Journalisme: les grands dossiers à surveiller, selon Alain Saulnier

ProjetJ profite de ce début d’année pour demander aux hommes et aux femmes qui comptent dans l’industrie médiatique au Québec quels sont les cinq grands dossiers qu’ils vont surveiller en 2015. La parole est aujourd’hui à Alain Saulnier, ex-directeur général de l’information de Radio-Canada, devenu professeur invité au DESS en journalisme à l’Université de Montréal et depuis peu, directeur de contenu du magazine Trente.

Par Hélène Roulot-Ganzmann

saulnier-alainDossier #1 : la concentration de la presse

C’est un sérieux problème au Québec. La presse est plus concentrée que jamais et la mutation des médias vers le numérique consolide et accélère le mouvement. On a l’impression que la seule façon de survivre, c’est de développer des modèles dans lesquels il y a de moins en moins de joueurs qui s’accaparent les plus larges territoires possibles. Conséquence pour les journalistes: si vous travaillez pour les pages économiques d’un média appartenant à Bell par exemple, et que Bell est propriétaire d’une multitude d’entreprises dans une multitude de secteurs, vous allez vous sentir mal à l’aise pour traiter des dossiers qui concernent le groupe. Même chose si vous travaillez pour un média de Quebecor ou de Rogers. Vous aurez une foule de territoires sur lesquels vous ne voudrez pas vous aventurer car vous serez toujours perdant: si vous êtes trop gentil, on va vous reprocher d’être complaisant, si vous êtes trop dur, vous aurez peur de réprimandes à l’interne. Bref, tout ça complique la vie des journalistes qui appartiennent à ces conglomérats.

Dossier #2 : le cas Pierre Karl Péladeau

Le deuxième dossier à suivre à mon sens, est connexe au premier. J’ai bien hâte en effet de savoir quelle proposition Pierre Karl Péladeau va nous faire pour nous assurer de la totale indépendance de Quebecor vis-à-vis de lui. De voir comment il souhaite mettre fin à la présomption selon laquelle il pourrait être dans une situation de conflit d’intérêt. Pour l’instant, la seule option mise sur la table est de placer toutes ses actions dans une fiducie sans droit de regard. Est-ce suffisant? Le débat n’est pas clos à l’intérieur de notre profession et il va également avoir lieu à l’Assemblée nationale.

Dossier #3 : l’avenir de Radio-Canada

Je me suis réjouis la semaine dernière parce que j’ai vu que le NPD avait fait une proposition pour essayer de sauver Radio-Canada. Le parti de Thomas Mulcair a annoncé que s’il était élu, il annulerait la compression de 115 millions de dollars établie il y a deux ans. J’étais aussi heureux d’entendre Stéphane Dion au dernier congrès de la FPJQ en novembre, nous dire que, sans pouvoir avancer de chiffres, le parti libéral serait prêt à faire quelque-chose en cas de victoire aux élections. Mais à l’heure où nous nous parlons, je ne suis pas certain qu’on ait pas un renouvellement du gouvernement conservateur, peut-être minoritaire, on verra… si c’est le cas, rien n’indique que la lente asphyxie à laquelle on assiste ne se poursuive pas, sauf peut-être si la pression populaire devient plus forte.

Ça pose plusieurs problèmes. D’une part, pour économiser, le défi aujourd’hui est de passer le plus vite et le plus largement possible au numérique… sauf que ce sont les plus jeunes journalistes qui sont sacrifiés alors que ce sont eux les mieux à même de faire ce passage et de défendre un journalisme de qualité à l’heure du numérique. Ensuite, si on affaiblit le service public, et là je reviens à mon premier dossier sur les dangers de la concentration de la presse, on démolit le rempart que devrait constituer Radio-Canada contre les intérêts privés des médias. Le diffuseur public devrait pouvoir continuer à garantir que l’on puisse traiter tous les sujets de manière indépendante.

Dossier #4 : la situation du Devoir

Le passage du quotidien le Devoir à la tablette numérique est un bon coup et je suis très heureux. Est-ce que la publicité suivra? Il y a des voix pour dire le contraire, même en ce qui a trait à La Presse+. Ce que j’entends pour ma part, c’est que la situation du Devoir est très préoccupante. Ce serait catastrophique qu’il disparaisse. On serait dans une situation périlleuse sur le plan de la diversité d’opinion au Québec.

Dossier #5 : L’éthique au regard de la crise

L’actuelle mutation accélérée des médias vers le numérique bouscule tout le monde et personne n’a encore trouvé le modèle d’affaires qui sortira l’industrie de son marasme. C’est une question sérieuse sur le plan philosophique, politique et démocratique, que les journalistes ne devraient pas laisser dans la cour des seules propriétaires. On doit avoir une réflexion là-dessus. On doit être préoccupé et en tenir compte lorsque l’on a à développer des batailles syndicales. On doit en être conscient et ne surtout pas renier nos principes éthiques et déontologiques sous prétexte que le modèle d’affaires est difficile à trouver. Il faut refuser les faux reportages et autres publireportages qui ne disent pas leur nom. Les gens qui s’occupent de trouver des revenus commerciaux dans les entreprises de presse qui ne vivent que par les investissements privés essayent tous de perforer la carapace éthique de ce qu’est un média. Les journalistes doivent être sur leurs gardes car ça se produit tous les jours.

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