De l’importante de la «saine distance» entre le pouvoir et le diffuseur public

L97827646236261Peu avant que ne surviennent dans l’actualité les terribles événements de la semaine dernière, ProjetJ avait profité de la pause du temps des Fêtes pour faire ses devoirs en retard. Retour donc sur le livre qui a fait jaser cet automne, Ici était Radio-Canada, dans lequel Alain Saulnier, ex-directeur de l’information du diffuseur public remercié il y aura bientôt trois ans, lance un cri du cœur pour sauver cette institution selon lui essentielle à notre démocratie. Un plaidoyer en faveur de la liberté d’expression qui prend encore plus de sens en cette rentrée de janvier.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann

Le 22 février 2012, Alain Saulnier est convoqué au bureau du vice-président Louis Lalande qui lui apprend que Radio-Canada met fin à son emploi. Comme journaliste et dans divers postes de responsabilité, Alain Saulnier était dans la maison depuis vingt-cinq ans. Pourquoi la direction a-t-elle décidé, après plusieurs autres mises à pied de cadres, de le remercier à son tour ce jour-là? Le président Hubert T. Lacroix avait-il des comptes à régler? Était-ce une décision politique voulue par le gouvernement conservateur? Le principe de saine distance entre le pouvoir et le diffuseur public nécessaire au bon fonctionnement de toute démocratie a-t-il été transgressé ce jour-là? Le gouvernement fédéral est-il en train de démanteler Radio-Canada et si oui, est-il trop tard pour sauver cette noble institution?

Tour à tour, Alain Saulnier dénonce l’improvisation de la direction du diffuseur public qui annonce coupures sur coupures sans véritable plan de match à long terme, semblant ainsi ne faire que répondre à une commande politique du gouvernement conservateur qui ne croit pas en la nécessité de maintenir un service public de l’audiovisuel et dont l’objectif est de rétrécir la taille de l’entreprise.

Se basant tant sur son expérience que sur de nombreuses entrevues qu’il a menées auprès des acteurs du milieu, l’ex-directeur de l’information, qui rappelle qu’il a eu droit à une ovation de la part des journalistes du Centre de l’information, ovation entendue jusque sur les ondes de RDI, commence par expliquer que le malmenage de Radio-Canada n’est pas l’apanage des conservateurs. Il cite notamment Solange Chaput-Rolland qui disait ne pas avoir connu un premier ministre canadien qui n’ait pas tenté un jour ou l’autre de museler les journalistes de Radio-Canada et revient sur l’ère Chrétien, juste après le référendum de 1995, période de chasse aux sorcières durant laquelle le diffuseur public avait été accusé par les libéraux de faire un peu trop la part belle aux souverainistes.

Changement de culture

Malgré cela, Alain Saulnier voit une grande différence avec ce qui se passe aujourd’hui, le PDG Hubert Lacroix et les membres du Conseil d’Administration étant en grande majorité des proches, voire des contributeurs du parti conservateur, tous inféodés aux demandes du ministre du patrimoine et ne questionnant jamais la pertinence de voir d’année en année l’allocation parlementaire se réduire à peau de chagrin, ne faisant que prendre acte, puis les décisions qui s’imposent, à savoir couper toujours et encore.

Le ton est alarmant, alarmiste. À la lecture de ce qui se construit comme une enquête, on comprend que selon l’auteur, il commence à se faire tard. Que qui veut sauver Radio-Canada devra entreprendre un changement total de culture. Faire un grand saut en arrière pour que les deux entités que sont CBC et Radio-Canada demeurent bel et bien distinctes. Revenir à moins de publicité, adopter une nouvelle loi sur la radiodiffusion publique stipulant un financement gouvernemental et sous forme de redevances, donc plus stables, faire payer les multinationales du web, qui s’approprient le marché audiovisuel. Mais surtout mieux intégrer le numérique dans la stratégie, et pour cela faire plus de place aux jeunes, qui sont pour l’instant les grands scarifiés des politiques de coupe.

Depuis la parution de ce livre, les nouvelles ne sont pas meilleures pour Radio-Canada, notamment sur le front de la diversité. En décembre, on apprenait par exemple que certains bulletins de nouvelles régionaux repasseraient à trente minutes, plutôt qu’aux soixante qui leur avait été attribuées il y a quelques années.

De son côté, Alain Saulnier est devenu directeur des contenus du magazine Trente. Gageons qu’à ce titre, il surveillera encore de près l’évolution de la situation au sein du diffuseur public.

Alain Saulnier, Ici était Radio-Canada, Éditions Boréal

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