Être journaliste en 2015

1Dans son édition automne-hiver 2014-2015 paru le mois dernier, Méta-média se penche sur l’influence des logiciels, algorithmes et autres robots sur le travail du journaliste. Le cahier tendances de France Télévisions dresse le portrait du nouveau journalisme entre automatisation de certains articles et nécessaire valeur à ajouter. ProjetJ a relevé dix grands principes qui devraient modifier la pratique.

 Par Hélène Roulot-Ganzmann

  1. Des réseaux sociaux tout puissants. «L’info finira bien par me trouver», déclare la génération Y. De fait, les consommateurs de médias attendent passivement que leur communauté ne leur fasse parvenir les nouvelles qu’ils se doivent de lire, regarder, écouter. Ainsi l’info les trouve grâce à des algorithmes qui permettent aujourd’hui de prioriser, classer, associer, filtrer, masquer, notifier. En quelques mois, les réseaux sociaux, Facebook en tête, utilisé par un cinquième de l’humanité, sont devenus la principale source de l’audience en ligne.
  1. Comprendre les algorithmes. «S’il n’est pas déjà trop tard, il est grand temps pour les journalistes d’aller regarder sous le capot, prévient Éric Scherer. De mettre les mains dans le cambouis, d’enquêter sur les boites noires, de demander des comptes aux algorithmes, qui prennent des décisions opaques et de plus en plus autonomes.» C’est via Facebook que de plus en plus d’adultes s’informent. Il est donc du devoir de toute bonne salle de nouvelles qui se respecte de comprendre comment les informations qui seront publiées sur les babillards sont filtrées. C’est via Google que la grande majorité des recherches sont menées. Pour augmenter sa visibilité, rien de tel que de saisir la manière dont les résultats sont classés. L’auteur estime même que ces algorithmes sont si importants dans nos vies qu’il devient d’intérêt public pour les journaux généralistes d’ouvrir une rubrique qui décortique le phénomène afin d’éduquer les lecteurs.
  1. Critiquer les algorithmes. Les réseaux sociaux exercent un contrôle inédit sur les choix de lecture. Ils poussent certains contenus en fonction des choix et interactions antérieurs des utilisateurs. Mais aussi et surtout en fonction des intérêts économiques de chacune des entreprises. «Or, aucun outil, aucune procédure, aucun garde-fou, aucune régulation n’existent pour l’instant pour contrôler les algorithmes, écrit M. Scherer. On leur fait confiance, sans poser de questions alors que surgissent, à cause d’eux, de nouvelles formes de discriminations, censures, impasses, erreurs, artefacts, normes sociales non choisies, fausses informations et prédictions.»
  1. Le journaliste interchangeable… Si ce sont des algorithmes qui dictent les choix des consommateurs, cela signifie que la ligne éditoriale passe à la trappe. Peu importe d’où vient l’entrevue d’Obama, les images d’inondations ou du dernier drible de Messi, estime M. Scherer. Peu importe que ce soit du journalisme.
  1. … et remplaçable par des robots. Résultats sportifs et économiques, activité sismique… les premiers spécimens des robots-journalistes qui ne dorment jamais et sont capables de produire en abondance des dépêches, alertes et courts textes sur des sujets qui ne demandent pas de valeur ajoutée, sont bel et bien nés. «Là encore les algorithmes cherchent, extraient, trient des données pour en faire des articles compréhensibles», explique Éric Scherer.
  1. Un métier en pleine redéfinition. Oui les algorithmes modifient les façons de s’informer. Ce qui ne signifie pas pour autant que le journalisme soit mort. Le directeur de prospection de France Télévisions rappelle en effet que l’écriture avait été rejetée par Platon et l’imprimerie par les moines copistes. Plutôt que de râler, les journalistes doivent aujourd’hui prendre acte et redéfinir leur pratique. «Apprenons à travailler avec les ingénieurs, les designers et les développeurs, appelle-t-il. Familiarisons-nous, comme les autres, avec le code et la programmation.»
  1. Gagner en humilité. Non, les journalistes n’ont plus le monopole de la création de contenu et de sa diffusion. Oui l’information est devenue un service, plus qu’un contenu. «Une révolution pour ceux qui continuent à croire que le monde entier attend ce qu’ils ont à dire!», ironise Éric Scherer. Mais il est grand temps de prendre acte et de s’adapter à ces nouveaux comportements.
  1. Des informations plus courtes et visuelles. Les consommateurs de nouvelles, notamment les jeunes, la génération Y, celle qui commence à entrer dans la vie active et qui deviendra majoritaire au fur et à mesure que les boomers prendront leur retraite, s’informent aujourd’hui de plus en plus via leur téléphone intelligent et rien ne dit que cette tendance s’inversera et que ces jeunes finiront par adopter les mêmes comportements que leurs parents à savoir, acheter le journal en sortant du travail et s’installer à heure fixe devant le téléjournal. D’où la nécessité de privilégier des formats courts, lisibles, facilement compréhensibles et très visuels. En cela, les journalistes, aujourd’hui très critiques à l’encontre de Vice, devraient plutôt se pencher dessus et apprendre de cette application.
  1. Des reportages à forte valeur ajoutée. Si les robots sont aujourd’hui capables d’extraire et de rédiger des nouvelles, ils ne savent pas encore enquêter. Journalisme d’enquête, journalisme de données, journalisme de capteurs, voilà des champs à explorer et les médias qui se sont lancés dans cette aventure aujourd’hui ne le regrettent pas. À condition toujours que les journalistes acceptent de profiter de toutes les technologies aujourd’hui à leur disposition. En ce sens, la réalité virtuelle et l’intelligence artificielle, qui permettent de s’immerger dans l’information, sont des pistes à explorer, pour aller rechercher la génération Y avant qu’elle ne soit définitivement perdue pour les médias traditionnels.
  1. Sécuriser ses données. Qui dit enquête, dit source, lanceur d’alertes, contenu sensible voire secret, piratage et surveillance. Il est aujourd’hui primordial pour tout journaliste d’apprendre à crypter ses données pour protéger sa vie numérique.

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