L’ordinateur de Lise Ravary piraté

La chroniqueuse du Journal de Montréal était en train de travailler hier matin lorsqu’elle a remarqué que sur son fond d’écran, ne se trouvait plus la photo de son conjoint mais la page du magazine Inspire d’Al Qaeda, avec les photos des neuf personnes à abattre dont celle de Charb, caricaturiste tué à Paris mercredi dans les locaux de Charlie Hebdo.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

«Sur le coup, je ne l’ai pas pris au sérieux, raconte-t-elle à ProjetJ. Et puis, j’en ai parlé à des collègues du Journal qui m’ont dit que je ferais peut-être mieux d’en parler à la police, ce que j’ai fait. Ils sont venus, ont pris l’ordinateur et me l’ont rapporté cet après-midi. L’enquête suit son cours.»

En 1996, Lise Ravary avait déjà reçu des menaces de mort à la suite d’un texte qu’elle avait écrit sur Israël.

«On m’avait accusé d’avoir blasphémé et je devais être punie, rappelle-t-elle. Mais c’était avant le 11 septembre, une autre époque. Depuis, je reçois régulièrement des commentaires méprisants ou méchants, mais des menaces en tant que telles, plus jamais.»

Au lendemain du piratage, la chroniqueuse se dit plus triste que stressée ou effrayée.

«D’abord, ce n’est rien comparé à ce qui s’est passé à Paris, fait-elle remarquer. Et puis, je ne suis pas Charlie Hebdo, je suis chroniqueuse au Journal de Montréal. Surtout, mes positions sur l’islam sont très nuancées, beaucoup plus que celles de certains de mes collègues. En revanche, je suis triste. Je trouve ça dérangeant d’apprendre que dans notre environnement, il y a des gens qui sympathisent avec ce qui a eu lieu à Paris. Car j’ai du mal à croire qu’au Yémen, on lise mes chroniques et qu’on sache qui je suis. Ça vient donc probablement d’ici.»

Renforcement de la sécurité

Les journalistes et chroniqueurs, notamment ceux qui écrivent sur l’islam et se montrent plutôt critiques, doivent-ils donc craindre des représailles ici, au Québec?

«Il y a une menace, estime François Bugingo, journaliste et ancien responsable Canada de Reporters sans Frontières. Par mimétisme, pour imiter les frères qui ont massacré des journalistes à Paris, il y en aura toujours pour menacer. Pas plus tard que mercredi, j’étais en édition spéciale avec Benoit Dutrizac au 98.5FM, et pendant l’émission, il recevait des menaces. On lui disait qu’il serait le prochain, qu’il ferait mieux de prendre garde. C’est sûr que ceux que l’on définit comme étant des ennemis de l’islam sont susceptibles de recevoir des menaces.»

Nombre de salles de nouvelles au Québec ont d’ailleurs renforcé la sécurité de leurs bureaux et demandé au personnel de sécurité une vigilance accrue.

«Le journalisme a été attaqué en plein cœur, affirme Lise Millette, vice-présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), mais il n’est pas mort pour autant. Depuis mercredi, j’ai rencontré des journalistes sous le choc, mal à l’aise, mais pas vraiment effrayés. Au contraire, ça a sans doute ravivé leur profession de foi envers la liberté d’expression. Car on ne vient pas au journalisme pour raconter des contes de fée. Je sens une certaine résilience et ça me réconforte.»

Vers une forme d’autocensure?

Une résilience que Lise Millette lit notamment dans le fait que tous les grands quotidiens québécois francophones aient publié hier des caricatures de Charlie Hebdo, sans s’être concertés, sans qu’il n’y ait eu de mot d’ordre. Un sentiment partagé par M. Bugingo, à quelques nuances près.

«Si Charlie Hebdo a pu être ainsi décimé, c’est parce qu’il était le dernier des Mohicans, affirme-t-il. Le seul qui continuait à se battre pour la véritable liberté d’expression, sans que personne d’extérieur ne puisse lui dire quoi publier et surtout quoi ne pas publier. Il faut absolument, non seulement que cette voix ne s’éteigne pas, mais surtout qu’elle fasse des émules. Les cibles se multiplieraient, ça deviendrait normal et on ne chercherait plus à les abattre. Alors, oui, aujourd’hui, on a l’impression que toute la profession parle d’une seule voix, qu’elle est prête à se battre. Mais dans deux semaines, lorsque la poussière sera retombée, que nous serons tous retournés à nos urgences et à nos travers, que restera-t-il de cette belle unité?»

De son côté, Lise Ravary admet que son expérience malheureuse va la pousser à encore plus se surveiller. Quitte à s’autocensurer?

«Il y a toujours une forme d’autocensure même inconsciente, répond-elle. Peu de gens écrivent sans filtre et heureusement, sinon ce serait insupportable. Il est normal que l’on ait des hésitations, mais il faut se demander pourquoi on les a. Est-ce parce qu’on veut protéger un groupe, une personne, soi-même? Il faut se poser ces questions, y répondre et prendre ses décisions en tout conscience.»

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