Des formations pour gonfler la culture scientifique des journalistes

L’Association des communicateurs scientifiques (ACS) organise la semaine prochaine une formation sur les virus et les vaccins. La première de toute une série, destinée à donner aux journalistes et autres blogueurs les clés leur permettant de porter un regard critique sur les nouvelles scientifiques qu’ils sont chargés de relayer.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann

«N’ayez pas peur, seule la connaissance sera contagieuse!» C’est par cette phrase que se conclut le courriel de l’ACS annonçant la première formation à l’attention des journalistes et communicateurs traitant de science. Car des connaissances scientifiques, la profession en maquerait cruellement à en croire à la fois Binh An Vu Van, présidente de l’association et Guy Lemay, professeur au département de microbiologie et d’immunité à l’Université de Montréal, à qui l’ACS a demandé de donner cette première conférence axée sur les virus et les vaccins.

«C’est du grand n’importe quoi, estime ce dernier. On va entendre un reportage à la radio où le même agent infectieux va passer du statut de virus à celui de bactérie, puis de microbe… c’est pas pareil du tout!»

Ainsi les erreurs seraient légion, surtout dans les pages des journaux généralistes, où les véritables spécialistes se font rares et où l’information scientifique se borne bien souvent à recopier un communiqué de presse tout en faisant ressortir les données les plus chocs… au risque qu’elles ne soient mal interprétées, voire carrément fausses.

«Je vois passer très régulièrement des erreurs, confirme Mme Vu Van. Mais la faute n’est pas seulement à rejeter sur les journalistes. Il faut bien comprendre comment une nouvelle scientifique se retrouve dans les pages des journaux. Il y a d’abord le chercheur, qui publie dans une revue scientifique en tâchant d’être le plus clair possible, mais en faisant aussi ressortir quelques phrases punchées histoire d’attirer les médias etd’avoir la faveur des organismes subventionnaires. Puis des agents de communication reprennent la nouvelle, la vulgarise, cherchant eux aussi à frapper fort au risque de glisser quelques notions qui pourraient prêter à confusion. Puis le blogueur ou le journaliste qui reprend le communiqué tel quel sans avoir les connaissances de base nécessaires pour y porter un regard critique. C’est ce que nous allons tenter de faire avec ces formations. Fournir les clés nécessaires pour permettre aux communicateurs scientifiques de débusquer les erreurs.»

Conséquences graves

Car les conséquences de ces erreurs peuvent être plus ou moins graves. Encombrement des urgences avec des personnes qui soufrent d’un rhume ou de la grippe et qui exigent une prescription d’antibiotique… mais aussi psychose dans le cas de l’Ébola par exemple, si les risques de contamination sont exagérés ou mal expliqués.

«Il y a aussi tout le mouvement anti-vaccin alimenté par des publications scientifiques frauduleuses relayées dans les médias, ajoute la présidente de l’ACS. La répercussion de cela, c’est qu’il y a des maladies que l’on croyait éradiquées et qui réapparaissent.»

Des erreurs que les lecteurs ne sont souvent pas en mesure eux non plus de repérer tant le manque de culture scientifique est un fléau généralisé au sein de toute la société québécoise, croit le Professeur Lemay.

«Résultat, toutes les thérapies les plus idiotes trouvent preneurs, raconte-t-il. Il n’y a qu’à voir les récents cas de décès de personnes ayant pris part à une expérience de hutte de sudation… il suffit d’avoir un peu de culture scientifique pour se détourner de ce genre de pratiques!»

Un champ très vaste

Tout deux reviennent également sur une nouvelle qui a fait le tour de la planète en début d’année et affirmant que le cancer serait avant tout une affaire de hasard, ce qu’en réalité ne concluait absolument pas l’étude à laquelle tous faisaient référence. Dans une chronique parue la semaine dernière, Valérie Borde, qui tient le blogue santé et science du magazine l’Actualité, expliquait comment cette erreur avait pu s’immiscer dans les cerveaux et sous la plume de tous les journalistes ayant relayé l’information.

«Mais le mal est fait, estime Binh An Vu Van. Il y a des gens qui aujourd’hui se disent à quoi bon arrêter de fumer, faire du sport ou avoir une alimentation saine puisque le cancer est le fruit du hasard.»

Une formation sur le cancer est d’ailleurs prévue un peu plus tard cette année. D’autres porteront sur le nucléaire ou encore l’électrosmog. Des sujets très éclectiques en somme… et c’est bien là le problème des journalistes qui traitent de science.

«Le domaine est vaste et il y a plusieurs milliers de nouvelles chaque année, explique Mme Vu Van. On doit résumer en quelques phrases le travail de plusieurs années. Sans compter que les résultats sont souvent tout en nuances. Il y a des bémols, des limites d’application, que le journaliste n’a pas le temps ni l’espace de relayer.»

«Moi, j’ai une formation scientifique, je suis biochimiste, ajoute Guy Lemay. Mais si on me demandait de commenter la dernière découverte en astrophysique, ce serait très difficile. Alors des gens qui traient généralement de politique, d’international, de terrorisme ou de fraude financière… et à qui tout d’un coup on demande de parler de la dernière épidémie… Cette formation serait une réussite si je parviens à fournir des clés permettant aux journalistes de se poser les bonnes questions. Et à leur donner le réflexe d’appeler ensuite des spécialistes pour y répondre.»

Formation Virus et vaccins 101, mardi 20 janvier de 18h à 20h à l’Université de Montréal. Pour les inscriptions, c’est ici.

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