Le journalisme de guerre à l’épreuve du djihadisme

Il y a deux semaines, le journalisme était frappé de plein fouet par le fondamentalisme en plein Paris. Un crime innommable qui ne doit pas faire oublier que ceux qui prennent les plus grands risques afin de nous informer sont bel et bien les journalistes qui œuvrent en zone de conflit. En présence de Nicolas Hénin, journaliste indépendant français ayant vécu huit mois de captivité aux mains des djihadistes du groupe État islamique, la FPJQ a offert lors de son dernier congrès, un atelier sur la situation du journalisme de guerre. Et tous les panélistes sont alors tombés d’accord sur une chose: couvrir un conflit, c’est aujourd’hui accepter la possibilité de ne pas en revenir.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

Humblement, Nicolas Hénin a commencé par contester le titre de l’atelier. Une professions sacrifiée. Certes, mais pour les quelques cas retentissants comme les récentes décapitations de journalistes américains ou sa détention à lui et à ses frères d’armes, bien d’autres meurent dans l’anonymat le plus total et sans qu’une ligne ne soit écrite. Ainsi, les plus à plaindre ne sont pas les journalistes occidentaux qui viennent couvrir un conflit, mais les locaux, dans les pays où des conflits font rage, qui subissent des pressions pouvant aller jusqu’à la liquidation pure et simplement dans l’indifférence la plus totale.

«N’oublions pas que nous, nous venons faire notre métier et que nous pouvons repartir quand nous voulons, a-t-il indiqué devant une salle remplie de journalistes buvant littéralement ses paroles. À tout moment, nous pouvons décider de laisser le conflit derrière nous et nous envoler en sirotant un gin tonic dans l’avion.»

Un discours auquel adhère à 100% Azeb Wolde-Giorghis, journaliste à Radio-Canada ayant couvert plusieurs conflits africains notamment au Liberia. Aujourd’hui mère de famille, elle a décidé de mettre de la distance entre elle et les zones de conflit, mais elle avoue, non sans faire rire la salle, que son plus grand traumatisme aura été la couverture du mariage royal à Londres en avril 2012, alors que plus de 2000 journalistes étaient, comme elle, sur le terrain…

«La grande différence entre la couverture des zones de guerre aujourd’hui et à l’époque où je le faisais, c’est qu’avant, nous pouvions passer d’un front à l’autre et rapporter des images des deux côtés, affirme-t-elle. Ce n’est plus possible. Avant, nous placardions sur notre voiture le fait que nous étions journalistes. Ce n’est plus possible. Nous sommes devenus des cibles. Nous sommes dans un camp ou dans l’autre. C’est clairement beaucoup plus risqué aujourd’hui et j’ai pris la décision personnelle de ne plus prendre ce genre de risques. De ne plus donner ma vie sur un plateau d’argent. Mais je sais aussi relativiser, nuance-t-elle. Quand on est sur place, il ne faut jamais oublier que nous arrivons avec notre gilet pare-balle et notre casque et que nous tendons le micro à des gens qui viennent de perdre leur maison et tout le reste pour savoir comment ils se sentent…»

La piqûre

Autour de la table, les quatre panélistes parlent de «piqûre». La première fois, tu ne sais pas si tu vas aimer ça ou non. C’est alors que tu as la fameuse piqûre ou que tu ne l’as pas.

Frédérick Lavoie est journaliste indépendant et réalisateur d’une la série documentaire intitulée À table avec l’ennemi. Le concept, aller sur des zones de haute tension et rassembler, autour d’un bon repas, tous les protagonistes d’un conflit. Lui, remercie le ciel de ne pas avoir eu cette fameuse piqûre. Du coup, il se rend sur le terrain «lorsque les armes se sont tues mais que les cendres sont encore chaudes.»

«Parce qu’à ce moment-là, il y a encore plein de choses intéressantes à montrer, estime-t-il. La question qu’il faut savoir se poser, c’est est-ce que je suis capable de mettre l’information au dessus de tout le reste? Est-ce que je suis prêt à perdre ma vie? Il faut connaître ses propres limites. Moi, je me suis retrouvé en prison. Et c’est pas mal ça ma limite.»

«Le problème, c’est qu’on ne voit pas la ligne rouge avant de l’avoir franchie, ajoute Édouard Plante-Fréchette, photographe à La Presse ayant notamment couvert la Syrie. La question est complexe. Il y a des reportages qui paraissent sans grand risque, mais la situation évolue vite sur le terrain. C’est d’autant plus vrai lorsque tu sors ton appareil photo, précise celui qui part régulièrement sur le terrain avec sa collègue Michèle Ouimet. Lorsqu’elle sort seule de la voiture et qu’elle va discuter avec des gens, la réaction n’est pas la même que lorsque j’arrive avec tout mon matériel.»

Métier de célibataire

De son côté, Nicolas Hénin avoue ne pas vraiment avoir pensé aux conséquences lors de son départ pour la Syrie. Par déni?, lui demande M. Lavoie.

«Je savais que ça pourrait arriver, mais pour moi, c’était de l’ordre de l’irréel. Je n’y avais pas pensé sérieusement, répond-il, ajoutant que s’il avait un seul conseil à donner un journaliste voulant couvrir des zones de guerre, ce serait de ne pas avoir de famille. Ma situation de père a rendu ma captivité encore plus inconfortable, et c’est un euphémisme.»

Quant à savoir si son passage aux mains du groupe État islamique a été de nature à le faire évoluer sur la question du risque, ou si au contraire, il pense qu’après être passé à travers ça, il ne peut plus rien lui arriver… s’il avoue être aujourd’hui encore en pleine réflexion et qu’il n’a d’ailleurs pas encore repris le travail, il craint de ne pas savoir faire autre chose.

«À part couvrir la guerre, je ne sais rien faire, lâche-t-il. Les chaines pour lesquelles je travaille font attention à moi aujourd’hui. Elles tentent de me remettre le pied à l’étrier sans me bousculer. Un jour, l’une d’elle m’a appelé pour m’envoyer en reportage à Londres. J’ai pris peur. Je ne sais pas faire ça, moi, un reportage à Londres.»

Il n’y a pas que la guerre

Une réponse qui explique en partie la raison pour laquelle tant de reporters de guerre restent hermétiques aux critiques formulées par un pan du public, qui prend d’assaut les commentaires et les accuse, en risquant la capture, d’être une épine dans les stratégies diplomatiques et guerrières des États.

«Au-delà de couvrir les combats, notre rôle est aussi de vérifier ce que font les pays dont nous sommes les ressortissants sur le terrain, explique Nicolas Hénin. Car il ne s’agit pas de leur donner un chèque en blanc.»

De son côté, Azeb Wolde-Giorghis comprend cependant les critiques de certains lecteurs et se permet une autocritique de la profession.

«Parce que nous n’expliquons pas assez les situations, estime-t-elle. Parce que nous venons quand il y a une guerre et repartons tout de suite après. J’ai couvert le Nigeria, un pays africain au sein duquel il y a un mouvement islamique fort, Boko Haram, lui même affilié au groupe État islamique. Si on ne parle que des attentas suicides, le public d’ici ne comprend pas. Si on commence à expliquer que c’est un pays riche de son pétrole mais que 80% des jeunes n’ont pas d’emploi parce que les bénéfices du pétrole sont partagés entre un tout petit nombre au sommet de l’État, on comprend mieux pourquoi certains s’enrôlent dans des groupes extrémistes. Je suis certaine que ce genre de couverture permettrait de faire comprendre à la population, ici, pourquoi il est important que des journalistes témoignent de cela.»

Dans la salle, certains ont souligné que ce type de couverture se retrouvait surtout chez les femmes journalistes, qui serait plus human, moins centrée sur le combat. Une affirmation que d’autres ont rejeté, estimant que chaque professionnel venait sur le terrain avec sa propre sensibilité, sans que le genre n’y soit pour quelque-chose.

«Il y a du pour et du contre à être un homme ou une femme sur ce genre de terrain, conclut Mme Wolde-Giorghis. Pour passer un check-point, il vaut mieux être une femme parce qu’on parait moins menaçante. Pour avoir accès aux femmes dans les sociétés moyen-orientales aussi. En revanche, il y a un risque additionnel, celui de se faire agresser sexuellement. Le corps de la femme journaliste est devenue une véritable arme pour certains combattants.»

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