme l’écrit le commentateur de La Presse, Hugo Dumas à la rentrée, «Si TVA s’est payé un lifting total à 22h, la SRC n’a tâté que du Botox

Quant au professeur Barrette, il se dit effrayé par l’idée d’un téléjournal qui se construit à partir des côtes d’écoute, demandant si la présence de Marie Mai au 22 heures de TVA, alors que la jeune femme dispose déjà de tant d’autres tribunes, était vraiment opportune.

«Peut-être pas, répond François Bugingo. Cela dit, on a longtemps reproché à TVA de ne pas aborder la culture comme de l’information à part entière… Avec Marie Mai sur le plateau, on passe le message que l’actualité, ce n’est pas seulement des bombes qui pleuvent sur Gaza, plaide-t-il, avant d’ajouter que selon lui, tout le monde gagnerait à tenter de rejoindre les néo-Québécois, plutôt que les jeunes. Ils ont été sélectionnés, ils sont donc éduqués, ils ont nombreux, ils ont le souci de savoir ce qui se passe ici, dans le pays qu’ils se sont choisi, mais aussi la d’où ils viennent.»

Dans un élan d’optimiste, l’ex-président Canada de Reporter sans frontières parie sur la pérennité de ce rendez-vous de 22 heures.

«Le monde est de plus en plus connecté, analyse-t-il. Nous sommes de plus en plus affectés par ce qui survient ailleurs. Les gens vont forcément être de plus en plus préoccupés par ce qui se passe dans le monde.»

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