Pour un journalisme scientifique québécois solide

En novembre, l’apparition au Québec d’un panneau publicitaire climatosceptique a entraîné une contre-attaque de l’Association des communicateurs scientifiques, décidée à ne pas laisser ce genre de mensonge prendre racine ici. L’association a produit, à ses frais, des panneaux destinés à rétablir les faits. Cette réaction rappelle combien il est important d’avoir, sur la place publique, une information scientifique solide. Mais elle rappelle aussi combien la bataille est inégale.

Par Josée Nadia Drouin et Pascal Lapointe pour l’Agence Science-Presse, Pierre Sormany et Raymond Lemieux, pour Québec Science, Félix Maltais et Isabelle Vaillancourt pour Publications BLD

Le journalisme scientifique, en particulier, n’a jamais été aussi fragile au Québec. Après avoir connu une période de croissance des années 1960 jusqu’aux années 1980, on assiste à un lent recul : les magazines spécialisés ont fermé les uns après les autres (Forêt Conservation, Franc Vert, Astronomie Québec, L’Enjeu, etc.); Québec Science a réduit sa périodicité; les pages Science sont disparues des quotidiens. Et le mois dernier, l’Agence Science-Presse a failli disparaître, dans la foulée des coupures en vulgarisation scientifique un moment annoncées par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations.

Ce recul est en partie lié à la crise des médias en général : ceux-ci réduisent leurs budgets et le journalisme scientifique n’est pas leur priorité. Ce recul est également lié à la croissance des relations publiques en science: les efforts qui, jadis, auraient été consacrés à renforcer le journalisme scientifique sont désormais dirigés vers des initiatives servant à mousser l’image des compagnies ou des institutions, comme les universités.

Or, on ne saurait trop insister sur l’importance de préserver un réseau de journalistes qui soit indépendant des institutions, des compagnies et des groupes d’intérêt. De plus, un journalisme scientifique solide, et en français, est primordial, à l’heure où le citoyen peut trouver sur Internet le pire comme le meilleur.

En-dehors de Radio-Canada, trois acteurs subsistent au Québec : Québec Science, l’Agence Science-Presse et — pour les jeunes — les publications BLD, qui éditent Les Débrouillards, Les Explorateurs et Curium. Tous sont fragiles, à des degrés divers, et si un de ces trois acteurs disparaît, les deux autres en seront affectés.

Mais surtout, c’est la qualité de l’information spécifique au Québec qui souffrirait de la disparition d’un ou l’autre de ces acteurs :

  • parce que son lectorat s’éparpillera en bonne partie vers les médias ou des sites français ou américains, appauvrissant l’information produite au Québec et en français;
  • parce que les grands médias (quotidiens, radio et télévision) s’appuient souvent sur le travail des magazines et de l’agence pour traiter des questions scientifiques;
  • parce que la disparition d’un des trois diminuera donc le rayonnement de la science québécoise dans la francophonie;
  • et parce que cela fera un débouché de moins pour la relève en journalisme scientifique, contribuant à décourager les jeunes professionnels à s’investir dans ce secteur.

Si on veut soutenir le journalisme scientifique, il faut accepter d’y investir. Le Québec a la chance unique de posséder depuis plus de 30 ans trois véritables institutions d’information et d’éducation scientifiques fort populaires : un magazine grand public, une agence de presse et trois magazines jeunesse. Piliers de la culture scientifique québécoise, ces médias doivent être considérés par le gouvernement québécois comme des éléments-clefs de toute politique de recherche et d’éducation scientifique et à ce titre, ils doivent continuer à être aidés par l’État, par des mécènes et par tous ceux qui ont à coeur le rayonnement de l’information scientifique et le développement social et économique de notre société.

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